Mesdames et Messieurs les Sénateurs
J’ai été stupéfaite de découvrir que vous souhaitez disjoindre l'article 24 A du Projet de Loi, qui tend à porter à vingt ou trente ans à partir de la majorité de la victime la durée de la prescription en matière d'infractions sexuelles.
J’espère qu’il n’est pas trop tard pour vous expliquer pourquoi, et pour tenter de vous convaincre de le conserver !
Ce Projet de Loi va permettre d’améliorer la prévention et la répression des infractions sexuelles.
Comme les Députés, il est tout à fait net que vous, nos Sénateurs, êtes attentifs à doter notre société de meilleurs moyens pour mettre fin aux agressions sexuelles.
Mais j’ai l’impression que la portée de l’article 24 A n’a pas été suffisamment envisagée pour qu’il soit retenue, et pourtant il est un élément indispensable de la lutte contre les agressions sexuelles !
Je cite des extraits du rapport :
« M. François Zocchetto, rapporteur, s'est déclaré convaincu de la nécessité d'adopter un texte apportant des réponses novatrices et adaptées aux formes modernes de criminalité. Il a indiqué qu'il proposerait des amendements tendant à compléter le texte pour améliorer la prévention et la répression des infractions sexuelles après avoir justifié sa démarche par le souci d'adapter une législation en la matière encore insuffisante. Il a estimé que le présent projet de loi constituait un cadre approprié pour accueillir ces modifications, jugeant inopportun d'attendre le dépôt d'un nouveau projet de loi sur cette question »
« M. François Zocchetto, rapporteur, a également annoncé son intention de proposer des amendements destinés à faciliter l'action de la victime. En revanche, il a jugé nécessaire de disjoindre l'article 24 A du projet de loi, inséré par l'Assemblée nationale, qui tend à porter à vingt ou trente ans à partir de la majorité de la victime la durée de la prescription en matière d'infractions sexuelles après avoir fait valoir qu'il n'était pas souhaitable de multiplier les exceptions aux règles de droit commun en matière de prescription. Il a insisté sur la nécessité d'une refonte globale de ces règles, plutôt que de multiplier les dérogations à la règle générale. »
Certes, Mr le Député Gérard Léonard a argumenté son amendement dans le but de permettre aux victimes de se protéger de manière plus adéquate.
Je ne peux m’empêcher de citer ici la discussion de l’Assemblée Nationale, tant Mr Gérard Léonard a très bien perçu les difficultés que rencontrent les victimes pour dénoncer leur agresseur, même dans un délai de 10 ans après leur majorité :
« Article additionnel avant l'article 24 (art. 706-53-1 du code de procédure pénale) : Allongement du délai de prescription des infractions de nature sexuelle commises contre des mineurs :
La Commission a été saisie de deux amendements présentés respectivement par M. Pierre Lellouche (n° 3) et par M. Gérard Léonard, tendant à modifier la prescription des infractions de nature sexuelle commises contre les mineurs. Après avoir rappelé que cette question, évoquée lors de la discussion de la loi relative à la sécurité intérieure, avait été renvoyée au débat sur le projet de loi concernant M. Gérard Léonard a indiqué que les deux amendements avaient le même objet, à savoir allonger le délai de prescription des infractions de nature sexuelle commises contre les mineurs, mais différaient dans leur dispositif puisque M. Pierre Lellouche proposait de les rendre imprescriptibles, alors que son amendement portait la prescription à trente ans pour les crimes et vingt ans pour les délits. Il a souligné que le délai actuel, qui court à compter de la majorité de la victime, était trop court, puisque, dans bien des cas, les enfants victimes d'abus sexuels ne parviennent à dénoncer les faits qu'à l'âge adulte, au moment où ils envisagent l'arrivée d'un enfant. M. Jean-Paul Garraud s'est interrogé sur l'opportunité de limiter cet allongement de la prescription aux seules infractions sexuelles commises contre les mineurs. Après avoir rappelé que l'âge moyen de la première maternité se situait aujourd'hui aux alentours de trente ans, soit deux ans après l'expiration du délai de prescription actuel, M. Gérard Léonard a fait valoir que cette modification était justifiée par le caractère spécifique des infractions en cause. La Commission a rejeté l'amendement n° 3 de M. Pierre Lellouche, avant d'adopter l'amendement de M. Gérard Léonard. »
Mais cet article n’est apparu que sous l’angle de la protection des victimes. Il aurait donc comme unique conséquence de créer une nouvelle exception en matière de prescription, ce qui vous semble fâcheux.
Pourtant cette exception serait, à mon sens, une considérable avancée pour notre société.
J’ai moi-même été victime, à 10 ans, d’agressions sexuelles commises par un prêtre qui, pendant de nombreuses années, a réuni autour de lui un groupe de fillettes et a donc pu abuser de nombre d’entre elles, en toute impunité jusqu’à présent, même s’il a reconnu ses actes, puisque je n’ai réussi à les dénoncer qu’à 32 ans, soit 4 ans trop tard selon la Loi actuelle.
Maintenir ces agresseurs d’enfant dans l’impunité, c’est aller à l’encontre des demandes des associations de protection de l’enfance et des thérapeutes de victimes d’inceste et d’actes de pédophiles qui réclament haut et fort que ces crimes ne soient plus prescrits et soient même reconnus comme crimes contre l’humanité tant ils causent des dommages irréversibles !
Ce Projet de Loi offrait la possibilité de le reconnaître et de poser nettement ces crimes comme exceptionnellement graves.
Mais vous n’avez pas reconnu cette approche suffisamment pertinente pour déroger à la règle, alors je vais tenter d’argumenter selon l’axe qui vous tient apparemment davantage à cœur : « la prévention et la répression des infractions sexuelles ».
Au moment même où vous dotez la justice de nouveaux moyens de répression des infractions sexuelles, vous décideriez d’écarter du fichier des délinquants sexuels tous les agresseurs d’enfants n’ayant pas été dénoncés assez tôt ?
Il est notoire que ces délinquants sont récidivistes, d’où l’intérêt, d’ailleurs, d’un fichier pour les répertorier et recouper les enquêtes.
Combien d’enfants ces agresseurs pourront-ils donc ainsi agresser avant que l’une de leur victime trouve le courage de le dénoncer dans le temps de la Loi actuelle afin qu’il soit arrêté et porté sur ce fichier ?
L’idée que le prêtre qui a abusé de moi puisse continuer d’abuser d’autres enfants, parce que j’ai parlé trop tard, me révulse !
Dans votre souci de mieux réprimer les infractions sexuelles, j’espère que vous retiendrez cet argument pour revoir votre positionnement quant à l’article 24 A !
Je vous remercie pour votre attention et espère sincèrement que nos Lois protégeront bientôt convenablement nos enfants en mettant définitivement un terme aux crimes sexuels que certains adultes se permettent de commettre sur eux …