Vivre avec ses traumatismes

Témoignage Publié le 20.01.2014

altVivre avec sestraumatismes. Mon univers d’enfant et d’adolescente a toujours gravité autour d’événements imprévisibles dans un environnement hostile peuplé de personnes perverses, manipulatrices, narcissiques.

Les agressions sexuelles et physiques, les deuils, les abandons successifs et la rue m’ont plongée dans un monde d’insécurité pendant 21 ans. Longtemps j’ai cru que tous les enfants et les adolescents étaient comme moi. Nous devions frôler la mort pour accepter les souffrances infligées par notre entourage. Les adultes disposaient de mon corps à volonté et occultaient mes frayeurs et mes chagrins. J’étais malléable à souhait, perturbée par l’impact des violences subies, voire dans l’incapacité de me construire normalement. Je vivais des événements extrêmes, répétés et même prolongés dans le temps ce qui avait des répercussions sur mon développement physique et sur ma santé mentale. J’étais atteinte de troubles multiples suite à la gravité des maltraitances vécues. J’ai été souvent confrontée à la mort et même à la menace de mort, à des blessures très graves, à des violences sexuelles. Tous ces événements ont toujours contribué une menace directe pour ma vie, pour mon intégrité physique et mentale. Ils produisaient à l’intérieur de moi une peur intense, un sentiment d’impuissance, d’horreur, de honte et remettait sans cesse en cause mon existence. Comment trouver la sécurité, la paix, le respect dans ces conditions ?

Enfant, je n’avais pas conscience de la particularité de ma famille. La mort toujours omniprésente, les décès, les séparations, les addictions faisaient partie de mon quotidien. Or, c’est la séparation qui m’affectait le plus. C’était comme me confronter à la mort. Je ne me souviens pas avoir été maternée par un adulte. Pourtant, quelqu’un m’a nourri, lavé, accompagné dans ma petite enfance autrement je n’aurai pas survécu, j’en suis convaincue. Cette carence affective à entraîner de forts troubles de l’attachement qui persistent encore à ce jour. Par contre, j’ai toujours su que j’étais condamnée à disparaître. Etant constamment menacée vitalement, je ne pouvais pas nier l’évidence. Parfois, la gravité de mes blessures engageait l’obligation de soins médicaux. C’est alors que les mains étrangères du personnel soignant devenaient elles-aussi maltraitantes. Je plongeais ainsi dans un désarroi total abandonnée à ces manipulateurs de la douleur. Mais vers qui se tourner pour chercher du réconfort lorsque personne ne s’intéresse à votre devenir ?

Dans mon univers d’enfant, les adultes étaient persécuteurs, terrorisants, monstrueux, insensibles. Je vivais dans l’angoisse permanente face à des situations traversées dans un sentiment d’insécurité. Tous mes traumatismes sont d’origine humaine. Les agressions sexuelles étaient commises par mes proches, des pervers sexuels voulant m’humilier et imposer leur autorité avec cette forme de sévices. Le maternage n’existait pas dans la cellule familiale puisque ma propre mère considérait comme normal ce genre de maltraitance. Les brutalités quotidiennes exercées par les adultes sur mon petit corps engendraient des blessures très importantes. Personne ne me délivrait de soins, d’hygiène. L’alimentation était une denrée rare d’où une obligation constante de voler pour me nourrir. Je n’étais qu’un animal. Je ne pouvais pas espérer une once d’affection car tout n’était que brimades, humiliations, sarcasmes, mépris, isolement, exclusion. J’étais le bouc émissaire familial. Tous les adultes se liguaient contre moi par le biais de menaces, de chantage, de soumissions à des règles et à des rites incompréhensibles. Un climat obscur régnait dans la maison familiale. J’étais constamment battue, violée et humiliée par mes parents, mes cousins et mon oncle. C’est ainsi que depuis mon plus jeune âge, je me suis sentie abandonnée par mes géniteurs. Je n’étais en sécurité nulle part. Je n’avais aucune confiance en l’être humain.

