Je m'appelle xxxx, j'ai 26 ans. Il y a deux ans, un chamane a laissé entendre que j'avais probablement été victime d'agression sexuelle dans mon enfance.
Je me souviens m'avoir vu m'effondrer, crier, pleurer, comme extérieure à mon corps et sans comprendre ce qui m'arrivait. Depuis, c'est une foule de symptômes qui se sont intensifiés ou bien qui ont simplement commencé à prendre tout leur sens. Une sexualité déviante et destructrice, la prostitution, les addictions, des pleurs intenses et inexpliqués, des cauchemars évoquant le viol, des pensées suicidaires, le désir de changer de nom, etc. Et surtout, la sensation que je savais : bien-sûr, c'était au centre de mon existence, à la fois si présent et si parfaitement camouflé. Comme un point de gravité invisible, autour duquel s'organise tout le reste, mais qui ne dit pas son nom. J'en ai parlé à ma mère, je lui ai demandé si elle savait quelque chose. La question lui a fait "comme l'effet d'une bombe", selon ses propres mots. Non, elle ne savait rien, en tout cas pas à propos de moi. Il aura fallu attendre un an et lui reposer la question pour que des choses se dénouent enfin : ma tante et ma mère ont été victime d'agressions sexuelles par leur beau-père de l'époque. Dans la famille, on avait toujours raconté que ma grand-mère avait chassé brutalement ce beau-père, "parce que c'était un vrai con". C'est en tous cas ce que j'ai toujours entendu dire.... Ce qu'on n'a jamais dit, c'est que le mot "con" remplaçait ici le mot pédocriminel.
Aujourd'hui, c'est tout un travail de ré-appropriation de l'histoire familiale qui doit être fait. Briser le silence et réussir à poser ces mots tabous sur notre histoire commune. J'essaye d'inciter ma mère à en parler à son psychiatre, elle qui minimise énormément les faits et semble encore dans une posture de déni. Je prévois d'envoyer une lettre à ma tante, pour lui dire que je suis au courant et pour lui adresser tout mon soutien. J'aimerais tant briser le silence, en parler ouvertement à toute la famille, y compris les descendantes de ce beau-père pédocriminel. Mais je souhaite également être prudente, respecter avant tout la volonté des victimes et avancer avec elles. Pour ma part, je ressens toujours intimement le sentiment d'avoir été moi-même violée, mais je ne me souviens de rien.
Je dois donc aujourd'hui apprendre à naviguer avec le doute, et accepter que je ne saurais peut-être jamais si mes symptômes sont hérités de ma mère ou bien si j'ai également été agressée. Lorsque la souffrance est présente, j'essaye de trouver l'apaisement en me disant que le déni est là pour me protéger et que je me souviendrais, peut-être, lorsque je serais prête à accueillir ces hypothétiques souvenirs. En attendant, je reste très reconnaissante et fière d'avoir participé activement à déterrer ce secret de famille.