Un très beau message d'espoir signé Christine Cissy White, originalement publié sur le site ACEstoohigh, que nous publions ici dans une traduction d'Armelle Pernet pour l'AIVI. L'auteure raconte comment la découverte de l'étude ACE a changé sa vie, en lui permettant de comprendre de quoi elle souffrait (c'est à dire de stress post-traumatique dû à l'accumulation de stress toxique durant l'enfance), comment se soigner efficacement et retrouver le goût du bonheur.
Est-ce que cela ne va pas déprimer les gens ?
Est-ce que cela pourrait être un élément déclencheur ?
Ces sujets ne sont-ils pas dérangeants ?
Est-ce que cela ne va pas rendre les gens tristes ou bien les irriter ?
La peur est une chose à laquelle je suis régulièrement confrontée lorsque j’aborde le sujet des ACEs – expériences traumatisantes de l’enfance. Il ne s’agit cependant pas de ma peur. C’est la peur que les autres ont à propos ce tout ce qui a trait aux ACEs. L’adversité. Les abus. Les addictions. L’abandon. Le rejet. L’affection.
Je ne pense pas que cette peur réside en ceux qui ont vécu avec des ACEs, au travers des ACEs ou qui en vivent les conséquences à l’âge adulte.
Lorsque j’ai découvert les ACEs, j’ai été submergée par la joie. J’ai ressenti un énorme soulagement. J’ai vécu ce moment tel un profond sentiment de reconnaissance. C’était épique.
J’ai aussi ressenti de la colère en réalisant que l’étude de la CDC-Kaiser Permanente Adverse Childhood Experiences (ACE) et tous les autres contenus scientifiques relatifs aux ACEs n’avaient pas été partagés avec moi. Aucun de mes docteurs, thérapeutes, psychiatres, professeurs, assistants sociaux ou autre personne de mon entourage ne m’en a parlé alors que j’allais devenir maman.
Pourquoi ?
Cette étude unique et son test en 10 questions ont changé ma vie. Cela a changé la perception que j’avais de moi-même et ce que je ressentais à propos de moi. Cette étude a changé ma façon de me comporter en tant que parent en donnant la priorité à l’éducation et aux soins. Cela a affecté non seulement ma vie personnelle mais aussi ma vie professionnelle en tant qu’écrivain, militante pour la santé et survivante.
C’est un mouvement et une mission dont la portée me dépasse.
L’étude ACE fait référence à 10 catégories de traumatismes d’enfance : les traumatismes physiques, les abus sexuels et émotionnels, les négligences physiques et émotionnelles, le fait de vivre avec un membre de la famille alcoolique, dépendant d’autres substances, dépressif ou atteint de troubles psychiques, le fait de vivre un divorce ou une séparation, d'avoir un membre de la famille incarcéré, ou d'être témoin des abus commis sur sa mère. Certains questionnaires ACEs qui ont suivi, prennent également en compte le racisme, le fait d’être témoin de violences à l’extérieur de l’environnement familial, le harcèlement, le fait d’avoir perdu un parent lors des déportations, l’insécurité du voisinage, ou encore l’évolution dans des foyers d’accueil. Peuvent également être inclus dans les difficultés liées à l’enfance le fait d’être sans-abri, de vivre dans une zone de guerre, d’être immigrant, d’avoir déménagé de nombreuses fois, d’être témoin de l’abus d’un proche, d’une baby-sitter ou d’un parent, d’être impliqué dans des affaires criminelles, d’être soumis à une tolérance zéro à l’école, etc.
L’étude ACE a démontré que plus le score ACE est élevé – à savoir plus une personne compte d’expériences traumatisantes dans l’enfance – plus le risque de connaître des maladies chroniques, des désordres mentaux, la violence en tant que victime et agresseur, et un panel d’autres conséquences était élevé. L’étude démontre que la plupart des personnes interrogées (64%) ont un score ACE de 1 ; 12% ont un score ACE de 4. Avoir un score ACE de 4 double presque le risque de crise cardiaque et de cancer. Cela augmente la probabilité de devenir alcoolique de 700% et le risque de tentative de suicide par 1200%. (Pour calculer votre score ACE et pour plus d’informations, voir la page ACE de Face à l'inceste ).