Les conséquences de ces actes barbares ont été multiples, envahissantes voire violentes. J’ai été la chose de mes bourreaux, sous leur contrôle pendant des années et dans l’incapacité de leur échapper. J’étais soumise à une violence durable, répétée sans surprise voire prévisible. Depuis de longues années maintenant, j’éprouve une certaine vulnérabilité face aux situations de stress, des réactions de panique, de terreur, de peurs injustifiées. J’ai toujours peur d’être persécutée, de mourir. Parfois, j’ai l’impression d’être en insécurité partout. Mon sommeil est agité par des cauchemars qui hantent mes nuits. Je me montre d’une grande méfiance, facilement irritable, susceptible. Je suis sujette également à des explosions d’agressivité. J’éprouve encore d’intenses sentiments de culpabilité principalement. Je suis envahit de sentiments ambivalents mêlant, pitié, ressentiment et colère à l’égard de mes agresseurs. Certaines fois, il m’arrive de retourner mon agressivité contre moi-même et d’adopter des conduites autodestructrices.

L’exposition à tous ces événements graves a fini par engendrer une souffrance interne sans précédent. Les violences sexuelles et la maltraitance physique m’ont laissé des séquelles psychiques très graves. Mon état de perturbation s’amplifiait au fur et à mesure des années. L’abandon de mes parents provoquait des réactions inadéquates de ma part face à certaines situations. Personne ne me protégerait physiquement du danger. Je n’avais aucun soutien émotionnel. Les adultes me tournaient le dos. La consolation, le calme n’existaient pas. Confrontée aux agressions, je ne bénéficiais d’aucune protection physique et/ou psychologique. Les adultes étaient des monstres ce qui me perturbait énormément. J’étais loin d’être perméable à toutes ces tortures. Par ailleurs, l’oubli n’avait pas de place contrairement à ce que pensait le clan familial. Mes parents profitaient de mon immaturité pour exercer des violences inouïes sur moi. C’était eux les plus forts. Ils représentaient l’autorité, la force physique. Je n’étais rien à côté d’eux. Ils avaient plains d’avantages que je ne possédais pas. Cette supériorité me paralysait. J’étais dépendante d’eux pour ma survie, je n’avais aucune confiance en eux mais je leur devais obéissance. Je désirais tellement obtenir un peu d’affection de leur part que j’acceptais absolument tout sans broncher. Je ne les repoussais jamais car de toute façon, c’était perdu d’avance. Dans l’impossibilité de m’exprimer, j’appréhendais les sévices imposés comme démunie face à l’autorité suprême de ma famille. Je n’avais personne à qui m’attacher réellement, aucun modèle. Je vivais constamment avec un sentiment d’insécurité.

Encore aujourd’hui, je me sens vulnérable lorsque je suis confrontée à des situations difficiles. Je suis devenue anxieuse, agressive et surtout je me suis repliée sur moi-même pendant de longues années. Toutes les violences subies ont développé en moi une timidité exacerbée, des réactions de retrait face à certaines personnes, certains lieux ou certaines situations non familières. Je souffre constamment d’angoisse de séparation, d’anxiété, de troubles phobiques. Par ailleurs, j’ai longtemps été convaincue d’avoir provoqué les foudres de ma famille. Il était donc normal de m’infliger toutes ces tortures pour me punir. Pour tenir face à la réalité, pour résister dans le temps, j’ai vécu dans le déni pendant de longues années. L’imaginaire a également contribué à l’évasion de cette réalité insoutenable. Les rêveries, les souvenirs positifs et l’idéalisation de certaines situations m’ont permis de créer un espace inviolable où je pouvais me ressourcer. J’ai trouvé depuis peu la capacité d’exprimer mes sentiments et mes pensées sans agressivité. Pour vivre en toute sérénité, j’ai toujours eu besoin de relations sociales durables et de bonne qualité. J’ai trouvé ce soutien auprès de ma belle-famille, de mes voisins, à l’école aussi.

