Témoignage femme: Merci au témoignage de Sabine qui m'a donné la force d'écri

Témoignage Publié le 07.04.2006
Il me tournait le dos. "Ta mère va mourir, tu sais". Je reste là, et je n'éprouve rien. Il a l'air si triste. "Je vais faire à manger, Pa". Il a l'air si triste. Il est méchant, je le sais. Il passe son temps à me faire du mal. Il me donne des sobriquets, tous plus insultants les uns que les autres. "Menton en galoche". Mais aujourd'hui, je lui pardonne.Il est triste. Sa femme va mourir. Ai-je de la peine? Sa femme, c'est ma mère. Oui, je crois. Mais on m'a appris à ne pas m'appitoyer sur mon sort. Et puis je lui en veux à ma mère. Je ne sais exactement de quoi. Elle est toujours en train de se plaindre. Elle ne s'occupe pas de moi. Toutes ses phrases commencent par "moi, je".
Mon père lui dit parfois d'arrêter de se plaindre.Alors elle dit que personne ne la comprend. Cela me fait doucement rire. Elle est pénible ma mère. Elle lit mon courrier, m'empêche de voir mes copines. J'en ai plus tellement d'ailleurs. A l'école, je suis de plus en plus seule. A la maison aussi. Je me suis construis un univers. Dans le fonds, je m'en moque qu'elle soit à l'hôpital. "Ta mère, elle est toujours en train de se plaindre". Parfois ils se disputent. C'est terrible. Il boit, elle pleure. C'est moi qui vais chercher le vin. Il m'a dit un jour "si tu veux pas que je bois, vas pas me chercher de vin". Un jour, je faisais la vaisselle. Ma mère me dit
-"tu ne ferais pas une course pour moi? N.?"
- "Non". Je dis "non". S'il veut du vin, qu'il aille le chercher tout seul"
-"tu ne dois pas parler comme çà à tes parents".
Une tape sur la tête.
Mais aujourd'hui il est triste. Je suis contente. Non,pas qu'il soit triste. J'ai l'impression qu'il est humain, que quelque chose va enfin changer dans cette maison. Je prépare le repas. Une soupe en sachet. J'ai confondu vingt minutes et vingt secondes. Les légumes sont durs. Il rit. "C'est rien petite, çà arrive". Il est gentil. Je retrouve mon cher papa. Quand j'avais cinq ans, j'adorais mon père. Je suis son"petit soleil". Ma mère est toujours en train de gronder, mais lui, il est gentil. Quand Marie-Pierre a un cadeau, il m'achète le même, et même un plus beau. Il dit à ma mère que j'ai des parents qui sont vieux. Il faut bien qu'"elle ait des avantages". Mon père travaille de nuit. Il fait la sieste la journée. Je vais dans le grand lit avec lui. On dort et on fait des jeux. Celui de la couverture. Parfois, pour me récompenser, il me donne à manger. Ma mère dit toujours que je suis sa préférée, et je sens qu'elle est jalouse. Moi, j'adore mon père, et ma mère, elle se plaint toujours. Il m'emmêne partout, au Pmu. Les autres-mes frères et soeurs- aimeraient bien être comme çà avec lui.
-Autrefois, c'était E. N n'était pas née. Tu te souviens ? X?
Cela me fait mal quand ma mère me dit çà. Je veux, toujours rester la préférée de Papa.

Il me dit que la soupe est bonne. Il me propose du vin. Je ne veux pas de vin. Maman ne serait pas contente. -"Ta mère n'en saura rien"
Mais je n'ai plus cinq ans, j'en ai douze et demi, et je sais que c'est mal. J'ai peur brusquement. Je sens que quelque chose ne va pas. Il est bizarre. Il me dit: "-tu te souviens, quand tu étais petite, tu adorais jouer avec moi". Oui, je me souviens, mais cette fois çà me fait peur. La religion a dit que c'était mal. Je ne sais pas exactement expliquer pourquoi mais je sens que c'est très mal. Je fais semblant d'être bête. Je dis que j'aimerais bien aller voir Maman à l'hôpital. J'ai peur. Dieu que j'ai peur. Je fais l'idiote. Il sort dans le jardin. Je débarasse la table, fais la vaisselle. Je vais me laver. Nous n'avons pas de salle de bains à la maison. Il faut se laver dans la cuisine. C'est samedi, nous nous baignons toujours le samedi.J'ai besoin de me laver. Je suis en jean. Je me lave. Il frappe violemment à la porte. Je lui dis d'attendre. Il frappe à nouveau. "Allez, petite, ouvre c'est ton père, je t'ai déjà vu toute nue".J'ouvre, je suis gênée. Son regard, c'est dégoutant. Après, c'est le trou noir.
Ma mère rentre de l'hôpital. Elle veut sans cesse que je lui masse le dos. Elle se plaint. Les cicatrices lui font mal. Elle me parle de son opération. Moi, je prends l'habitude de ne plus être là. Je suis là bien sûr, mais ma tête est ailleurs. Je lui masse le dos. Cela me gêne. Elle me dit que cela lui fait du bien. Elle dit :
-Il y a quelque chose qui ne va pas, petite?
je réponds que çà va, que je suis fatiguée, c'est tout.
