Mon corps, ce sale traître

Témoignage Publié le 02.02.2020

Mon corps, ce sale

traître

10 janvier 2016, je me décide ce soir. Je me mets face à mon ordinateur et je tente d'écrire ce qui est en moi. Je suis prisonnière, enfermée dans mes émotions. Je suis prisonnière de ma peur. Je suis prisonnière de mon secret. Mon corps ne cesse de me demander de crier. Mon corps ne cesse de me demander de parler. Mon cœur en a réellement le besoin et l'envie mais mon cerveau lutte pour que je me taise. Hélas pour moi, c'est ce dernier qui gagne. Alors, je me tais. Pour se venger mon corps me fait mal. Il me fait mal de partout. J'ai mal au dos, j'ai mal au torse, j'ai mal aux pieds, aux bras, à la tête. Tous les jours une nouvelle partie de moi se manifeste.

Je ne peux pas parler... Alors j'essaie d'écrire. Je ne sais pas où cela va me mener. Je vais laisser parler mon cœur. Je vais laisser parler mon âme. Par quoi commencer ? Si je commence par les causes, je tue le mystère. Alors je vais commencer par les conséquences. Peut-être certains comprendrons assez vite ce qui m'est arrivée. D'abord, pour rassurer les lecteurs. Il ne m'est rien arrivé de grave en tant que tel. Le contexte dans lequel c'est arrivé rend les événements beaucoup plus complexes pour moi.

Je pense que certains vont être déçus... Rien de trash... Tiens, c'est étrange, je me prends en flagrant délits de minimisation des faits, ce qui me cause encore et toujours préjudice dans la reconnaissance de ma souffrance. Il est fort probable que je sois dans l'incapacité de tout écrire d'une traite. Que je fasse des allers et retours dans la chronologie. Je ne sais même pas par quoi commencer. Le début ? J'ai bien des difficultés à tirer sur le fil et à trouver le début de la bobine. Je vais donc commencer par parler de moi aujourd'hui...

Je m'appelle Nancy, en fait non. Ce n'est pas mon prénom. C'est celui que je me donne pour qu'on ne me reconnaisse pas. Je ne peux pas dire qui je suis. Je suis une femme comme il en existe des millions sur terre. Je n'ai rien fait d'extraordinaire pour écrire un livre sur ma vie. Mon vécu n'a rien d'extraordinaire. Il est juste fait de solitude et de petites souffrances qui se sont accumulées et qui aujourd'hui n'arrêtent pas de vouloir sortir de ma tête et de mon corps, mais je les en empêche car je suis coincée.

Parlons de mon corps. c'est un sale traître. Il ne m'aime pas et je ne l'aime pas. Il est gros. Oui, je suis grosse, 90 kg pour 1m65. On peut même dire d'un point de vue médical que je suis obèse... J'ai un grand nez. Mon mari et mon fils n'arrête pas de me taquiner à ce sujet. La peau de mon visage un peu rouge, ce n'est pas de la couperose, mais j'ai toujours eu les joues colorées. Une fille de la campagne quoi ! On me dit que j'ai de jolis yeux bleus, expressifs. Ils sont à peine symétriques et assez centrés autour de mon nez. J'ai une bouche bien rouge, pulpeuse. Les lèvres sont délicatement ourlées. J'en suis assez fière d'ailleurs. Mes oreilles sont légèrement décollées et plus grandes que la moyenne. Pour mieux entendre mon enfant !!! Entendre quoi ? Pfff ! Rien. Car y'a rien à entendre. Ce corps, je ne l'ai jamais aimé. Je n'ai jamais su en prendre soin. Je n'ai jamais su l'écouter. C'est encore un problème.

J'ai dit qu'il était un traître. Au minimum, il n'est pas mon ami. Même quand j'ai voulu être mère, il a refusé de fonctionner normalement. Des ovaires micro-polykistiques en ont perturbé l'ovulation. Ma gynéco d'alors m'a demandé de perdre du poids car les comprimés et les injections n'arrivaient à rien. J'ai réussi à perdre quelques kilos. Je suis tombée enceinte et j'ai tout repris. A quoi est due cette prise de poids ? Parce que j'ai un très mauvais rapport à la nourriture ou est-ce dû aux ovaires micro-polykistiques ? A moins que mes ovaires micro-polykistiques soient dus à ma prise de poids. Les deux certainement.