Il m’a fallu bien des décennies pour solliciter du soutien et accepter de l’aide, m’investir dans des activités diverses. Enfin, j’éprouve à nouveau un sentiment d’utilité. Ma façon de vivre a évolué au fur et à mesure de mon traitement thérapeutique. Commencé depuis 2012, je suis plus flexible dans ma façon de penser et de plus, je suis enfin capable de relativiser face aux événements qui peuvent me rappeler mes traumatismes. Récemment, j’ai également trouvé la force de formuler des projets de vie, d’avenir. Je suis déterminée à les réaliser car j’ai retrouvé enfin la force nécessaire pour les atteindre, de persévérer et de ne jamais rien lâcher. Le climat familial a toujours été chaotique. Les tensions conjugales et intrafamiliales étaient fréquentes, problématiques et engendraient de nombreux facteurs de stress. Ces situations adverses constituaient un contexte fragile dans lequel la stabilité de mon milieu de vie était inexistante. Mes proches n’ont jamais trouvé utile d’atténuer mes souffrances et pourtant combien de signaux de détresse ai-je pu lancer à ceux-ci ? Je n’attendais que réconfort, paroles rassurantes, écoute attentive, attitude compréhensive, affection. Cette stabilité, protection, sécurité et amour dont j’avais tant besoin m’a été offerte par un chien.

Je ne recevais aucune aide des adultes non-maltraitants. Ils préféraient ignorer les abus physiques et sexuels ou feindre de les ignorer ; ils les déniaient de toutes leurs forces ; ils n’accordaient aucun crédit à mes dires. Aujourd’hui, je sais que mes parents, eux-mêmes, souffraient de traumatismes physiques et psychiques graves suite à des événements violents endurés dans leur enfance. Leurs conditions d’existence étaient encore pires que la mienne. Etait-ce pourtant une bonne raison pour me tourmenter à mon tour ? C’est ainsi que j’ai adapté constamment mon comportement en fonction de leur anxiété, angoisse, agressivité. J’avais tellement conscience de la gravité de leur état pathologique que par conséquent, je négligeais aucun détail pour être sûre de survivre jour après jour.

Sans le savoir, mon voisinage avait un effet protecteur dés lors que je rentrais en relation avec eux. J’avais l’impression de trouver du soutien en passant quelques heures par semaine en présence de personnes externes au clan familial. Cela m’aidait à puiser des ressources dont j’avais besoin pour faire face aux difficultés rencontrées au sein de ma famille. Ainsi, une personne bienveillante devenait un membre de ma famille imaginaire. Suite à toutes ces violences, ma personnalité s’est modifiée petit à petit. Ainsi l’ensemble de mes réactions émotionnelles, cognitives et comportementales sont presque en permanence inadaptées aux situations vécues dans le présent ce qui entraîne souvent des incidents critiques. J’ai toujours souffert en silence, sans manifester le moindre signe visible. La violence chronique intrafamiliale m’interdisait tout droit à l’expression. Même si mes tourments n’étaient pas apparents, je souffrais de désordres profonds, de traumatismes silencieux. Mon état psychique s’est dégradé seulement plusieurs années après les faits. Ces effets dormants sont dramatiques de conséquences car ils émergent si soudainement que leurs conséquences bousculent tous les événements personnels voire familiaux en cours. Les souvenirs ressurgissant violemment, de façon imprévisible à l’effet d’un tsunami dans l’entourage de la victime. Ce stress intense inconnu, bien souvent, n’a même pas été ressenti lors des événements pénibles ou effrayants. C’est peut-être la violence des faits qui n’a pas permis de prendre complètement conscience de la situation dangereuse.

Comme les adultes de mon entourage n’étaient aucunement protecteurs, j’exécutais machinalement leurs ordres donnés, dans la terreur. Je m’enfermais dans un mutisme total comme en état de choc et j’attendais la fin de mon calvaire dans l’hébétude. J’étais dans l’impossibilité d’exprimer mes émotions de peur, d’anxiété, de tristesse, de colère. Je ne criais pas, je ne pleurais pas, je ne m’agitais pas au risque de démultiplier les foudres parentales sur moi. J’essayais de paraître normale, détachée, obéissante pour que les adultes ne lisent pas le taux de détresse qui m’habitait dans les pires moments. Pourtant, je me souviens encore de cette détresse qui se traduisait par cette peur intense, ces sentiments de tristesse, d’horreur, d’impuissance, de honte, de culpabilité, de colère. Pour palier à l’impression d’être proche de l’évanouissement, je me déconnectais d’une partie de cette réalité. J’avais ainsi l’impression que les souvenirs s’évanouiraient dans ma conscience à jamais. Cette fuite en avant effrénée me donnait l’impression de ne pas comprendre ou de ne pas comprendre ce qu’il m’arrivait. Je ne reconnais plus les personnes, les lieux, les objets familiers. J’étais totalement désorientée. Je devenais le spectateur de ma vie ainsi j’avais le sentiment que mon corps ne m’appartenait plus.

