Depuis des années je me tais

Témoignage Publié le 10.12.2014

Depuis des années

je me tais.

Je suis un homme de bientôt 38 ans, je suis sorti du déni vers 20 ans : j'ai été victime de celui qui était censé être mon père.

Par quel bout commencer ? Il faudrait que je le fasse chronologiquement mais j'en suis incapable, ne sachant toujours pas quand ça a commencé.

Je suis né quand je suis sorti du déni, avec déjà 20 ans de perdu ! Depuis longtemps je me défonçais la tête du matin au soir sans savoir pourquoi, la vie au jour le jour, c'était comme ça.

Et puis j'ai rencontré "R", cette fille qui, sans le savoir, m'a sauvé la vie. C'était la première fois que j'étais vraiment amoureux, sentiment magique mais qui a fait remonter un premier souvenir. Ça m'a démoli tout en ouvrant une brèche dans mon déni.

J'étais seul, en descente d'acide comme souvent, n'arrivant pas à m'endormir je cogitais et mes pensées se son enchaînées rapidement, sans contrôle. Je me demandais pourquoi ma vie était comme ça, pourquoi j'étais si mal dans ma peau, pourquoi c'était si difficile d'être amoureux. L'introspection fatale, la question de trop et voilà la sale face de mon géniteur qui s'impose, très près de moi beaucoup trop près comme si... "Qu'est ce que c'est que ça !?" à ce moment, je ne comprenais pas d'où venait cette image qui n'avait rien à faire dans ma tête. Il fallait que je sache !

Je me suis dit que je l'avais peut-être cherché : à me défoncer comme ça il se pouvait que je soi devenu complètement barge, j'avais déjà vu des gens à qui c'était arrivé alors pourquoi pas moi ? C'était plus "confortable" de penser que ça venait de la drogue, de ma faute, plutôt que de remettre tout en question.

Les semaines qui ont suivit ce premier flash je suis retourné plus fréquemment chez mes parents. Je voulais quand même observer ce type, le cerner afin de savoir si j'étais en train de perdre les pédales ou si il avait vraiment pu faire ce genre de truc, je n'avais pas de plan, simplement j'observais mais avec un recul nouveau. D'aussi loin que je me souvienne je l'ai toujours détesté mais plus le temps passait plus mon dégoût de lui grandissait sans que je ne trouve aucune justification à ce dégoût. Mais je repensais évidemment à ce flash, en creusant petit à petit à partir de là dans mes souvenirs. Si c'était vrai c'était insupportable pour moi, mais si c'était faux j'étais dingue... La peste ou le choléra, un problème sans solution, insurmontable seul.

Perdu dans cette bouillie, je décidais d'en parler à ma mère en lui demandant si selon elle c'était possible. Visiblement elle n'en croyait pas ses oreilles mais j'insistais. Elle a fini par en parler à son mari (mon géniteur) et elle a voulu qu'on ait une discussion tous les trois sur ce sujet. Quand elle lui a demandé si "ça" avait vraiment eu lieu ou pas, il a nié d'une étrange façon, "je ne me souviens pas" affirmait-il, c'était bizarre comme dénégation, pas franc et ça a troublé ma mère. Au point que, n'arrivant pas à savoir elle-même, elle a décidé de prendre rdv chez une psychothérapeute familiale pour qu'on y aille à trois.

On est allé à quelques séances sans avancer puis, devant l'insistance de la psy, il a finalement reconnu que c'était bien arrivé, ce souvenir je ne l'avais pas inventé, il avait bien rentré son immonde langue dans ma bouche quand j'avais 11 ans, il a reconnu ça ainsi que toute la scène autour de ce premier flash : J'avais 11 ans, je finissais de manger dans la cuisine, ma mère était partie à un conseil de classe (elle était prof) et ma sœur (elle avait 14 ans) devait être chez une voisine. Il était là, dans la même pièce à boire sa piquette, déjà pas mal aviné, et j'ai vu ses yeux, son regard sur moi, je sentais que c'était pas normal, qu'il fallait que je parte le plus vite possible de là. Je me suis dépêché de finir mon assiette et j'ai tenté de filer vers ma chambre mais il m'a suivi. J'ai commencé à courir en montant les escalier vers ma chambre, il a plongé sur moi et a réussi à m'attraper la cheville, il m'a fait tomber dans les escaliers et je me suis débattu comme je pouvais du haut de mes 11 ans en lui lançant autant de coups de pieds que je pouvais, il a fini par lâcher prise mais à continué à me poursuivre. J'ai essayé de fermer la porte de ma chambre à clé mais je n'ai pas eu le temps ni la force, je continuais à me débattre mais même ivre il était beaucoup plus fort que moi, il m'a allongé sur mon lit et s'est allongé sur moi en me répétant en boucle qu'il m'aimait, c'est là qu'il a enfoncé sa langue dans ma bouche, tout en essayant de me déshabiller. Je continuais à me débattre comme je pouvais et j'ai fini par lui donner un coup de genou bien placé, ça l'a arrêté net ! Il s'est plié en deux par terre en se tenant l'entre jambe et j'ai continué à le frapper jusqu'à ce qu'il sorte de ma chambre que j'ai finalement enfin fermée à clé.