L’étude ACE a également démontré que le type d’ACE importait peu. Un score ACE de 4 incluant un divorce, un abus physique, un membre de la famille incarcéré et un membre de la famille dépressif aboutissait aux mêmes conséquences sur la santé qu’un score ACE de 4 incluant le fait de vivre avec un parent alcoolique, des violences verbales, des négligences émotionnelles et physiques.
Cette étude unique en son genre a eu plus d’effets sur moi que des décennies de thérapie en m’aidant à comprendre l’impact du stress post-traumatique.
Je souhaite le partager. Cette information devrait être partagée avec le plus de personnes possibles. Il n’y a rien ici de négatif, de déprimant ou d’irritant.
L’adversité est négative, déprimante et irritante. Le traumatisme est traumatisant. Mais comprendre les ACEs et leur impact est surprenant, incroyable, thérapeutique, facteur d’une meilleure santé et porteur d’espoir.
Il est difficile de transmettre cela de façon aussi profonde et empathique que je le souhaiterais.
J’AI PLEURÉ DE JOIE lorsque j’ai appris que d’autres personnes de mon âge ayant un score ACE similaire au mien s’étaient vu prescrire des antidépresseurs ou des anti-anxiolytiques.
Est-ce seulement moi ? Suis-je un échec, trop faible, ou trop sensible ?
Pour la première fois, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un problème personnel mais bien d’un problème social, d’une relation de cause à effets.
Les problèmes d’humeur sont des symptômes. Les traumatismes infantiles (ACEs) sont le problème. Je n’étais pas le problème.
J’ai cessé de regarder en moi-même ou de comprendre ce qui n’allait pas CHEZ moi ou avec moi. J’ai vu que des milliers de personnes avec des scores ACEs similaires au mien souffraient de la même façon. J’ai aussi constaté que des milliers de personnes avec des scores ACEs inférieurs au mien souffraient moins et menaient des vies plus saines.
Cela a tout changé.
J’ai commencé à chercher pourquoi les personnes avec un score ACEs moins élevé que le mien avaient ce qui me manquait.
J’ai arrêté de me concentrer sur mes plus gros défauts ou de culpabiliser parce que je montrais mes larmes ou mes regrets.
Ce fut un profond changement.
- - Ce virage m’a fait me sentir mieux, en moi, telle que j’étais et comment je me percevais.
- - Ce changement m’a amené à témoigner plus de compassion envers mes parents.
- - Ce changement m’a fait comprendre de façon évidente que le fait d’être parent était la chose la plus importante que je ne ferais jamais et que tous les efforts que je ferai pour ma fille l’aideront maintenant et tout au long de sa vie.
Il y a aussi des avantages pratiques à cette approche.
Je peux désormais parler des ACEs en général sans avoir à entrer dans les détails de mon histoire à chaque fois que je vais consulter un docteur, un thérapeute ou un psychiatre.
Par exemple, récemment la personne en charge de la médecine comportementale à mon centre de soins a changé. J’ai dû rencontrer une nouvelle personne d’une trentaine d’année pour la prescription de mon Praxil.
Cette dernière a commencé par me demander de lui raconter mon histoire de vie.
- « Mon score ACEs est de 8 » ai-je répondu.
- « Qu’est-ce que cela veut dire ? » a-t-elle demandé.
Je lui ai expliqué ce qu’était l’étude ACEs, le site internet de la CDC ainsi que le réseau ACEs, qui inclut ce site, les ACEs trop élevés, et le groupe ACEs connection, un réseau social dédié aux personnes qui mettent en place la méthode de prise en compte des traumatismes (« trauma-informed care ») ainsi que les pratiques de construction de la résilience (« resilience-building ») basées sur la méthode ACEs.