Suite à tout ceci, j’ai dû vivre et je vis encore avec des réactions phobiques. Je suis encore confrontée parfois à des crises de panique lorsque certains événements ou certaines scènes me rappellent le passé. Je suis presque incapable de rester seule, je crains l’obscurité, je n’aime pas la foule et les personnes étrangères. Je me suis retrouvée à l’âge de 45 ans ramenée soudainement dans le passé à ré expérimenter tous les faits douloureux infligés par le clan familial, voire même à les revivre. Ces reviviscences sont survenues spontanément, hors de ma volonté et ont provoqué une détresse intense en moi. Des flash-back ne cessaient de me marteler la tête. J’avais cette impression folle d’être ramenée au moment des événements initiaux. Cette expérience a été particulièrement éprouvante car je n’arrivais pas à distinguer la limite entre l’imaginaire et la réalité. J’étais comme assiégée à tout moment par ces souvenirs répétitifs, intrusifs. La nuit, les cauchemars à répétition m’assaillaient également. Des rêves effrayants souvent très loin de la réalité de mon vécu me réveillaient en sursaut. J’avais également ce sentiment étrange que les événements traumatisants pouvaient se renouveler, qu’un danger ou qu’un drame pouvait à nouveau me frapper.

Mon état mental s’est alors dégradé très vite. Je me suis recroquevillée sur moi-même en quelques semaines avant d’être prise en charge en clinique psychiatrique. Je ressentais comme une détresse immense, en particulier de la peur, et je manifestais des troubles physiques tels que les maux de ventre, nausées et diarrhée dés lors que j’étais exposée à des indices rappelant un de mes traumatismes. J’ai passé ma vie à fuir tout ce qui me rappelait les moments les plus douloureux de mon existence. Me tenir à l’écart des lieux, éviter d’approcher les auteurs de mes violences ainsi que toutes les personnes qui les côtoient a toujours été une priorité. Je refuse encore obstinément à ce jour de me confronter à tous ces individus incarnant le mal. Pour mieux survivre, je me replie encore dans l’imaginaire et la rêverie ainsi j’échappe à toutes pensées et à tous sentiments suscités par le rappel à certains événements insoutenables. Je m’accroche inexorablement à mes proches qui me rassurent. J’ai connu également une période de méfiance extrême des Hommes. Les deux sexes ayant abusés de ma confiance comment ne pas en avoir une peur exacerbée ? Toute ma vie, j’ai passé par des stades de conduites incompréhensibles. Par exemple, enfant, la toilette représentait un danger, le fait de me déshabiller m’était insupportable car j’avais l’impression de me séparer de mes protections. Adolescente, je me barricadais la nuit sans raison apparente ni compréhensible, je restais le plus souvent de mon temps seule, je rejetais tout ce qui touchait à la sexualité. Je priais pour ne jamais connaître l’amour car cela m’engagerait alors dans une relation sexuelle.

