A 45 ans après des années de psychiatrisation ma vie prends enfin sens. Petite fille (environs de 5 ans) j'ai été abusée par mon grand-père maternel. J'ai tout refoulé absolument tout. S'en est suivi une enfance à peu près heureuse. Je dis bien à peu près car je crois que tout n'étais que paraître. Déjà petite je n'étais pas sur la même longueur d'onde que mes copines. Toutes rêvaient du prince charment, de mariage, d'enfants. Pour moi rien de tout cela. Je ne me voyais pas vivre au-delà de 30 ans pourquoi 30 ? je ne sais pas je suppose que quand on a 11, 12, 13 ans cela paraît déjà vieux !
A l'école je me suis toujours fait remarquée par mes clowneries il n'y a rien que j'aimais tant que faire rire mes copines. J'ai eue une scolarité très peu brillante. Il a fallu toute la pugnacité de ma mère avec copie de psy à l'appui, certifiant de mes capacités intellectuelles nettement supérieure à la moyenne pour que je passe en classe supérieure. J'ai commencé à développer une anorexie vers 16 ans. Je me souviens très fortement d'une ma première période anorexique. J'avais tout le temps froid, ma grand-mère maternelle me trouvait bien maigrie, c'est la seule à avoir fait la remarque. Je me souviens d'un soir d'hivers ou je partagais ma chambre avec elle, je lui ai demandé de me coller à elle, j'avais tellement, mais tellement froid.
Une fois le bac en poche, je me suis "sauvée" au USA pour 3 ans. Consciemment et officiellement je partais vivre avec l'amour de ma vie un franco américain : Alexandre. 2 mois après mon arrivée à Boston et 2 mois de violences sexuelle la rupture a été brutale, mais je suis restée aux USA, il n'était pas question pour moi de rentrer en France la tête basse je devais savoir parler anglais couramment.
De retour en France, toujours pas question de faire des études, je voulais être autodidacte. J’ai assez rapidement trouvé du travail et m'y suis perdue. J'étais très performante chez IBM Europe, je suis devenue cadre rapidement. Je donnais tout mon temps. Parallèlement je m'épuisais dans les salles de sport en diminuant drastiquement mon alimentation.
Et puis il y a eu une restructuration dans la société et j'ai perdu mon emploi. Ma descente aux enfers a commencée j'avais 21 ans. Je maigrissais toujours plus, j'ai fait une première tentative de suicide considérée par mon entourage comme un "chantage". J'ai rencontré ma première psy qui était alors en poste à l'hôpital Saint Anne à Paris. Il s'en est suivi une période presque ininterrompue de 4 ans au pavillon I. J'ai là expérimenté toutes les joies de la psychiatrie et bien sûr avalé énormément de psychotropes. Allant de L'Haldol au Nozinan,(anti psychotique puissant) Tercian, Modecat, Largactil, survector, annafranil, sirop de chloral, tranxene, valium ect ect..... J’en passe les lister tous serait fastidieux.
J'ai vécu dans un autre monde pendant 4 ans. J'ai pour la première fois à Saint Anne évoquée l'inceste avec mon grand père. J'ai su plus tard par le plus grand des hasards (j'ai pu lire un rapport d'hospitalisation que dans le service du pavillon I, ils mettaient cette évocation de l’inceste sur le compte d'un délire supplémentaire !).
« Echappée » de Saint Anne par l'entremise d'une autre psy j'ai fréquenté presque tous les hôpitaux de Paris, aux urgences ou aux services psychiatriques. J'ai multipliée pendant presque 10 ans les passages à l'acte : nombreuses scarifications sur tout mon corps, brûlures de cigarette, anorexie et ou boulimie sévère, tentatives de suicides très nombreuses dont quelques une on faillit m'être fatale. Je ne supportait alors que très difficilement les frustrations . C'est suite à une crise de boulimie, alors je tentais de me faire vomir avec l'aide d'une petite cuillère que dans un spasme de déglutition de l'ai avalée. Cela m'a valu une lourde opération dont j'aurai toujours la cicatrice sur le ventre (14cm)
J'ai passé mes dernières années d'hospitalisation à l'hôpital Saint Antoine, j'y ai là rencontrée une psychiatre extraordinaire qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour me prouver que je n'étais pas folle. Je croyais fermement à ma folie. 4 ans dans un service psychiatrique fermé cela marque. Cette psy m'a encouragée à reprendre mes études. J'ai débuté à 30 ans des études de psychologie clinique. Pendant mes études et même pendant mes partiels ou mes stages j'étais très souvent hospitalisée et je bénéficiais de "permissions" pour aller à la fac. J'ai passé et obtenu tous mes examens brillamment en continuant à prendre de fortes doses de médicament. Je suis maintenant diplômée d'un DESS de psychologie clinique de l'université de Paris VII Jussieu.
