Il y a peu, parler d'inceste était tabou et j'ai longtemps moi-même occulté le sujet en pensant à tort que cela n'avait pas eu d'impact dans ma vie.
Evidement je ne mesurais pas l'importance de cet acte, mais comment savoir le faire finalement si personne ne nous guide.
Ma mère avait 12 ans (la 1re fois), j'en avais 5. L'agresseur était son père pour sa part, mon grand père paternel pour la mienne. On pense souvent à tort que les menaces viennent de l'extérieur alors que chez nous le danger venait de l'intérieur. J'étais pourtant censée être en sécurité, vivant en brigade de gendarmerie car comme vous l'aurez compris mon père etait militaire. Pourtant ça n'a pas empêché son propre père (mon grand-père) de commettre l'irréparable au sein même de la brigade. Je n'ai jamais oublié ce passage de ma vie, du haut de mes 5 ans, j'ai eu la clairvoyance de me dire que la situation était nouvelle et selon moi pas naturelle. La main de mon grand-père dans ma petite culotte m'a laissée perplexe. Je suis alors sagement allée en parler à ma mère qui en a parlé à mon père. Un père gendarme doit savoir gérer cette situation si celle-ci est considérée comme grave. Plus de grand père à l'horizon, de toute façon il n'était pas vraiment dans notre cercle proche. Je pensais que ma parole avait été prise en compte jusqu'à qu'un repas s'improvise avec lui quelques années plus tard et que je comprenne que ma parole avait été réduite à néant. Une seule question m'est venue à l'esprit ce jour-là, « Je ne compte donc pas à ce point ? Et hop, un mauvais code de plus ingéré.
Le temps passe, les échecs amoureux s'enchainent, le traumatisme fait alors son travail en silence. Après la chute de trop, celle qui vous met le deuxième genou à terre, j'ai voulu comprendre ce qui ne tournait pas rond chez moi et pourquoi mes douleurs internes étaient aussi profondes. Evidemment à tourner virer, et fouiller dans mon passé, j'ai fini par comprendre. Ma prise de conscience a été pour moi d'une rare violence, s'en suit une dépression et ce sentiment profond d'injustice. Le plus dur après ces années de silences ont été les mots employés tous aussi destructeurs qu'assassins. Il faut apprendre à passer à autre chose m'a-t-on a peine dit quand j'ai voulu comprendre pourquoi ma parole avait été réduite au silence. Mon mal-être et cette agression dérangent, je dérange. On vous demande de laisser au passé ce qui appartient au passé comme si cet acte était normal. Me ramasser seule à la petite cuillère me laisse vraiment un goût amer. Depuis quand violer un enfant est normal ?
Ma mère a eu encore moins de chance que moi, des années de viol commis par son propre père. Ce qui lui a valu des années d'errance médicale avant qu'on puisse déceler chez elle une bipolarité sévère due au choc post traumatique. J'avais 18 ans quand j'ai pu signer sa première hospitalisation de force en HP; j'en ai à ce jour 38. Je vous laisse donc imaginer les 20 dernières années que nous venons de passer. A l'heure actuelle si on tape son nom dans une barre de recherche internet, on tombe encore sur l'avis de recherche lancé par la gendarmerie de Bormes et relayé par Var matin, c'était il y a 7 ans. 5 jours intensifs à ne chercher plus qu'un corps avec les équipes spécialisées, les hélicoptères et autres soutiens des forces de l'ordre. 5 jours terrées dans une forêt sur le littoral de la Londe en plein mois de janvier. À ce stade le fait qu'elle soit encore en vie relève du miracle. À croire que son anorexie, une des autres retombées de l'inceste, a entrainé son corps à la survie.
Ce qui me dérange à l'heure actuelle c'est de voir tout ce tabou et ce silence autour de ce fléau, qui de ce fait continue à se reprendre et abattre sur son passage des milliers de personnes, chiffres à l'appui. Fermer les yeux c'est consentir, comment peut-on garder le silence face à une telle gravité d'acte ?
J'ai longtemps pensé que j'avais moi-même un problème relationnel, un problème de confiance et que j'étais différente. 1 enfant sur 3 par classe, 14 millions de Français.... Ça fait beaucoup de personnes en souffrance. Pour avoir côtoyé beaucoup de cliniques psychiatriques en internant ma mère, croyez-moi, il y a beaucoup de patients dont les traumatismes de ce genre les ont plongés dans le néant. Ces hommes et ces femmes pour la plupart qui étaient eux aussi ces enfants-là, des différents.
Si je témoigne aujourd'hui c'est qu'il est important pour moi de prendre cette paroles haut et fort pour beaucoup qui l'ont vécu et d'expliquer les dégâts que cause l'inceste. Ces dégâts qui ne sont pas visibles à l'oeil nu. C'est tous ensemble que nous réussirons à enrayer ce fléau, avec des mesures fortes et une prise en charge des victimes dès la libération de la parole. Avec de la prévention et de la formation. On ne m'a pas écoutée quand j'avais 5 ans, maintenant il en est grand temps. Voilà pourquoi j'ai rejoint l'association Face à l'Inceste dont je félicite sa réussite et son entrée à la Ciivise. Après avoir vécu tout cela, j'estime qu'il est de mon devoir de témoigner et de me rallier à cette cause.
Merci à Mr le Maire de La Farlède d'avoir répondu immédiatement à ma proposition et d'avoir organisé cette conférence en partenariat avec l'association Face à l'inceste qui tous les jours se bat pour faire changer le système, les lois et les mentalités. C'est grâce à des personnes comme vous qui se battent chaque jour pour cette cause noble et de bon sens qu'on réussira à enrayer ce fléau qu'est l'inceste. Je suis très fière d'être à l'initiative de cette première rencontre avec la ville de La Farlède et l'association Face à l'inceste.