Durant des années, petit à petit, je me suis désintéressée progressivement de mon entourage, j’ai adopté des conduites d’évitement relationnel volontaires, j’ai adopté la froideur, j’ai vécu avec ce sentiment de détachement, je n’ai participé à aucune activité ; ainsi pour me protéger de ce monde effrayant. Longtemps, j’ai également souffert de maux divers comme les troubles du sommeil avec des difficultés d’endormissement, de l’alimentation, de l’irritabilité, des accès de colère et de l’agressivité, des difficultés de concentration, des réactions excessives ainsi que des comportements imprudents et autodestructeurs. Dans mon univers d’enfant, les adultes contrôlaient absolument tout, ils étaient les tout-puissants ; mais, ils ne me protégeaient jamais et n’assuraient jamais ma sécurité. Leur pouvoir absolu m’exposait à des souffrances brutales. J’étais à leur merci sous de nombreuses formes de violences et de dangers. Suite à toutes ces expériences maltraitantes, j’ai fini par percevoir l’univers comme dangereux duquel émane des menaces permanentes sans fin. Mes préoccupations portaient essentiellement sur ma survie par peur d’avoir des maladies mortelles ou de la mort suite aux maltraitances subies. Mes agresseurs me molestaient à volonté et plus les années passaient plus les sévices étaient importants.Pour ne pas tomber dans la dénonciation des maltraitances, tout était très bien organisé. Toutes mes peurs étaient contrôlées par ceux-ci qui me menaçaient de punition, de mort, de révélations des abus. Ces dires ont toujours été pris au sérieux car je redoutais trop de dévoiler les agressions de la honte et de subir la colère sans précédent de mes proches ou même d’être responsable de l’éclatement de la cellule familiale.

Contrairement à ce que j’aurais pu imaginer, la disparition de mon père a développé en moi une peur de me retrouver seule, comme s’il avait pris le temps un jour de prendre soin de moi. Mes parents étaient pleins de violence, des scènes de tentative d’assassinat, des proférations de menaces de mort étaient monnaie courante à la maison. Par contre, au décès de mon paternel, l’idée qu’une nouvelle vie commençait avec le reste de mes agresseurs me terrorisait au plus haut point. Je m’inquiétais pour ma survie à juste titre. C’est à ce moment précis, que des troubles anxieux, des crises d’angoisse, des crises d’épilepsie, des peurs incontrôlées sont apparues de manière fréquente. Je pleurais en cachette, je criais, j’avais des nausées, des maux de tête terribles, des coliques insoutenables. Tous ces troubles m’accompagnent encore aujourd’hui. Enfant, toute ma famille m’a abandonné à mon sort, face aux expériences effrayantes vécues. A ce jour, je reste dans la peur constante de perdre les êtres que j’aime ou qu’ils disparaissent à jamais sans explication. C’est pourquoi, j’ai un besoin permanent que l’on prenne soin de moi et que je ne supporte pas d’être loin des êtres aimés, que je m’agrippe à eux comme une enfant. Lorsque je suis séparée d’eux, je manifeste souvent de l’angoisse car les séparations me sont insupportables. Je rentre comme dans une phase de détresse. Il m’arrive encore également d’éprouver à certains moments des sentiments de culpabilité excessifs, inappropriés par rapport à des situations banales de la vie quotidienne comme par exemple faire une erreur.

Je m’interroge également souvent sur mon implication dans les maltraitances subies. Ne les avais-je pas méritées réellement ? C’est comme si j’avais provoqué ces événements dévastateurs ou que le malheur qui m’a accablé pendant des années était là pour sanctionner mon comportement. Comment ne pas se sentir coupable de n’avoir pu repousser ses agresseurs ? Je criais « non » dans ma tête ; mais, la soumission physique ressemblait comme à une forte approbation de ma part. Pourtant, il ne me semble pas avoir jamais provoqué les agressions de mes proches aussi loin que je puisse me souvenir. Toutes ces maltraitances ont eu sur moi des répercussions sur mes capacités d’apprentissage, de concentration intellectuelle, de raisonnement, de réflexion et de mémorisation. Ces déficits handicapants sont le résultat de la continuelle résurgence des souvenirs et des échappées obligatoires dans mon monde imaginaire pour éviter l’empoisonnement permanent de mon esprit. L’automutilation, le passage à l’acte suicidaire se sont accrus dés l’adolescence car la culpabilité grandissait. L’autopunition devenait alors la seule issue face aux émotions.

