C'est si difficile

Témoignage Publié le 24.04.2006
Je m'appelle Véronique, j'ai 39 ans. Voilà des mois que je connais votre site. J'ai si peu confiance en moi et dans les autres que je n'ai jamais pu contribuer. Mais aujourd'hui je vais si mal j'ai besoin de parler à d'autres moi, qui ne vont ni me juger, ni me blâmer.
Mon histoire est banale à côté de celles que l'on peut lire ici. Mon père m'a violé - même s'il n'y a pas eu pénétration - entre 3 et 6 ans, puis il m'a battu pour que je me taise. A 13 ans la situation familiale n'était plus tenable. J'ai eu mon premier petit copain ce qui a rendu mon père fou de rage- et de jalousie - et il m'a jeté dehors. Lorsque j'avais 14 ans ma mère qui, si elle n'a pas actée est aussi abusive que mon père dans tous les domaines et encore plus dans ma sexualité, m'a remise entre les mains d'un juge pour enfant car elle ne voulait plus m'élever. J'ai donc vécu de foyer en foyer et puis après là ou j'ai pu. Ma soeur de 10 ans mon aînée a préféré tourner la tête - j'ai su par la suite qu'elle l'avait vu agir, m'avait entendue dire "non" mais n'avait rien fait. A leur manière, elles ont été complices, volontaires ou non.
L'acte par lui - même, si terrible soit-il, je l'accepte comme un "mauvais souvenir" mais les conséquences ont été dramatiques J'ai passé 10 ans de ma vie dans "l'héroïne" dont 7 ans ou j'étais réellement intoxiquée, environ de 14 à 24 ans. Je sais aujourd'hui que c'est ma mort que je cherchais. J'ai arrêté la drogue il y aura 15 ans cette fin d'année et vécue 10 ans à Londres avec un garçon. Une victime de l'inceste (son frère) pendant plusieurs années. Malgré notre vie commune, je n'ai jamais eu le moindre doute sur ma propre histoire. J'avais "oublié" ce que mon père m'avait fait, je ne me rappelais que des coups. Nous avions une vie sexuelle désastreuse. Suite à des infections répétées, j'ai su que je ne pourrais pas avoir d'enfants naturellement, lui n'en voulait pas. C'est tout cela qui nous a décidé à nous séparer il y a 7 ans.
De retour en France, j'ai décidé d'aller en analyse car j'étais très marquée par ce qui s'était déroulé dans ma vie intime et que je considérais comme un échec personnel. C'était comme le fil d'une grosse pelote, je l'ai saisi et je suis remontée jusqu'à l'inceste. Il y a un an que j'ai enfin compris. Que dire ? Je croyais que la drogue c'était l'enfer, j'avais tort. Cette découverte a ravagé toute ma vie qui n'était déjà pas très stable. J'ai l'impression d'être à vif et que tout me fait du mal sans ne pouvoir plus rien contrôler à tous les niveaux.
Professionnellement je suis devenue secrétaire de direction. Je n'ai jamais été bien au travail mais je gérais plus ou moins bien mes conflits avec la hiérarchie et parfois mes collègues. J'avais appris à "mettre de l'eau dans mon vin". Depuis un an je n'y arrive plus. Je viens de passer 10 mois au chômage. De nouveau en mission - dans un gros groupe ou l'ambiance est détestable - je n'arrive pas à me contrôler et la moindre contrariété me touche personnellement et ça me fout en l'air.
Ma vie privée est un désastre. Je n'ai que des aventures sans lendemain et de surcroît avec des hommes qui ne me conviennent absolument pas. Sexuellement, j'ai réglé mes problèmes de frigidité et je suis "épanouie" - ce qui est positif - mais absolument pas prudente. Je suis toujours aussi auto - destructrice. Sachant que de la drogue je garde une hépatite C, même la peur du Sida ne m'empêche pas de ne pas mettre de préservatifs parfois.
J'ai été pourtant au bout de mon histoire. J'ai téléphoné à mon père en février dernier pour lui dire que je savais. Il m'a insulté. J'ai confronté ma mère et ma soeur, mais elles continuent à nier - non pas l'acte car elles accusent mon père de tous les maux - mais leur propre responsabilité et ma douleur actuelle. Ma grand-mère - seule et unique personne qui m'a aimée - est décédée en mars dernier après 3 ans de "troubles vasculaires". Je n'ai pas pu lui parler de mon histoire. Depuis, j'ai l'impression de n'avoir plus aucune famille et devant l'attitude toujours aussi abusive de ma mère et le déni de ma soeur, j'ai arrêté toutes relations et je ne m'en porte pas plus mal. Malgré tout, je me sens vraiment seule. De cette solitude dont parle Isabelle dans la présentation du site. Seule à en crever face à toute ma douleur.
Je vais en analyse toutes les semaines. Mais j'ai un tel dégoût de tout, du monde, des autres, de moi qui ne peut pas me remettre de tout cela, de ma vie qui me semble si vaine, que je pense réellement au suicide depuis plusieurs mois. J'ai tellement honte que je n'en parle à personne - et surtout pas à mon analyste. Ce n'est pas par envie de mourir mais simplement pour être en paix, loin de toute cette merde. J'ai des amis qui m'ont aidés à passer des caps, mais même l'amitié ne me sert plus. J'ai honte de les obliger à m'aider à tenir la tête hors de l'eau. Ma seule porte de sortie - encore une fois - c'est de me "casser la tête", anxiolytiques pour tenir au travail, fumer pour tenir dans le privé et alcool à haute dose quand c'est trop difficile à supporter et que le coup de déprime est trop fort. Quand je regarde ma vie, je prends peur. Je me dis que cette fois ci - et pour la première fois - "ça" je ne m'en remettrai pas, même si j'ai surmonté beaucoup jusque là.
Comment reconstruire une vie toute cassée ? Qu'est ce que je vais faire si je peux plus supporter même le quotidien ? Je suis soulagée d'avoir découvert mon histoire, je ne regrette rien de ce que j'ai fait. Mais je suis trop fatiguée pour gérer tout cela. Les problèmes de travail, de fric, de relations humaines, cette solitude même dans la vie de tous les jours que je n'arrive plus à surmonter, plus cette histoire de vie trop douloureuse. Quel avenir pour moi dans ce monde où je ne suis jamais à ma place ? Je me sens en perpétuel décalage avec les autres, pas les mêmes soucis, les mêmes centres d'intérêts - si j'en ai encore. J'ai fait une croix sur l'idée de trouver quelqu'un qui m'accepte telle que je suis et sur l'idée d'avoir un jour des enfants. J'ai l'impression de n'avoir rien construit, rien de solide sur quoi m'appuyer pour continuer à vivre et enfin être - sinon heureuse - au moins bien. Tout ce pourquoi je me suis battue, l'arrêt de la drogue, avoir un travail valorisant et mieux payé, reprendre des cours pour mieux m'insérer dans ce monde qui ne me voulait pas, j'ai l'impression que cela ne me sert à rien. Je suis perdue.

Désolée de cette contribution trop longue.
Véronique