Il a fallu d'une fois

Témoignage Publié le 20.01.2021
Face_a_linceste_28419717_XS.jpg

Ce qui me conduit à apporter mon témoignage, c'est ma fille de 15 ans. Je lui en ai parlé aujourd'hui pour la première fois et je pense en parler à mon fils.

Nous écoutions les informations à la radio et le sujet portait sur l'inceste. Elle ne comprenait pas pourquoi les victimes d'inceste prennent des années pour dénoncer leurs prédateurs. Je voulais qu'elle comprenne que ce n'est pas si simple. Lorsque l'on subit, l'infâme et l'innommable acte de l'inceste surtout enfant, on ne se rend pas compte du poids de la culpabilité que l'on porte, des questions que l'on se pose : "Pourquoi ? ", "C'est normal ce qui arrive ? ", "Qu'est-ce qui va se passer si je raconte tout aux parents ?"... Il faut tenir compte de ces pensées et du contexte familial dans lequel l'enfant évolue. Il faut être prêt à assumer la fracture familiale qui va suivre la dénonciation. Il faut être prêt à dire ce qui est arrivé et revivre les moments qui vous ont mis en pièce. Dans mon cas, je n'ai pas subi d'actes répétés, mais il n'aura fallu que d'une fois pour que ma vie devienne "méfiance" et "dégoût de soi".

Ce jour-là, mes parents étaient absents. Mon oncle, le plus jeune des frères de mon père, logeait chez nous à l'époque et nous l'aimions beaucoup mes frères à moi. Il nous gardait et nous proposa de faire une partie de cache-cache. Il m'entraîna dans la salle de bain afin de nous y cacher, mais ce qui devait être un jeu a fait voler mon innocence en éclat. J'avais 8 ans quand il m'obligea à lui faire une fellation et pendant que je subissais cet acte odieux, j'entendais, mes frères, nous appelant et nous cherchant. Je me souviens de la détresse que j'ai ressenti, ne pouvant appeler ou courir vers mes frères qui se trouvaient dans le couloir puis derrière la porte. Il éjacula dans ma bouche, je me souviens du goût amer et l'odeur du sperme que je recrachais dans la baignoire. J'avais trouvé ça dégoûtant et je ne comprenais pas ce qui venait de m'arriver. Mon subconscient me protégea et j'oubliais, mais quelques années plus tard, je devais avoir 13 ou 14 ans, mon père, un jour où il ne travaillait pas et que nous étions seuls dans la maison, est entré dans ma chambre et me réveilla. Il était assis au bord de mon lit, il souleva le haut de mon pyjama et sous prétexte de me faire un cours sur la sexualité a commencé à me lécher et sucer les seins. Cela a fait tilt dans ma tête, mais je ne savais pas trop quoi faire alors je me suis levée de mon lit pour aller me réfugier dans la salle de bain, il me suivit et m'empêchant de pouvoir fermer la porte à clé. Lorsqu'il me dit qu'il voulait m'apprendre à embrasser comme une femme, j'ai vraiment pris peur et je lui ai dit que s'il n'arrêtait pas je dirais tout à maman. Il s'est énervé et il m'a repoussée. J'étais soulagée et terrifiée en même temps.

Ce qui s'était passé avec mon oncle m'est revenu et cela m'a donné la force de réagir. Je ne voulais pas revivre ce que j'avais vécu quelques années plus tôt. Après ça, pendant longtemps, rester seule avec mon père me rendait nerveuse alors je mangeais et j'ai fini par prendre beaucoup de poids. J'avais l'impression que m'enlaidir serait une bonne protection. Depuis, je n'ai jamais vraiment été très à l'aise avec mon corps et j'ai vécu mon adolescence dans la méfiance du sexe masculin. J'ai essayé d'avoir une vie la plus normale possible, mais je me retrouvais toujours dans des situations qui me rappelaient ce qui m'était arrivé. Une fois, je passais la nuit chez une "amie" à ma mère et dans la nuit, ses deux fils sont entrés dans ma chambre pour coucher avec moi. Je les ai menacés de crier pour qu'ils quittent la chambre, mais ils disaient que leur mère ne me croirait pas, qu'ils diraient que c'était moi qui les avais invités. Je n'ai pas cédé et ils ont fini par s'en aller. Le lendemain, j'appelai ma mère en larmes pour qu'elle vienne plus tôt me récupérer. Ils auraient pu me violer.