Ayant été constamment agressée depuis la naissance, je me suis très vite montrée agressive, voire violente envers les objets. Il m’arrivait fréquemment de frapper dans les murs et de défoncer des portes. Les insultes fusaient lorsque je me sentais prise au piège ou intimidée par mes adversaires. Pourquoi avais-je besoin de me défouler autant ? J’avais comme un trop plein d’énergie qui m’envahissait ; donc, pour maîtriser la suite de ma vie, j’étais presque obligée de passer par ce tremplin. Adulte, j’ai adopté plutôt des comportements à risque. Je pratique la conduite automobile imprudente ce qui me permet de mettre ma sécurité en péril. C’est une sorte de test de courage, de droit de vivre pour m’assurer de la légitimité de mon existence alors que ma sœur n’a pas survécu aux maltraitances infligées. C’est aussi un moyen d’éprouver des sensations fortes pour retrouver la sensation de vie. Les maux physiques m’ont accompagné toute ma vie. J’ai toujours souffert de vertiges, de tremblements, de sueurs, de douleurs dans l’estomac, de nausées, de vomissements, de diarrhée, de sensations d’étouffement au niveau de la poitrine, de boule dans la gorge. Je vis en permanence avec une sensation de fatigue, de lassitude comme un épuisement irrécupérable. J’ai l’impression d’être sans force continuellement sans compter les maux de tête, les douleurs musculaires qui m’assaillent régulièrement. Au bout du compte, les symptômes chroniques se sont manifestés toute ma vie.

Mon état psychique, lui, s’est surtout dégradé après plusieurs années de maltraitances suite surtout à des facteurs de stress. Les émotions qui m’accompagnent dans mon quotidien sont la peur, l’anxiété et l’angoisse, la tristesse, le désespoir, les sentiments de honte et de culpabilité, la difficulté de se protéger dans l’avenir, la colère. Les flash-back, les souvenirs répétitifs, les cauchemars occupent une grande place également dans ma vie. Souffrant de rappels spontanés, répétitifs et envahissants des traumatismes vécus, je constate parfois que certains faits de ma vie ont été intégralement occultés. Ces oublis ne concernent pas seulement le passé mais aussi la vie courante avec pour conséquence des grandes difficultés à me remémorer certains événements agréables ou certaines informations récentes. C’est ainsi que j’ai longtemps pensé que je ne valais rien, que je ne méritais que de mauvaises choses et que je n’étais pas digne d’être aimée.

La vie m’a basculé tragiquement et brutalement en enfer, le monde malveillant et dangereux a renforcé mon manque de confiance dans l’espèce humaine. Adulte, des crises d’angoisses, des peurs infantiles sont apparues et durent toujours à ce jour. Adolescente, j’éprouvais un terrible malaise affectif profond, de la tristesse, du désespoir, des idées et des conduites suicidaires, de l’ennui, des sentiments de solitude. Je me réfugiais sans cesse dans l’imaginaire, je me repliais sur moi ce qui m’entraînait vers une perte inexorable de mes acquis intellectuels. Ce genre de retrait a interrompu un moment toute possibilité de socialisation, altérant le rapport avec autrui et provoquant de plus une perte de contact avec la réalité. Je me suis isolée également de mon entourage immédiat en me réfugiant dans un mutisme total. Je me sentais profondément coupable, responsable des actes de barbaries subies. N’ayant jamais réussi à repousser ni à dénoncer mes agresseurs, j’avais le sentiment d’avoir approuvé l’activité sexuelle, d’y avoir consenti. Plus je grandissais, plus je souffrais de ne pas avoir tenté de faire cessé les abus et de les avoir tu. En même temps, je culpabilisais car j’ai longtemps cru que les violences infligées étaient méritées en raison de méchancetés ou d’erreurs que j’avais commis. De plus, j’étais le témoin permanent de la violence conjugale de mes parents ce qui provoquait en moi une culpabilité décuplée résultant de mon impuissance à stopper toutes ces agressions et à protéger mon parent maltraité alors.