Depuis mon adolescence, je mange énormément. Enfin, je mange lorsque je suis seule, le soir. Je grignote. J'ai besoin de remplir mon ventre pour combler la béance de mon âme. A l'instant, mon fils vient de se coucher. Mon mari travaille. Je sais que dans une heure, mon estomac va se manifester. Les images vont envahir mon cerveau. Un malaise s'installe dans mon ventre. Je n'arrive plus à regarder le film qui défile devant moi. je ne comprends plus les dialogue. Je sens comme une spirale entre mon sternum et mon diaphragme. Ma respiration se raccourcit... J'ai l'impression de me liquéfier, de transpirer. C'est insupportable comme manifestation corporelle. Cela dure tant que je ne cède pas. Alors, mes forces m'abandonnent. Je lâche prise et je mange. Oh je pourrais grignoter quelques carrés de chocolat, mais non. Il faut dans ces cas-là remplir mon ventre jusqu'à ce qu'il soit douloureux. Ensuite, je me sens à la fois mal et rassérénée. Je suis pleine ! l'apaisement est presque instantané. Pourtant, vient inéluctablement une forme de culpabilité. Parfois, j'aimerais avoir la force d'aller me faire vomir, mais je n'en ai pas le courage. Alors, je vis avec ma culpabilité.

Lorsque je me sens plutôt bien, je ruse en prenant une tisane. Mon cerveau est blousé. J'en suis fière. Mais dès qu'une période trouble arrive, les efforts deviennent impossibles. Je suis incapable de le duper plus longtemps. Je dois céder. Alors au bout d'une semaine j'ai déjà pris 1 voire 2 kilos. Ce scénario est répétitif et inévitable. C'est tellement fatigant. J'alterne des périodes de pertes de poids où j'ai l'impression d'être sortie de l'impasse et patatras tout recommence.

Mon corps est un traître car il est capable de prendre le pas sur mon cerveau. Lorsque je conduis, il m'arrive d'avoir peur. L'angoisse monte. Mon corps ressent des choses étranges que je ne comprends pas. Il sent la voiture chasser sur le côté. Lorsque je passe sur un pont ou que je suis en montagne, je me sens attirée par le débats. Ce sont des sensations réellement physiques nées dans mon cerveau quasi malade. Dès que je suis dans une situation que je ne peux maîtriser, mon corps me le rappelle et se manifeste pour que je trouve une solution pour mettre fin à cette situation de stress. Mon homéopathe dit que mes glandes surrénales fonctionnent mal... Ha ! Cela me laisse perplexe. Cause physique ? Cause psychologique ? Je ne vous cache pas que j'opte à l'origine pour la deuxième origine.

Mon corps me fait continuellement mal. J'ai mal aux articulations. J'ai des douleurs fulgurantes à des endroits bien localisés. L'année dernière, j'avais de la paresthésie faciale avec des douleurs dans la nuque. Mon médecin a cru à un Accident Vasculaire Cérébral. J'ai donc passé un IRM en urgence. Il n'y avait rien. Il m'a donc orienté vers un neurologue qui m'a fait passer des tests pour voir si mes nerfs n'étaient pas abîmés. Rien non plus. Alors, elle a dit que c'était le stress. Tout en est resté là !

Cette année, un matin au réveil une douleur atroce dans mon bas ventre s'est manifestée. Je n'ai pas pu aller travailler. Mon mari a pris sa journée pour m'accompagner aux urgences. Après échographie abdominale et scanner et une deuxième échographie deux jours plus tard, il s'est avéré qu'un de mes kystes s'étaient rompus. Depuis, régulièrement, d'autres kystes apparaissent et se rompent. Par contre, au détour d'une échographie, un médecin a détecté un kyste sur mon pancréas. Alors j'ai dû repasser un scanner. Entre la première détection et le scanner, s'est écoulé deux mois particulièrement angoissant. Tout est passé dans ma tête. J'ai évidemment songé au cancer. J'ai donc bien un petit kyste sur le pancréas, mais les médecins ne semblent pas s'en inquiéter. Si aucun autre symptôme n’apparaît, les choses resteront en l'état. Je pense que j'aurai toujours un peu peur.

En fait, j'ai le sentiment que la colère m'habite de manière continuelle. J'ai l'impression qu'elle tourne et retourne mon cerveau. C'est une mauvaise amie qui ne me quitte jamais vraiment. Elle est là tapie dans l'ombre. Elle surgit souvent, sans que je sache pourquoi. Un rien la déclenche.  J'ai besoin de tout contrôler. Quand je me regarde fonctionner, je me fais horreur. Je déteste cette manière d'agir, mais je n'en connais pas d'autres. J'agis exactement de la même manière que d'autres avant moi.

Pourquoi suis-je si en colère ? Je sens que c'est lié à cette rage que j'ai ravalée au fil de mon enfance. Est-ce parce que je n'ai pas eu le courage, ou la force. Ou est-ce que c'est parce qu'on ne m'a pas permis de parler. Un jour je pense que c'est l'un, un jour je pense que c'est l'autre. Mon frère m'a agressée sexuellement pendant à peu près trois ans... 

Voir le témoignage : l'instrument de la découverte de sexualité de mon frère.