Une autre fois, c'est un oncle par alliance qui voulait me faire découvrir au nom de Jéhovah, le sexe, j'avais 16 ans. Si je vous raconte ces histoires, c'est parce que je me suis rendu compte que j'ai réussi à repousser beaucoup d'assauts de pervers en tous genres grâce à ma sonnette d'alarme interne qui se déclenchait lorsqu'il y avait danger. C'est ce qui me poussait à réagir et me défendre. J'aurais aimé qu'elle soit déjà en moi lorsque mon oncle s'en est pris à moi. Tous ces actes ont pourri ma vie. Je ne sortais quasiment jamais et j'étais très agressive avec les garçons. Je ne regardais rien autour de moi et si je devais me retrouver seul avec un garçon, j'avais cette peur qui ne me lâche plus. Lorsque j'ai eu mes 18 ans, mon frère aîné m'a présenté un ami. Lors d'une soirée pour fêter ma majorité, cet ami était là et on a parlé longtemps, on a dansé et je me sentais en confiance avec lui, lorsqu'il m'a raccompagné, il m'a embrassée et mon alarme ne s'est pas déclenchée. On est sorti ensemble et il a attendu 1 an avant que nous ayons notre premier rapport sexuel.

Aujourd'hui, j'ai 43 ans et nous avons deux merveilleux enfants ensemble, une fille et un garçon. Mon mari était jusqu'à présent le seul à connaître ce passé douloureux pour moi et qui a bouleversé ma vision du monde et des gens. Il est très patient et doux, il a réussi à m'apaiser. Cependant, lorsque j'ai eu mes enfants, pendant des années, je ne voulais pas les laisser seuls avec lui, car j'avais peur qu'il leur fasse du mal. Je ne voulais pas qu'il abuse d'eux. Alors je les gardais près de moi comme une lionne prête à bondir. Cela aussi, j'ai réussi à le dépasser. C'est un excellent père. Nos enfants ont grandi dans l'amour, la confiance et ont vécu leur innocence. Malgré tout, je peux dire que je suis heureuse dans ma vie, mais je n'arrive toujours pas à oublier, je ne peux pas oublier, je ne veux pas oublier et si j'ai réussi à pardonner à mon père, je ne peux pas pardonner mon oncle, car il est la source du mal qui m'a rongé et me ronge encore parfois (comme aujourd'hui, alors que je témoigne). Je ne peux plus rien faire contre lui à cause du délai de prescription, mais s'il y n'avait pas prescription, peut-être que je parlerais aujourd'hui. La loi étant ce qu'elle est, je ne voulais pas apporter de nouveaux troubles.

C'est donc la première fois que je raconte mon histoire sur ce que mon oncle m'a fait. Mes parents sont divorcés depuis longtemps déjà et je n'ai plus de contact avec la famille du côté de mon père et s'est très bien ainsi. Peut-être qu'un jour j'en parlerais à ma mère, mais pour le moment j'ai peur de lui briser le cœur, car elle a déjà tant subi, elle-même victime de violences conjugales pendant des années, je ne souhaite pas lui rajouter cette douleur pour le moment. J'en parlerais peut-être à mes frères que j'aime tant, mais pourront-ils le supporter ? J'ai décidé de ne pas confronter mon père pour ce qu'il a fait à son tour. Sa femme l'a quittée, ses enfants et petits-enfants sont très loin de lui, il est seul et malade. Ai-je pitié de lui, probablement, je pense qu'il paie suffisamment. De plus, je crois au Karma, les personnes commettant des actes malveillants envers et/ou sur autrui récolteront toujours ce qu'ils ont semé et au centuple. Je veux donner tout mon soutien et mon amour à tous ceux qui comme moi ont vu leur vie brisée par l'égoïsme d'un proche. Qui ont dû et doivent réapprendre à vivre ou revivre, à faire ou refaire confiance aux autres (cela demande des années). Mes larmes coulent encore quand j'y repense. Mais, j'ai décidé de me battre pour que ma vie soit belle et si vous êtes victime d'inceste ou d'autres agressions sexuelles non consenties. PARLEZ et BATTEZ-VOUS, vous avez le droit d'être égoïste et de penser à vous et rien qu'à vous. Ne laissez personne vous faire subir ce que vous ne voulez pas. Votre corps vous appartient, à vous et vous seul. Et si vous avez peur pour votre famille, alors dites-vous qu'une vraie famille, c'est celle qui vous protège, vous accompagne dans la vie et souhaite votre bonheur. Merci à l'association Face à l'inceste de m'avoir permise de témoigner.