Elle m'explique encore et toujours qu'elle me connaît mieux que je ne me connais moi même. Un jour, j'ai fondu en larmes ,comme çà. Quand elle m'a demandé ce que j'avais, j'ai dit que j'avais peur d'attraper la siphylis. Elle riait.
-Mais non cela ne s'attrape pas comme çà.
Elle a raconté cela à tous mes frères et soeurs. Il y avait leur mari. J'étais gênée. Un de mes bofs est venue me dire :"Tu as mangé du gros saucisson ? Tu sens ta petite moule s'ouvrir? "
Je me sens sale. Alors je ne mange plus. Plus rien. Je deviens maigre.Il n'y a ni pèse-personne, ni miroir dans la maison. Enfin, si, il y a un miroir mais quand on se regarde,ma mère dit que je vais voir le diable. Je deviens maigre. J'ai envie de devenir translucide, transparente. Je reste des jours sans manger. Une prof me dit que je suis trop maigre, elle me demande si cela ne va pas. J'ai envie de parler, mais de quoi? Je ne me souviens plus de rien. J'ai écrit un texte. Elle me dit quelque chose mais je ne me souviens plus. Elle me propose de l'aide mais je me méfie. Un jour, elle s'est moquée de moi avec le prof de maths, parce que j'étais grogy, que je ne comprenais pas ce qu'elle disait. "Ouh, ouh, il faut se réveiller."
Au sport, les autres se moquent de moi parce que je suis sale. Je ne veux pas mettre mon short. Je suis toujours à moitié sonnée. Une fille au hand fait "gris gris" et je lui passe le ballon. Elle n'est pas dans mon équipe, les autres se moquent de moi. Je suis bizarre, on se moque de moi, on m'appelle "gris gris " ou "la mouche "à cause de mes lunettes.
A la maison, c'est pire. Mon père essaye sans cesse de me coincer. Ma mère lui a dit à plusieurs reprises que maintenant elle ne pouvait plus faire l'amour. Elle me dit cela. Qu'attend-elle de moi? Je ne me lave plus. J'attrape une infection.Un truc qui me coure entre les jambes et qui me démange. Je vais voir le toubib. Il dit :
-Il faut avoir une hygiène impeccable.
Ma soeur vient avec son mari. Elle me regarde:
"Que tu es maigre, N., tu vas mourir si tu ne manges pas. "Elle me parle d'elle et dit que maintenant çà va. Ma soeur a quitté la maison comme çà un jour. Elle est partie travailler et n'est pas rentrée. Elle est revenue cinq ou six ans plus tard. Je crois qu'elle avait essayé de se suicider. Mes parents sont partis la voir. Son mari avait de grosses dettes de jeu. A cette époque, ils n'étaient pas mariés.
J'ai peur d'être enceinte. Je n'ai plus de règles. J'ai peur de mourir. Ma mère appelle le toubib. A-t-elle peur pour moi ou de la prison? J'aime à penser qu'elle a fait cela pour moi. Le toubib essaye de m'osculter. Ma mère est derrière. J'ai honte.
"Aérophagie".Ca sonne comme un tambour. Il me prescrit des anxiolitiques et dit à mes parents de me "laisser en paix ". Je ne suis pas enceinte.
Les années passent. Je prends l'habitude de m'enfermer dans ma chambre, j'enlève la poignée de la porte. J'ai eu une grande période d'insomnie mais cela va mieux. Je suis au lycée. Je suis toujours tellement macabre, mais j'ai des amis. Pendant les vacances, ma soeur me fait une crise de jalousie. Elle m'accuse de vouloir lui prendre son mari. Elle dit que je suis laide, que jamais personne ne voudra de moi. Alors je décide de me suicider. En automne. Je fixe une date. Et je suis plus gaie. "Enfin, tu deviens supportable". L'été passe. Octobre, j'ai oublié ma décision. Et puis un samedi, j'avale une boîte d'anxiolytiques. J'ai peur. c'est horrible le sentiment que j'éprouve. Je vais mourir. Je suis en haut de l'escalier. Je hurle. J'appelle à l'aide. Mon père, ma mère et mon frère, revenu pour le week end, arrivent. Je dis que je vais mourir, que j'ai avalé une boîte d'anxiolytiques. Mon frère va dans la chambre. J'ai tout mélangé dans un verre avec de l'eau. J'ai bu le verre, mais je n'ai pas eu le courage de prendre le fond du verre avec une petite cuillère. Mon frère dit que je n'en ai pas pris beaucoup. J'ai peur. Ils n'appellent pas le médecin. Mon père veut partir "aux boules ". Je reste seule avec ma mère. Sans téléphone et sans voiture.
Ma mère colle des images religieuse dans ma chambre.Ca m'énerve, je les enlève. J'obtiens le bac, classe prépa. La fac, et voilà. c'est ma vie.