Seule
Vingt-cinq années ont passées depuis ma plainte contre un oncle qui avait une relation incestueuse avec moi. Dans ma tête, tout est encore clair, les lieux où cela se produisait, sa voix, ses menaces verbales, sa satisfaction et cette incapacité pour moi à dire non. Avec le temps j'arrive à comprendre avec quelle facilité j'étais devenue une proie facile pour lui. En effet, c'était un oncle, un membre de la famille qui côtoyait régulièrement mes parents, quelqu'un qui savait que ma mère était dépressive et que mon père était assez dur avec ses enfants !
J'étais une petite fille assez vive qui s'est entendue dire toute son enfance qu'elle était pénible et bavarde ! Je n'avais aucun contact physique avec mes parents, aucune étreinte d'affection, aucun "je t'aime". D'une certaine manière, mes parents sont un peu responsables de n'avoir rien vu mais moi je les aimais et je ne voulais pas leur faire de mal alors je n'ai rien dit de l'âge de 9 à 11 ans. Et puis un jour, j'ai écrit sur un cahier d'école, assise à côté de ma meilleure amie de l'époque "je me suis fait violer par mon oncle". Du haut de ses 11 ans, elle a prévenu la maîtresse et tout s'est enchaîné. Il a fallu dire, raconter, expliquer, vérifier, subir des examens gynécologiques, psychologiques, attendre et comprendre. Comprendre un verdict qui 25 ans plus tard est toujours incompréhensible. Il a fallu aussi supporter le fait de ne plus en parler car à la maison c'était devenu un sujet tabou. Supporter le silence, la solitude, les regards et les jugements externes et ceux de sa propre famille.
Au fur et à mesure on essaie d'oublier en se disant qu'il y a toujours pire que soi. Plusieurs éléments ont fait que pendant toutes ces années je ne me suis pas intéressée à moi. Après le bac je ne savais toujours pas ce que je voulais faire de ma vie alors j'ai tenté la fac d'anglais mais je suis revenue chez mes parents quelques mois plus tard. Je suis donc rentrée dans la vie active à 20 ans et me suis installée dans une plus grande ville où j'ai trouvé un travail car il m'en fallait un mais j'ai surtout rencontré l'amour. A 21 ans, me voilà installée avec mon compagnon, heureuse de vivre une vie normale ! L'année d'après, mon père se fait opérer d'une tumeur au cerveau, il s'en sort bien et cet événement nous rapproche. Nous décidons avec mon compagnon de faire un bébé. Après 2 fausses couches je commençais à me dire qu'avoir un bébé n'était pas si facile mais heureusement mon fils est arrivé en 2006. La grossesse se passa bien mais une fois rentrée chez nous, je ressentis des angoisses, je me disais que mon bébé était en sécurité en moi mais maintenant j'allais devoir le protéger de l'extérieur. Le protéger de qui ? De quoi ?
Je fis plusieurs crises où je pensais que j'allais vomir alors qu'en fait tout était dans ma tête, j'avais peur de tomber malade et aujourd'hui encore je me lave les mains de façon compulsive. Ma mère a refait de la dépression puis en 2008 on lui a annoncé qu'elle avait un cancer du poumon. De mon côté, j'ai refait 3 fausses couches et une gynécologue a quand même fait le nécessaire pour en trouver la raison. En 2009, je devenais maman d'une petite fille. Ma mère était sous traitement et nous faisions au mieux pour vivre une vie normale avec des hauts et des bas. En 2011 j'accouche d'un troisième enfant, une surprise qui n'était pas prévue mais qui fut bien accueilli. En 2012, après un long combat contre la maladie ma mère décéda. Je suis de nouveau envahie par cette solitude me rendant compte que toutes ces années je n'avais plus pensé à moi et que pourtant j'étais bien là.
Aujourd'hui, j'ai 35 ans et je ne sais toujours pas ce que je veux faire de ma vie mais j'ai l'impression que maintenant il faut que la page de mon histoire se tourne pour que j'avance... Plus facile à dire qu'à faire d'autant qu'une de mes cousines m'a dit qu'il aurait recommencé sur sa petite fille. J'ai envoyé une lettre à ses parents pour qu'ils l'aident mais la famille n'a toujours rien fait. J'ai voulu rencontrer une avocate pour récupérer mon dossier afin de comprendre ce qui n'avait pas joué en ma faveur à l'époque. Cette avocate n'a rien trouvé de mieux que de me dire "vous vous entendiez bien avec cet homme" moi 11 lui 45 ans, ou encore "vous êtes sûre que ce n'est pas votre soeur qui vous aurait raconté des histoires ?". Elle a reçu mon dossier, je l'ai payée pour ses démarches mais je n'irai pas le consulter. Je me sens impuissante et je suis consternée par le manque de considération pour les victimes d'inceste qui indéniablement tentent de survivre.
Merci d'avoir pris le temps de me lire, bon courage à toutes et tous.
Karine
Merci Karine, ton histoire me touche beaucoup. Tu es trés courageuse et battante, c'est admirable.