Au décès de ma sœur, j’ai longtemps souffert de la culpabilité du survivant d’autant plus que ma mère m’a toujours reproché de n’avoir pas péri à sa place. Ainsi, j’ai vécu de nombreuses années dans la honte permanente et la dévalorisation totale. De toute façon, comment avoir confiance en soi lorsque le discours familial s’exprime par des phrases assassines du genre « Tu n’es rien », « Tu n’y arriveras jamais », « Tu es nulle » ? De ce fait, adolescente, j’ai composé avec des difficultés d’apprentissage. Je n’arrivais pas à fixer mon attention sur les tâches scolaires et je me désinvestissais pleinement concernant l’acquisition de mes connaissances. Mes résultats scolaires restaient moyens la plupart du temps et aboutissaient également à l’échec de temps à autre. J’étais constamment plongée dans l’incertitude de mon avenir ce qui me décourageait souvent. Je ne fournissais donc pas les efforts nécessaires et je ne m’appliquais pas sur mon travail puisque je ne connaissais pas mon devenir. Plus tard, j’ai fini par déserter les bancs de la faculté car j’avais de plus en plus de mal à poser des choix, à avoir une capacité de raisonnement adaptée à mon niveau d’études.

Souvent en colère contre mes agresseurs mais aussi contre moi-même de m’être laissée duper et d’avoir enduré sans protester, j’éprouvais et j’éprouve toujours du ressentiment contre mon entourage qui ne m’a jamais protégé, qui ne m’a jamais comprise, qui m’a conduite à mener une vie différente des enfants « normaux ». Autrui semble parfois désemparé face à la perturbation de mon comportement allant jusqu’au débordement et à la perte de contrôle. Ces désordres me dévorent encore et toujours malheureusement. Mes troubles de caractère se manifestent la plupart du temps par une résistance permanente à l’obéissance, des attitudes de défi, des crises de colère, des conduites agressives verbales, des comportements auto-agressifs, des cachoteries. Pour me sauver ou me protéger de mon environnement insécurisant, il m’arrive encore de me raconter des histoires, de m’inventer une vie différente, de m’imaginer une autre vie.

Adolescente, la violence était la façon la plus admissible pour résoudre mes problèmes. Mes comportements agressifs ne me surprenaient absolument pas puisque d’agressée, je devenais l’auteur de violence par imitation aux comportements de mes agresseurs. Je ne voulais plus éprouver de la peur mais l’inspirer. Enfant, il est vrai que j’ai tenté un temps de m’atteler à ne déranger personne sans succès pour satisfaire les demandes du clan familial comme toujours. J’évitais de créer des problèmes, de crier, de pleurer, de m’exprimer, de bouger, bref j’essayais de me comporter comme si je n’existais pas. C’est ainsi, qu’un jour, soudainement de manière inattendue, mes réactions sont devenues violentes à leur tour. Les graves négligences répétées sur mon corps ont progressivement engourdi une partie de la réalité. J’étais comme résignée, impuissante devant le danger. C’est ainsi que ma vie durant, j’ai toujours eu une perception négative de moi, des sentiments de culpabilité, de honte et d’infériorité souvent grandissants selon le contexte dans lequel je vis, un manque de confiance en moi suite à des inquiétudes injustifiées la plupart du temps. Pour éviter de contrarier mes proches, je me suis longtemps conformée à leurs attentes et ajustée à leur comportement afin de ne pas développer encore plus de violences intrafamiliales.

En grandissant, j’ai éprouvé des sentiments d’inutilité, d’absence de joie de vivre, de solitude et d’abandon, tellement la soumission fut écrasante, tellement je me suis ignorée pendant de très nombreuses années. Finalement, plusieurs facteurs de troubles relationnels vont découler de ces violences subies. J’ai toujours été maladroite, voire inadaptée à vivre en société. A l’adolescence, je mettais un point d’honneur à mettre en place un manque d’empathie, une froideur dans les relations avec autrui, une anesthésie affective pour me protéger du monde extérieur. De toute façon, je craignais de m’attacher à des personnes qui pouvaient m’abandonner ou disparaître soudainement. Pourtant, j’avais un manque d’affection flagrant ce qui parfois me transportait dans une quête d’attention effrénée et permanente de la part d’autrui en étant consciente que ces relations ne seraient jamais suivies puisque je n’ai jamais été capable d’entretenir un lien avec une personne sur du long terme.