Ce n'est pas parce que j'ai obtenu ce diplôme que ma vie c'est éclaircie pour autant. J'ai continué à n'avoir absolument aucune vie sociale, je dépendais totalement de mes parents qui payaient mon loyer et je n'avais évidemment aucune vie amoureuse. Mes différents postes de psychologue se terminaient toujours par une fin brutale de mon fait. Ma carrière professionnelle n'a jamais été stable.
C'est durant ma dernière hospitalisation à Saint Antoine en Décembre/ Janvier 2007 que le psychiatre du moment m'a parlé d'un centre de thérapie dans le Sud Ouest de la France. J'y suis partie à contre cœur, pour 3 mois maximum mais avec tout de même le désir que quelque chose change. J'étais dans une impasse totale. Déclarée alute handicapée ave une invalidité à 80% depuis déjà des années, je survivais au sens propre du terme. Je n'attendais rien de la vie. Je survivais au jour le jour.
Mon séjour à "La Recouvrance" dans ce centre du Sud Ouest a duré 15 mois ! Et oui 15 mois pour apprendre à parler, pour apprendre les émotions vraies, pour apprendre à faire confiance. 15 mois sans aucun passage à l'acte (ils n'étaient absolument pas tolérés) La Recouvrance c'était l'anti psychiatrie, toute la prise en charge était basée sur la confiance mutuelle, le respect des limites nombreuses imposées et sur la PAROLE
Je suis sortie de la Recouvrance en juin 2008. J'y ai rencontrée l'amour sous les traits d'une femme. J'ai pris mes distances géographiquement d'avec ma famille et surtout d'avec les hôpitaux parisiens.
Depuis maintenant 3 ans je vie en couple avec cette femme je l'aime et elle m'aime avec tellement de respect. Je n'ai plus jamais eu aucun passage à l'acte contre mon corps.
Mais mon corps je ne l'aime toujours pas. Certes mes TCA ont très notablement diminuées mais m'alimenter n'est toujours pas quelque chose de naturel. Ma vie professionnelle stagne, je n'arrive à m'engager sérieusement nulle part. J'ai toujours peur de m'inscrire dans la vie. J'en prends pour exemple mon "addiction" aux achats. J'ai encore tendance à faire des dépenses compulsives qui me mettent régulièrement dans les soucis financiers. Comme si mon avenir matériel m'importait peu.
Je prends encore un traitement médicamenteux. Je suis toujours en analyse. Je ne parle absolument pas avec ma famille de cet inceste. Il a été entendu, accepté et cru ( grâce notamment au témoignage de ma sœur ainée qui a failli subir la même chose) mais il n'est pas question d'en parler.
Il n'est pas plus question de parler de mon homosexualité, ma compagne a été accepté c'est tout, il n'y a rien à dire.
Je vie enfin. Je vie plus que je ne l'ai jamais fait durant ces 40 dernière années. Ma vie enfin a un sens celui de l'amour et le plaisir d'une certaine Independence. Mais j'ai de la colère, cette colère elle se tourne contre le mal qui m'a été fait : le mal de l'inceste, puis le mal de la société qui ne m'a proposé comme soins toutes ces années (sauf la Recouvrance) que de me faire taire à coup de médicament et d'isolement. Contre cette société qui ne m'a jamais cru ou pire qui n'a pas voulu m'entendre.
Voilà mon témoignage
Le 06/07/2011