Elle est revenue sur le sujet de mon enfance.
« C’est dans le dossier » ai-je répondu. « Si vous souhaitez le lire, vous pouvez. Mais connaître mon score ACEs suffit en soi.
Plus de 90% des personnes de mon âge ayant vécu une histoire similaire font face à l’anxiété et la dépression. Je suis ici pour gérer mon stress post-traumatique.
J’ai été polie, calme et claire dans le fait que je ne souhaitais pas et n’avais pas besoin de décrire toute l’histoire de ma vie.
Je ne voulais pas revenir sur les problèmes avec mon père ou ressentir la honte à propos des abus ou de choses pires encore que qu’on m’a faites subir. Je vais avoir 50 ans.
« En fait, c’est une simple demande pour mon médicament habituel. » ai-je indiqué. « J’ai besoin que vous remplissiez ma prescription. Je gère déjà bien mon stress post-traumatique. Je ne cherche pas à discuter, entamer une thérapie ou recevoir un avis. J’ai simplement besoin de cette prescription. »
Je suis restée polie mais je gérais mon stress post-traumatique au moins depuis qu’elle était née. Je ne veux pas partager l’histoire de ce qui m’a causé ce stress post-traumatique tous les trois mois et certainement pas avec une totale étrangère.
Néanmoins, j’ai pu échanger beaucoup en lui parlant de mon score ACEs. J’ai pu le faire sans révéler ce que je ne souhaitais pas partager.
Elle a cherché à connaître l’histoire de mon enfance et de ma vie, mais avoir été agressée n’est pas mon histoire. C’est l’histoire de la personne qui commet l’agression. Étre victime de négligences ou de violence n’est pas mon histoire. C’est l’histoire de la personne qui a commis ces actes. Mon histoire, c’est celle de vivre avec un stress post-traumatique. C’est de cela dont je peux parler.
Adopter le langage ACEs me donne de la force. J’ai partagé les informations dont elle avait besoin pour qu’elle puisse me prescrire mon médicament mais d’une façon où je ne me suis pas sentie trop exposée.
J’ADORE ça. Pour moi, cela me permet d’éviter une perte de temps de 20 minutes qui est souvent triste, déclencheur d’émotions et déprimante. Au lieu de cela, de jeunes docteurs vont apprendre plus à propos des ACEs qui me touchent autant qu’ils touchent aussi n’importe qui d’autre.
En savoir plus à propos des ACEs n’a pas soigné mon stress post-traumatique. Suivre une thérapie ne l’a pas soigné non plus et m’a couté beaucoup de temps et d’énergie, mais personne n’a jamais dit que rien de tout cela n’aurait jamais dû arriver.
Apprendre sur les ACEs a normalisé le diable derrière presque chacun des symptômes que j’ai combattus, la plupart du temps de façon isolée pour une grande partie de ma vie.
Et c’est ce qui a fait de moi un disque rayé à propos des ACES. Cela n’arrive nulle part ailleurs pour les gens comme moi.
J’ai découvert une chose qui m’a aidé à passer d’un sentiment d’échec en tant qu’être humain à un niveau plus fondamental : qu’importe ce que j’ai fait ou tenté de faire, un être humain, comme tout autre être humain est impacté par les ACEs.
La plupart des gens ayant un score ACEs élevé connaît des symptômes, des problèmes et des conséquences. La plupart des personnes ayant un score ACEs faible ont moins de symptômes, de problèmes ou de chocs. Cela signifie que l’incidence cumulée du trauma est au coeur du problème, ce n’est pas moi ou la façon dont je gère le problème.
Cela implique que le stress traumatique résulte d’une adversité toxique qui n’a en réalité rien d’un mystère.