Il est resté de l'autre côté de la porte, larmoyant, à jouer la comédie. Il me demandait pardon, me disait qu'il recommencerait plus jamais, suppliant de ne pas en parler à ma mère... tellement insistant qu'il m'a fait lui promettre de garder ce secret... Que j'ai hélas gardé une dizaine d'années de plus.

En rentrant de cette fameuse séance, après son aveu, même si c'était tendu avec ma mère, il a voulu continuer à vivre avec elle. Je n'avais pas d'appartement, je dormais à droite et à gauche au gré des rencontres mais je ne supportais pas de savoir que rien ne changeait dans sa vie à lui. Ma haine grandissait, je voulais qu'il dégage, qu'il crève même !

Je me suis renseigné pour voir combien ça pouvait me coûter de le faire disparaître, il a eu de la chance que je n'ai pas l'argent à ce moment là !

Mais il n'allait pas s'en tirer comme ça, c'était pas possible que je sois obligé de le croiser quand j'allais voir ma mère alors j'y suis allé un soir. Ma mère était sous sédatif à dormir ou à essayer de dormir, pendant que lui était tranquille devant la télé. Quant il a vu que j'étais entré dans la maison, il n'a pas tourné la tête, il s'est figé, essayant de faire comme si rien ne se passait. Ça m'a énervé, vraiment vraiment énervé !

J'ai attrapé tout ce qui me passait sous la main et je lui ai jeté à la tête pour le faire partir, il résistait encore, alors je suis allé à la cuisine et j'ai pris le plus grand couteau qui s'y trouvait, je lui ai dit "tu pars ou je te tue". Il s'est enfermé dans une pièce, et il est sorti par la fenêtre pendant que ma mère appelait les flics. j'ai lâché le couteau, mais j'ai continué à le poursuivre, j'ai commencé à défoncer la porte, là je voulais vraiment tuer ce porc, puis j'ai compris qu'il était sorti par la fenêtre alors je suis sorti et j'ai continué à le poursuivre mais je me suis trouvé nez à nez avec un fourgon de gendarmes (la gendarmerie était à 500m).

Ils l'ont protégé, j'ai échappé de peu à un internement grâce au médecin de famille qui me connaissait bien et m'a fait confiance, j'avais gagné cette bataille, j'ai réussi à le faire dégager de cette maison !

Les jours qui ont suivis, il a essayé une fois de revenir mais j'étais là et il est reparti encore plus vite.

J'ai continué à me défoncer pendant un an ou peut-être plus, je n'arrivais plus à manger sans coke, ma bouche me faisait mal de trop d'acides, je pesais moins de 50kg un cadavre sur pattes, je galérais comme un fou pour trouver l'argent et partais complètement en vrille, je n'en pouvais plus. Je me suis réinstallé chez ma mère en voyant de moins en moins de monde, je me suis sevré comme ça, en picolant un peu au début et puis plus rien.

J'ai commencé à ressortir tout doucement, en évitant autant que je pouvais les lieux de deal et surtout mes amis qui eux étaient restés dedans. J'ai fini par rencontrer une jeune femme qui était en formation dans ma ville, elle venait de la ville voisine, on est tombés amoureux et je suis parti m'installer avec elle à 300km. Elle avait vécu l'inceste elle aussi, son frère.

C'était une fille qui avait beaucoup d'énergie et à son contact j'ai commencé à relever un peu la tête, j'ai fini par trouver du travail et je commençais à m'insérer normalement.

Sexuellement par contre j'étais toujours comme un spectateur de moi-même, dissocié, le corps était là et fonctionnait comme on s'y attend mais j'étais comme glacé à l'intérieur. Parfois j'avais l'impression d'être un agresseur avec elle quand on faisait l'amour, de profiter d'elle alors que ce n'était pas le cas, on était amoureux !

