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Magnificat pour choeur et quatuor à cordes

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Patrick.L
Inscrit il y a 7 ans / Actif / Membre
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Le 14 décembre prochain, nous organisons pour la toute première fois un concert de Noël au profit de l’AIVI. Ce n’est pas mon premier concert, loin de là, mais c’est un concert très spécial pour moi, laissez-moi vous expliquer pourquoi. C’est un peu long, mais je vais essayer d’aller à l’essentiel.

Maman est (était) une survivante de l’inceste. À l’âge de quatre ans elle a perdu son père, emporté par une maladie. À l’âge de 7 ans l’oncle qu’elle aimait et qu’elle avait un peu choisi comme père de substitution a commis le crime d’inceste sur elle.

Elle en a parlé immédiatement à sa mère, qui n’a rien fait à part éviter de l’envoyer à nouveau en vacances chez l’oncle pédocriminel. Quelques années plus tard, sa demi-sœur a été envoyé chez le même oncle et a subi l’inceste elle aussi. Ses cousines également. Je connais 4 victimes de cet agresseur, il y en a peut-être d’autres. Son agresseur est mort paisiblement dans son lit, sans avoir jamais été inquiété pour ses crimes.

Première leçon : le prix du silence, c’est l’impunité et la récidive ! Le silence met en danger les enfants d’aujourd’hui face aux agresseurs en série.

Je n’ai moi-même appris la vérité qu’à l’âge de 30 ans, grâce au témoignage de ma tante. Bien qu’il soit tabou, l’inceste subi par ma mère a joué un rôle très important dans mon enfance. Même à 4 ans je voyais déjà que ma mère souffrait beaucoup. Elle était parfois violente et maltraitante avec ses enfants, les filles surtout. J’ai de nombreux souvenirs traumatisants. Les tentatives de suicide, les crises violentes, les internements forcés en psychiatrie… Maman avec des TOC, des troubles alimentaires (boulimie, anorexie), toutes sortes de rituels bizarres liés au nettoyage compulsif et excessif (elle pouvait passer l’aspirateur trois fois par jour, et nous faire sauter le déjeuner si jamais ses rituels de nettoyage avaient pris du retard). Elle nous parlait souvent du mal, du péché, du démon, de l’impureté, sans que nous, ses enfants, nous comprenions de quoi il s’agissait. Lorsqu’elle avait 11 ans ma sœur ainée a subi des crises violente de maman qui l’accusait d’avoir « commis l’inceste et l’adultère avec son père ». Stupéfaction. Je me souviens encore (j’avais 7 ans) que nous avions cherché les mots « inceste » et « adultère » dans le dictionnaire. Ce ne sont pas des mots d’enfants. Dans la cour de récréation on va entendre « zizi » ou « caca boudin », mais pas « inceste » ou « adultère ». Précisons que mon père n’a jamais rien fait de répréhensible : c’est maman qui projetait sur lui l’agression sexuelle qu’elle a subi de son oncle.

Malgré ce mot « inceste » que ma mère hurlait pendant ses crises, on ne comprenait pas. Les adultes de notre entourage (papa, ma grand-mère maternelle) qui savaient ne nous ont rien dit. On ne comprenait rien. On avait peur, on avait honte. On rasait les murs. A l’école, je n’ai jamais parlé à personne de ce qui se passait à la maison. De cette boule au ventre qui revenait dès qu’on quittait le lieu protecteur (ou du moins neutre) de l’école pour rentrer à la maison. Comme beaucoup d’enfants maltraités, j’étais un élève discret, sérieux, sans problème de discipline, qui passait les récrés seul dans un coin. Un « bon élève » en somme.

Même à 5 ans je crois que je sentais déjà que maman était une personne souffrante avant d’être maltraitante, et que la violence qu’elle nous infligeait parfois n’était que le trop-plein de ce qui débordait en elle, qu’elle vivait un véritable enfer intérieur.

Le prix du silence

Le silence de l’entourage, et spécialement de la famille dans le cas de l’inceste, est un deuxième traumatisme qui s’ajoute à celui des agressions proprement dites. C’est une façon de dire à la personne survivante : « tu n’es rien, ta souffrance n’est rien, tais-toi et tiens-toi tranquille ». L’injonction au silence peut être très violente dans certains cas : menaces, chantage, violences physiques et psychologiques. Les forums de l’AIVI débordent de témoignages, et les chiffres des sondages confirment que le cas de ma famille est en fait terriblement banal. Et je me suis aussi rendu compte avec le temps que les survivants d’Auschwitz et des camps de concentration se sont confrontés aux mêmes mécanismes de déni, à la fois individuels (chez les survivants eux-mêmes), et collectifs (dans leur entourage et dans la société entière). Certains crimes sont tellement horribles qu’on ne veut pas, on ne peut pas les regarder en face. On est prêt à tout faire plutôt que d’en entendre parler.