Le fait d’énoncer cela, sans rien faire d’autre, est d’une aide colossale et apporte l’espoir.
La seule chose déprimante à propos de ACEs est que cette information n’ait pas été portée à ma connaissance plus tôt, lorsque j’étais plus jeune, car cela aurait aidé à ma guérison, m’aurait apporté en tant que parent, et m’aurait aidé à gérer mon stress post-traumatique.
Je pense que le questionnaire et l’étude ACEs ont transformé la question « qu’est ce qui ne va pas avec moi ? » par la question « que m’est-il arrivé ? » amenant ainsi les questions suivantes :
- - Qu’est-ce que je n’ai pas et dont j’ai le plus besoin ?
- - Quelles compétences, ressources ou support les autres ont-ils reçu, que je pourrai à mon tour essayer de donner en tant qu’adulte ?
- - Qu’est-ce que j’ai besoin d’apprendre que je pourrai enseigner à mes enfants ?
- - Comment être un parent avec un score ACE élevé avec un enfant avec un score ACE faible ?
- - Comment m’assurer que mes enfants auront tout ce dont j’ai manqué ?
Cette connaissance à propos des ACEs m’aide à prioriser ma disponibilité, ma patience et ma présence en tant que parent parce que je sais qu’il est aussi important que ma fille soit vaccinée, qu’elle arrive à l’école à l’heure ou bien qu’elle se nourrisse correctement.
Pensez au nombre de fois où l’on s’inquiète à propos de la nourriture fast food, de l’envoi de SMS ou encore de la quantité de sucre que nos enfants mangent. Pourquoi ne pas parler autant des ACEs ?
Pourquoi ne partagerait-on pas ces informations ? Je ne comprends pas.
Ceux d’entre nous qui ont un score ACE élevé ne sont pas traumatisés par cette étude. Nous sommes traumatisés par le traumatisme.
Honnêtement, nous sommes stigmatisés par la peur des autres qui se sentent mal à l’aise par rapport à ce avec quoi nous avons vécu et ce faisant, ils nous voient comme des personnes cassées ou abîmées.
J’ai eu l’habitude de me comparer aux autres en pensant que je ne faisais pas le poids. Mais j’ai réalisé que ce n’est pas simplement le fait qu’ils mangent plus sainement, font plus de sport ou sont plus optimistes. Ils ressentent l’attachement, la stabilité, la sécurité et cela les rend fort parfois tout au long de leur vie.
L'effet Zéro
« Avec un score ACE de 0 tu as une population médicalement inintéressante. Pas d’obésité, pas de tabagisme, pas d’alcool, pas de diabète, pas d’hypertension, etc.
Aucun médecin interne n’a de chance de gagner sa vie avec un tel groupe.
Mais avec un score ACE de 4 et plus, cela devient de la grande médecine. »
Il ne s’agit pas seulement de ce que les personnes avec un score ACEs élevé subissent, il s’agit aussi de ce que les personnes avec un score ACEs faible ne subissent pas.
OU
On ne peut pas se contenter de dire que c’est une coïncidence.
Il ne s’agit pas seulement du fait que je n’ai pas de chance. Il s’agit aussi du fait qu’ils ont de la chance. Ils devraient écrire à leurs parents pour les remercier chaque jour. Ils devraient réaliser qu’ils ont profité de ce que leurs parents et leur communauté pouvait leur apporter et que de ce fait, ils peuvent continuer à en bénéficier.
Et s’il est vrai que je ne peux pas changer mon passé, je peux changer l’impact de celui-ci dans le présent grâce à ce que je sais à propos des ACEs. Je peux comprendre pourquoi mes parents n’ont pas été capables de le faire et pourquoi cela a été dur pour moi. Et avec cela, je peux changer le futur.
C’est une SUPER NOUVELLE ! Faire face aux traumatismes de l'enfance a fait de moi une meilleur mère, plus saine et plus heureuse.
Cissy White