Au bout de deux ans elle a voulu un enfant et je ne pouvais pas, je ne voulais être père à aucun prix. Surtout ne pas transmettre ces gènes immondes, ce sang qui était aussi celui de mon incesteur, mon visage qui ressemble énormément au sien et qui me dégoûte encore aujourd'hui, mon nom qui est le sien et que j'aimerai changer, bref, cet héritage de merde. Elle est partie.

J'ai recommencé à fumer du matin au soir en déprimant

Voulant savoir ce qu'était devenue "R" (j'avais gardé beaucoup d'affection pour elle), je suis retourné dans la ville de ma mère pour un week-end et j'ai retrouvé la bande que je fréquentais avant, j'ai compté les absents, en prison, au cimetière, j'avais peur que ça ait mal tourné pour elle.

je suis allé chez son frère et j'ai appris que ça allait pas mal, qu'elle était heureuse avec un mec et j'étais content qu'elle s'en soit sortie. Elle allait venir pour me voir, on m'a dit qu'elle était contente que je sois revenu, j'étais impatient, mais vie de merde jusqu'au bout : elle s'est tuée en bagnole et je n'ai pu la revoir que morte!

Ça m'a anéanti, après la crémation je suis reparti chez moi à 300km, dans cette ville où plus rien ne me retenait puisque ma compagne m'avait quitté peu de temps avant. j'ai fait mes bagages et je suis parti à l'autre bout de la France.

J'ai bossé un petit peu, je ne voulais plus entendre parler d'amour c'était terminé pour de bon : plus jamais.

Je suis vite retombé dans la came, deux ans de perdu encore !

Retour chez ma mère, re-seuvrage... et re-rencontre (plus jamais j'avais dit ?)

J'avais 28 ans et j'ai rencontré une étudiante de 19 ans, la différence d'âge m'a mis mal à l'aise j'avais encore l'impression d'abuser. Dans cette relation c'était très compliqué, moi j'avais arrêté les drogues mais elle était dans les benzos et les anxios qu'elle prenait sans consulter de médecins et à un rythme effrayant, souvent plusieurs plaquettes dans la journée. Complètement ingérable et manipulatrice, mais je suis resté 6 ans avec elle! Elle a finit par péter un câble et à se faire interner, diagnostique : personnalité antisociale.

J'ai eu un mal fou à sortir de cette relation, elle est allée jusqu'à tenter de me pousser au suicide, elle a essayé de me démonter auprès des rares amis que j'avais en racontant les pires mensonges sur moi.

Pendant cette "relation" je m'étais mis de côté complètement, effacé pour essayer de la faire aller mieux elle, alors qu'elle n'en avait aucune envie, et, rétrospectivement, ne faisait que jouer la comédie.

Très refroidi par cette histoire, comme toujours je me suis dit que c'était terminé pour de bon cette fois, on ne m'y reprendrait plus, et pourtant…

Depuis 2 ans je vis avec une femme que j'aime, elle a 10 ans de plus que moi et a 2 garçons avec qui heureusement je m'entends bien. On s'est mis d'accord pour vivre chacun chez soi parce qu'on a besoin de notre espace vital de temps en temps et qu'on a vécus tous les deux des histoires amoureuses compliquées dans le passé, bref on trouve ça pas mal comme ça. Ça m'arrange parce que je veux pas faire supporter toute cette histoire à ses enfants.

J'ai expliqué à ma compagne ce que j'avais vécu et elle m'a soutenu, elle m'a encouragé à essayer l'EMDR, m'a même passé l'adresse d'une thérapeute avec qui ça se passe bien. Même si c'est super dur je sens que j'avance enfin dans la bonne direction.

Je vais parler, aller porter plainte est ma prochaine étape, le but de mes séances d'EMDR.

Alors je creuse, j'ai d'autres souvenirs sur lesquels je travaille, des viols cette fois et la tactique de mon incesteur se révèle, calculée et insupportable, je n'en ai parlé que pendant l'EMDR. J'essaye d'être capable de les verbaliser pour aller porter plainte, ça devient urgent parce que dans quelques mois j'aurais passé le délai de la prescription et j'ai envie de mettre toutes les chances de mon côté pour arriver jusqu'au procès, pas question que ça soit correctionnalisé. Je veux qu'il paye pour ce qu'il m'a fait et qu'il soit hors d'état de nuire encore.

Cette échéance pèse énormément sur moi et ça se ressent dans mon couple, j'espère que je ne fais pas tout ça pour rien.