Deuxième leçon : le silence et le déni sont des réactions naturelles (et nécessaires jusqu’à un certain point). C’est par l’éducation, le soin, la parole, et la compassion qu’on peut en sortir. Et il est très important de le faire pour protéger les générations à venir !

Aujourd’hui j’ai plus de 40 ans, j’ai pu travailler, me marier, fonder une famille, et bien sûr travailler sur mes blessures d’enfance avec des psy et autres. Je n’écris pas ce texte pour me plaindre, bien au contraire. Ma vie aujourd’hui est tellement belle, riche, pleine de joie ! Je voudrais plutôt exprimer ma gratitude envers toutes les personnes qui m’ont apporté tant de choses.

« Moi aussi, ça m’est arrivé »

La première personne que je voudrais remercier, c’est toi, maman. Tu m’as donné la vie, quel cadeau merveilleux et incroyable ! Si tu savais comme je suis heureux aujourd’hui ! Beaucoup de gens m’ont donné de l’amour mais toi seule m’a porté dans son ventre et mis au monde. Et tu m’as donné également de nombreux frères et sœurs qui sont tellement importants pour moi. Tu n’as pas toujours pu me montrer ton amour comme les mères le font habituellement, en faisant des câlins, en préparant de bons repas ou en lisant des histoires. J’ai souvent eu peur de toi et de tes colères, j’ai souvent connu la tristesse et la honte en partageant celles que je sentais en toi. Mais maintenant que tu es au ciel, tu peux voir le fond de mon cœur, et tu sais qu’il ne contient que de l’amour pour toi, et que toute trace de colère ou de ressentiment a été effacée, nettoyée depuis longtemps.

Tu es restée dans le déni presque toute ta vie. Ce n’est qu’en avril 2019, cette année donc, lorsque je suis passé à la télévision sur LCP (je représentais l’AIVI dans un débat de 30 minutes sur la pédocriminalité), que tu as eu ces mots : « moi aussi ça m’est arrivé ». Tu ne m’as rien dit de plus, je ne t’ai rien demandé. A plus de 70 ans, tu es enfin sortie du silence. Quel beau cadeau ! Quelle délivrance, enfin ! Les derniers mois de ta vie ont été paisibles et plutôt joyeux. Tu as passé tes derniers jours entouré par ton mari, tes enfants et le reste de la famille, avec la paix dans le cœur je l’espère. Tu me parlais souvent de la mort, en me disant « je suis prête à mourir », en la souhaitant parfois comme une délivrance. Je ne sais pas où tu te trouves actuellement mais j’espère que ton courage y est récompensé et tes chagrins consolés.

Mille et un mercis

Je voudrais remercier aussi ma sœur qui s’est battue contre le silence et le déni, et qui a mené une véritable enquête au sein de la famille, en recoupant les indices, en interrogeant les témoins, jusqu’à apprendre la vérité si bien cachée au sujet de l’inceste qu’ont subi maman et 3 de mes tantes. Ainsi que ma tante dont le témoignage a été capital pour passer de l’ombre à la lumière, de la peur et de la colère à la compréhension et à la compassion.

Je voudrais remercier mon père dont la présence fidèle et aimante auprès de maman pendant près de 50 ans m’a montré par l’exemple ce que veulent dire les mots « fidélité » et « amour inconditionnel ». Une leçon de vie précieuse entre toutes et que je n’oublierai jamais.

Je voudrais remercier Isabelle Aubry. D’abord pour son livre « la première fois j’avais 6 ans » que j’ai lu à l’âge de 30 ans, peu de temps après avoir appris la vérité sur l’inceste subi par maman. Ce livre m’a éclairé, il m’a aidé à comprendre tellement de choses sur maman. Isabelle a réussi à faire de sa colère (énorme en proportion de l’énormité du crime) un moteur pour avancer, pour aider les autres. Quelques années plus tard j’ai eu envie de m’engager à l’AIVI comme bénévole, et j’ai pu travailler en équipe avec Isabelle sur l’animation du site internet et des réseaux sociaux, sur la loi Schiappa, et d’autres sujets. J’ai pu apprécier ses qualités humaines autant que son efficacité et son pragmatisme qui sont très nécessaire pour faire tourner une association aussi ambitieuse avec des moyens aussi modestes. Je te dois beaucoup, Isabelle. Nous continuerons à nous battre ensemble, à frapper le tambour aussi longtemps qu’il le faudra pour protéger les enfants.

Je voudrais remercier également les bénévoles et membres de l’AIVI qui m’ont énormément appris, et aussi apporté du soutien, de la solidarité et de la chaleur humaine. Une vraie famille de cœur !

