Le casse-tête de la prescription pénale

Dossier Publié le 06.11.2023

Quels sont les fondements de la prescription ? Pourquoi existe-t-elle ? Comment savoir si une infraction est prescrite ? Nous vous expliquons tout dans ce dossier.

Sommaire

 

1. Qu'est-ce que la prescription ?

Régie par le Code de procédure pénale, la prescription de l’action publique en matière criminelle, équivaut à une amnistie octroyée après un laps de temps déterminé, s’il n’y a pas eu de poursuites judiciaires contre l’agresseur et ce même si l’agresseur avoue les faits et demande à être jugé. Cet oubli ou « pardon » accordé par la société au délinquant, passé un certain temps après l’infraction, est irrévocable. 

 

2. Pourquoi la prescription est prévue par le droit ?

La prescription pénale, est fondée sur l’intérêt de la société et non sur l’intérêt du délinquant. Le concept peut paraître difficile à comprendre, surtout pour une victime d’inceste ou d’infraction sexuelle, sachant qu’un pédocriminel peut agir tout au long de sa vie et faire plusieurs dizaines de victimes. Sachant cela, comment se justifie la puissance du temps sur le crime ou le délit commis par rapport au droit et au devoir de l’État de maintenir l’ordre public par la répression ? La société poursuit pour rétablir l’ordre et maintenir la sécurité publique, elle ne poursuit pas en vue de l’expiation. Or, le châtiment trop éloigné du délit devenant inutile, puisque le souvenir du fait coupable est effacé et que le besoin de l’exemple a disparu, le devoir et même le droit de punir cessent d’exister pour la société.

  • Les arguments mis en avant ne sont pas toujours clairs ni compréhensibles, surtout aujourd’hui, en ce qui concerne cette notion de l’oubli. Mais généralement, on retrouve les arguments suivants justifiant la prescription :
  • L’opinion ne nécessite plus un jugement, le trouble causé à l’ordre public est éteint
  • La victime ne réclame plus vengeance
  • Les preuves ont dépéri et la justice sera impossible à rendre
  • Le coupable a craint pendant tout le temps de la prescription la justice et ce temps a été pour lui non pas un vrai temps de liberté, mais comme celui d’une peine s’il n’a pas réitéré
  • L’inaction de la partie poursuivante doit être sanctionnée.

Toutefois, cette justification de la nécessité de prescription peut sembler aujourd’hui désuète ou en décalage avec les attentes de notre société. Reposant sur plusieurs autres constructions intellectuelles, et sur quelques éléments factuels la prescription a aussi ses opposants, notamment le Sénateur Bernard Fournier. Selon lui aucun des arguments énoncés ne tient pour les raisons suivantes :

  • La prescription se nourrit de la prétendue nécessitée d’oubli et de paix sociale, cependant, en matière de crime, cette justification d’ordre purement philosophique ne tient plus, a fortiori dans une société fortement marquée par l’équité et soumise à la pression de l’information : le droit du XXIème siècle ne peut se caler sur les seuls fondements théoriques de celui du début du XIXème ;
  • La prescription prend en compte le prétendu remords, ou la prétendue inquiétude dans laquelle le coupable a dû vivre pendant le délai : ce postulat cède à un angélisme romantique inadapté à notre société ;
  • L’idée de négligence de la société fondant la prescription cède, quant à elle, devant les nouvelles formes de criminalité qui laissent apparaître des mécanismes de perversion et d’organisation mafieuse propre à notre époque.
  • La raison factuelle de dépérissement des preuves ne tient plus au regard de l’évolution des nouvelles technologies ni surtout devant le développement de la lutte scientifique contre le crime. « C’est en principe au ministère public (ou éventuellement à la partie civile) qu’il appartient de fournir la preuve que le couperet de la prescription n’est pas tombé » (Cass.crim. 19 avril 1995 - Gaz.Pal. 1995 II Chr.crim. 362).

Les victimes elles, n’ont que faire de ces arguments juridiques dépassés. Le Canada et les pays du Common Law ne pratiquent pas de prescription pour ce genre de crimes. Alors pourquoi la France s’obstine à conserver une pratique qui protège l’agresseur et expose les enfants victimes ? Une victime d’inceste, pour survivre à son traumatisme, met parfois 10, 20, 30 ans pour sortir du déni qui la protège de l’innommable qu’elle a vécu. Lorsqu’elle est prête à parler, souvent pour protéger d’autres enfants d’un prédateur en série, le couperet de la prescription dit “trop tard !”