Ce qui m’a sauvé en quelque sorte des violences de mon entourage, c’est le désintérêt progressif, voire les conduites d’évitement relationnel avec ma famille. Ces prises de distance réalisées à l’âge adulte n’ont pas diminué pour autant mes craintes envers le clan familial ; mais, ainsi j’ai mis en place une sorte de protection entre les membres de ma famille et moi-même. Souvent au lieu de manifester ma colère sur les miens, mon irritabilité et mon agressivité se déversaient sur de parfaits inconnus. Par contre, en présence de mes agresseurs, le calme était fortement recommandé pour ne pas susciter l’attention, l’agressivité de mes parents. Je ne comptais que sur moi-même, je ne cherchais aucun réconfort, mon mode de vie était superficiel, je me terrais dans le silence absolu et je veillais surtout à ne jamais dévoiler mes émotions sincères. En proie à de multiples questions, c’est à l’adolescence également que j’ai favorisé les relations intimes avec des personnes beaucoup plus âgées que moi car j’avais cette impression folle de retrouver un peu de tendresse auprès de mes partenaires.

En tout temps, je me suis toujours sentie en insécurité ce qui a énormément altéré la conception de mon futur proche. Comme l’extérieur fourmille de dangers potentiels, je suis encore à ce jour constamment sur mes gardes ce qui empoisonne mon existence. C’est pour cela également que j’ai toujours pensé que l’avenir était bouché. Ma vie professionnelle et sociale sont de vrais désastres qui bien souvent m’ont réservé de très mauvaises surprises en me barrant l’accès à de très belles opportunités. Aujourd’hui, suivant les événements vécus en tant qu’adulte, j’éprouve d’énormes difficultés à faire face aux émotions influencées par les situations qui peuvent fonder une souffrance encore sans précédent en moi. Je ressens toujours une douleur psychique profonde suite aux négligences graves infligées par mes parents. N’ayant jamais connu de figure d’attachement, je me retrouve à me débattre avec mes émotions et à ne pas pouvoir les exprimer verbalement encore. Mes relations sociales et intimes s’en trouvent perturbées car je maîtrise mal les codes de la société, je suis maladroite voire inapte à m’adapter à autrui et je réagis surtout encore de manière imprévisible ce qui déstabilise mon entourage. Pour palier à toutes ces lacunes, je préfère adopter une forme de froideur avec mes congénères ainsi je compte uniquement sur moi-même, je ne cherche aucun réconfort et je me centre uniquement sur moi pour éviter tout attachement extérieur.

Confrontée en permanence à la mort et à la menace de mort, à des blessures graves, à des violences sexuelles, ma vie a été parsemée d’une perte de mon intégrité physique et mentale. Ainsi, ma confiance en l’humanité s’est trouvée ruinée après tant d’horreurs subies. Les idées de vengeance et de culpabilité se sont bien atténuées ; mais, je présente toujours de la colère, de l’agressivité. Les actes d’autodestruction ont depuis peu disparu également ce qui prouve l’intérêt d’entreprendre une thérapie. Longtemps, j’ai cru que j’étais imperméable à tous ces traumatismes et que ma jeunesse, ma force de caractère me protégeraient à vie des conséquences de telles brutalités. Effectivement, chaque violence m’a effrayée et m’a attristée ; mais, j’étais convaincue de pouvoir tout oublier, d’avoir la chance de pouvoir vivre avec n’importe quelles situations extrêmes. A ce jour, je sais que je souffre en fait depuis toujours et que les actes de barbaries commis sur ma personne me perturbent encore au plus haut point. Je ne m’interroge plus sur mon devenir car ces graves négligences m’ont permis de prendre du recul et d’espérer de pouvoir apporter à mon échelle du soutien à tout être ayant souffert de l’inceste comme moi.

Nous en parlons
S
sorga
Publié le 22.01.2014
Inscrit il y a 10 ans / Actif / Membre

merci pour ce beau témoignage, plein de sincérité et de lucidité
on ressent votre souffrance, malgré cela je vous trouve très mature dans votre auto-analyse...

je vous souhaite plein de courage dans votre reconstruction