A trente ans, j’ai appris que maman, sa sœur et ses cousines étaient victimes d’un crime monstrueux. J’ai cru que ma famille était monstrueuse d’avoir mis ça sous le tapis. À quarante ans, j’ai appris que cette monstruosité était banale. Monstrueusement banale. Que des millions de Français sont des survivants de l’inceste, invisibles mais bien présents. Peu et mal soignés en psychiatrie, souvent victimes d’autres maladies chroniques ou problèmes de santé (stress post-traumatique, addictions, conduites à risque, troubles alimentaires, etc). Maman souffrait de troubles schizophréniques et paranoïaques. Mais c’est assez logique au fond. Quand toute la famille fait comme si de rien n’était alors que des crimes horribles sont commis sur ses enfants, il y a de quoi devenir fou. Comme cette scène très marquante du film « Brazil » où l’on voit des gens plaisanter et rire au restaurant alors que des victimes d’un attentat terroriste dans le même restaurant pissent le sang et hurlent de douleur à quelques mètres.

Troisième leçon : le jour où l’on cesse de se préoccuper des souffrances d’autrui, les pires horreurs deviennent possibles.


Un mémorial pour les survivants ?

Peut-être faudrait-il ériger une sorte de mémorial pour les survivants de l’inceste comme on l’a fait pour les survivants (et les morts) des camps de concentration. Afin de ne jamais oublier. Afin d’emmener en visite les enfants des écoles en leur disant : « attention, ces horreurs pourront revenir, restons vigilants ». Afin d’écouter la parole des victimes qui a été tellement niée, étouffée, écrasée.

L’été dernier, lorsque la santé de maman s’est brusquement dégradée, lorsqu’il devenait de plus en plus évident chaque jour que celle qui avait survécu à tant d’épreuves ne surmonterait pas celle-là, j’ai voulu mettre en musique le Magnificat qui était sa prière préférée. Ainsi ce n’est pas un Requiem que j’ai écrit mais un Magnificat, et je ne l’ai pas écrit après son décès mais pendant qu’on pouvait encore lui rendre visite, lui prendre la main, échanger quelques mots avec elle. C’est un hymne à la vie, et un hommage à une survivante.

Le Magnificat de la tradition catholique est une belle prière qui exprime la joie et la gratitude. « Le Seigneur fit pour moi des merveilles, désormais tous les âges me diront bienheureuse ». Ce sont là des paroles qui font du bien, que l’on soit dans la jeunesse ou la vieillesse, dans le plaisir ou dans la souffrance. Je ne suis pas très porté sur la religion et j’en veux beaucoup à l’Église catholique d’avoir protégé les pédocriminels plutôt que les enfants jusqu’à une période très récente, et qui n’est peut-être pas encore révolue. Cependant cette prière me connecte à toi, ma chère maman. La mettre en musique, la donner en concert, d’abord une première fois samedi prochain, et puis de nombreuses autres fois je l’espère avec toutes les chorales qui voudront bien le chanter, est une façon de dire : « merci », de dire « je t’aime », et de dire aussi que la vie est incroyablement belle, que la vie aura toujours le dessus, et que l’amour aura toujours le dernier mot.

3 messages
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Isabelle
Inscrit il y a 14 ans / Actif / Adhérent
Publié le 12.12.2019 11:40
Bonjour Patrick,

A ma connaissance, c'est la première fois que je lis ton témoignage et j'en suis très émue. Toi aussi tu sais transformer ton vécu en positif. Tu as rompu la transmission intergénérationnelle de l'inceste et de ses conséquences. N'est-ce pas notre but à tous finalement, survivants et proches de survivants ?

Ce concert est non seulement un bel hommage à ta maman mais aussi une démarche positive de lutte contre le silence de l'inceste.

Des survivants et proches témoigneront ce jour là, comme toi, de leur gratitude vis à vis de la vie, que l'on sait tous semée d'embûches. Plus le temps passe et plus je réalise, non pas qu'il faut oublier l'inceste mais qu'il faut réussir à vivre le moment présent malgré notre vécu. La vie est si courte.

Merci à toi pour tout ce que tu fais pour l'association, pour notre cause.
R
Randal
Inscrit il y a 10 ans / Débutant / Adhérent
Publié le 12.12.2019 23:34
Merci Patrick pour ce témoigne tellement touchant et si fort pour ta maman, pour les victimes. Merci pour tout ton engagement et ton savoir, ton courage pour porter ce combat à nos côtés, ta persévérance alors que tout et toujours combat pour faire sortir de l'ombre l'inceste, ta patience à soutenir nos équipes. J'espère que cette soirée que tu organises et que tu vas jouer sera un succès, je serais avec vous par le coeur, de tout coeur. Milles bisous
L
laetitiare
Inscrit il y a 13 ans / Actif / Membre
Publié le 23.01.2020 00:10
Merci Patrick pour ton magnifique et émouvant témoignage ...
La lumière que tu portes dans ton cœur est précieuse et porteuse d'espoir.
A présent, je comprends mieux le projet musical que tu évoquais.
Toutes mes félicitations et j'espère avoir l'occasion d'entendre cette œuvre d'amour la prochaine fois,
pour que résonnent nos voix.

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