La secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance Charlotte Caubel a présenté ce mercredi 7 juin en Conseil des ministres les axes d’un nouveau plan du gouvernement contre les violences faites aux enfants qui sera officiellement présenté à l’automne.
Le plan 2023-2027 prendra ainsi le relais de celui de 2020-2022 lancé lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Cette ébauche ne nous semble pas à la hauteur de l’enjeu de santé publique et de protection de l’enfance au sujet de l’inceste.
Une campagne choc « type sécurité routière »
La secrétaire d’État a notamment annoncé une grande campagne choc dès le mois de septembre sur le thème de l’inceste « sur le modèle de la sécurité routière ». La dernière campagne sur le sujet (« se taire, c’est laisser faire ») remonte à 2002 sous l’impulsion de Ségolène Royal alors ministre déléguée à la Famille, à l’enfance et aux personnes handicapées. Si l’inceste était la cible principale, le mot n’était jamais prononcé au profit des « maltraitances et des violences sexuelles sur mineurs ». Cela fait donc 20 ans qu’il n’y a pas eu de campagne nationale. Cette nouvelle opération est attendue depuis longtemps par notre association (elle fait partie de nos 30 propositions) et nous attendons qu’elle nomme clairement l’inceste comme fléau de santé publique.
L’expression « violences intrafamiliales » qui a émergé dans le rapport Chandler remis à Elisabeth Borne en mai 2023, ne doit pas masquer la réalité de l’inceste. Enfin, pour être effective, la campagne doit être récurrente et s’accompagner de mesures de prévention primaires et secondaires, sur le terrain. Pour notre association, cette campagne doit s’adresser aux adultes et pas aux enfants. C’est aux adultes de rendre des comptes et de se responsabiliser face à leurs actes. L’expression « phénomènes d’inceste » employée mercredi par Charlotte Caubel nous interpellent quant au vocabulaire qui sera utilisé dans cette campagne. Nous serons vigilants et militerons pour que le mot inceste y soit bien inscrit.
Outiller les professionnels en contact avec les enfants pour mieux détecter les violences
C’est une mesure que nous sollicitons dans le cadre de notre plan gouvernemental de lutte contre l’inceste depuis des années. Mais nous insistons sur le fait que cette formation, ne peut être facultative. Nous demandons une formation initiale et continue obligatoire des professionnel(le)s en contact avec les mineurs (soignants, professeurs, animateurs, éducateurs sportifs, moniteurs de centre de loisirs, etc.) sur les violences sexuelles, leurs conséquences, leurs repérages et sur les procédures de signalement.
Le gouvernement propose ainsi dans son plan d’implanter d’ici fin 2023 dans tous les services pédiatriques des hôpitaux des « unités d’accueil pédiatrique enfants en danger » (UAPED), sur le modèle de la procédure Mélanie dans les commissariats. Ces endroits sont munis d’un système d’enregistrement pour recueillir la parole de l’enfant qui y est entouré de professionnels formés. Nous appelons bien sûr cette généralisation de nos vœux et il est grand temps que la parole de l’enfant soit enfin respectée. L’enfant qui parle doit être considéré comme une victime présumée.
Une plate-forme pour soutenir et orienter des professionnels qui ont des soupçons
Charlotte Caubel a par ailleurs annoncé d’ici la fin de l’année la mise en place d’une cellule d’écoute à destination des professionnels qui ont des doutes sur un enfant qu’ils côtoient. Ils seront ainsi orientés vers les bons numéros et les bonnes démarches à faire. C’est une mesure que nous demandons (voir les recommandations de la HAS à notre initiative en 2011) depuis longtemps puisque les professionnels (médecins, enseignants, éducateurs, etc.) sont isolés sur le sujet et peuvent se sentir démunis. Il faut qu’ils soient formés pour recueillir la parole de l’enfant. Les médecins ont un rôle particulièrement central dans les signalements, pourtant seulement 5 % d’entre eux agissent (voir notre pétition pour rendre le signalement des enfants en danger obligatoire). Cette mesure doit s’accompagner de moyens supplémentaires pour accompagner les professionnels et les parents protecteurs.
Un plan qui ne va pas assez loin
Ces mesures sont nécessaires, mais ne sont absolument pas à la hauteur de l’ampleur de l’inceste en France, qui, on le rappelle concerne un Français sur 10 selon notre sondage de 2020 (Ipsos), soit 3 enfants par classe. Quid du nombre infime de condamnations des agresseurs ? De la correctionnalisation des viols ? De la durée décourageante de l’instruction ? De l’obligation de signalement des professionnels ? De la prise en charge des soins pour les victimes ? A quand un vrai service interministériel dédié à l’inceste ?
Ce qui fait encore et toujours défaut dans toutes ces annonces, c’est aussi la possibilité de protéger immédiatement l’enfant. La proposition de loi d’Isabelle Santiago adoptée et modifiée par le Sénat fin mars qui reviendra à l’Assemblée nationale en septembre 2023 ne répond pas à nos attentes. Elle permet la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement pour les parents poursuivis, mis en examen ou condamnés pour agressions sexuelles ou crimes commis sur l’enfant. Nous saluons la démarche. Mais c’est largement insuffisant ! Ces dispositions ne s’appliquent qu’au moment des poursuites pénales c’est-à-dire après la fin des enquêtes. C’est un temps très long, trop long. L’enfant subit des pressions, il est exposé aux violences. Pour le moins, il doit être protégé dès l’ouverture de l’enquête. L’enfant continue d’être exposé aux violences pendant de longs mois. Cela nuit également à la qualité de l’enquête. Par ailleurs, le parent protecteur s’expose à de lourdes sanctions pénales durant toute cette période pour non-représentation d’enfant.