Quand mon père a voulu vendre cette maison que j'avais souvent rêvé d'incendier, je m'y suis opposée bec et ongles. Je ne voulais pas que mon ancienne prison tombe entre les mains d'une famille heureuse dont la présence effacerait toute trace de mon passé. Je ne voulais pas qu'ils repeignent et retapissent ces murs qui sont mes seuls témoins. Si la maison disparaît, je n'aurais plus de preuves de ce qui m'est arrivé. C'est comme construire une discothèque sur le site d'Auschwitz.
Je me suis endettée sur 20 ans pour racheter la maison de mon enfance et de mon adolescence. Il ne faut pas être psy pour comprendre que c'est une très mauvaise idée. A 37 ans, je dors de nouveau dans la chambre où autrefois il m'est arrivé de dormir avec mon père...
Un sommeil qui n'a rien de réparateur, je me réveille à l'aube malgré les somnifères. Le plus souvent, je dors tout habillée, pour pouvoir sauter par la fenêtre si jamais mon père essayait de forcer la porte.
Il n'a jamais essayé d'entrer chez moi quand j'étais là. Mais il y a deux mois, il s'est introduit chez moi en mon absence pour me voler. Depuis ce vol (que je ressens comme un second viol) j'ai perdu le contrôle de ma vie, probablement que ce contrôle n'était que de surface et que le chaos et la dépression qui se terraient en moi n'attendaient qu'une occasion pour se manifester.
Depuis l'infraction, j'ai arrêté mes cours de langue, je ne réponds plus aux invitations ou aux mails, je n'entretiens plus ma maison...J'ai de gros problèmes de concentration; conduire ou travailler me demande une énergie démesurée. Je ne peux plus prendre la voiture que pour de petites distances, il faut que je visualise le trajet à l'avance, y compris l'endroit où je vais me garer.
En fait, j'évite tout ce qui pourrait m'éloigner de chez moi: le ciné, voir des amis...je ne veux même plus partir en vacances. Alors qu'avant les cours de langue et les voyages étaient ma passion.
Les jours où je ne travaille pas, je m'enferme dans ma maison. Pour éviter que mon père ne pénètre à nouveau chez moi, j'ai mis des chaînes et des cadenas partout. Tout est fermé à double tour, de nuit comme de jour: le garage, le portique du jardin, la cabane à outils, la grille de la terrasse...en tout j'ai une douzaine de clés. Je suis prisonnière de mes propres cauchemards. A portée de main, il y a toujours mon GSM et mon spray de self défense. Je suis la gardienne insomniaque d'un musée obscène.
Témoignage femme : La maison de mon enfance, éternelle prison
Témoignage
Publié le 22.04.2007