Car le problème est là. L’agresseur est protégé par le silence qu’il a imposé aux victimes ce qui lui permet de continuer sa carrière en toute impunité. Et la loi le blanchit régulièrement par la prescription. Aberration de notre système ? Oui, on s’en rend compte, c’est pourquoi, à petits pas, la France change sa loi depuis 25 ans. On avance, au gré des législatures, aux forceps, mais on avance. Pour les victimes adultes, le résultat est bénéfique certes, mais c’est aussi un casse-tête pour savoir si les faits qu’elles ont subis sont prescrits ou non. Les professionnels même s’y perdent.

Pour preuve, une affaire arrivée au tribunal a été déclarée prescrite après avoir suivi la chaîne de la police, de l’instruction, être passée par les mains des avocats et autres greffiers... Évidemment, c’est devenu très compliqué de s’y retrouver. Pour faire simple, la loi en France n’étant pas rétroactive, c’est la loi en vigueur au moment des faits qui s’applique moyennant certaines conditions bien sûr. Et l’évolution de la loi pour les mineurs victimes s’est faite en plusieurs étapes.

 

3. Les évolutions de la loi sur la prescription

Concernant les crimes de viol

Loi n°89-487 du 10 juillet 1989 (JORF du 14 juillet 1989), première évolution : pour les viols commis par ascendant ou personne ayant autorité, la prescription commence désormais à partir de la majorité de la victime et non à partir de la fin des faits. En effet, pour les crimes et délits, avant cette date, c’est le régime commun qui s’applique à savoir la date des faits. Réalisant qu’un mineur violé sous le toit de ses parents ne peut porter plainte compte tenu du lien de dépendance, le législateur décide que le délai de prescription doit commencer à compter de la majorité de la victime. Ceci est valable pour un viol commis par ascendant ou personne ayant autorité. Pour un délit (agression ou atteinte sexuelle), on reste à trois ans après les faits.

Loi n°98-468 du 17 juin 1998 (JORF 18 juin 1998), octroie le même délai de prescription, à partir de la majorité de la victime, pour les viols commis par un tiers n’ayant pas autorité sur mineur de 15 ans.

Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 (JORF du 10 mars 2004), le délai de prescription est rallongé à 20 ans après la majorité de la victime soit 38 ans sous certaines conditions

  • Victime née après le 9/03/1976,
  • Viol subi après le 10/07/1979 par ascendant ou personne ayant autorité sur mineur de 15 ans.

Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (JORF du 5 août 2018), le délai de prescription des viols commis sur mineur (article 222-23 du code pénal) est ainsi étendu à 30 ans révolus à compter de la majorité de la victime. Ainsi, la victime peut porter plainte jusqu’à ses 48 ans, indépendamment de la date de commission des faits, pour un viol commis par un ascendant ou une personne ayant l'autorité de droit ou de fait sur le mineur.
 La loi étend la définition du viol en ajoutant la pénétration sexuelle par la victime sur la personne de l’auteur.

Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (JORF 22 avril 2021) deux nouvelles notions voient le jour :

  • La prescription dite « glissante » : au préalable, il faut que le même agresseur commette, sur un autre mineur et avant l’expiration du délai de prescription de la première victime, une nouvelle infraction sexuelle sur mineur (viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle). Dans ce cas, le délai de prescription du crime initial est prolongé, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction commise. L’objectif de cette disposition est de donner à la première victime la possibilité de se joindre à une procédure engagée par la autre victime, pour laquelle le délai n’est pas prescrit, lui permettant ainsi d’augmenter ses chances d’indemnisation et de poursuites à l’encontre de son auteur.
  • La connexité des affaires : la prescription d’une infraction sexuelle sur mineur (viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle) est interrompue par certains actes réalisés dans une procédure concernant une autre infraction sexuelle sur mineur engagée à l’égard du même agresseur. Dans ce cas, un nouveau délai de 30 ans démarre, à chaque acte interruptif de prescription réalisé dans la procédure en cours, pour les victimes n’ayant pas encore déposé plainte, à condition qu’au moins une victime ait déposé plainte et que l’agresseur soit le même. Les autres victimes d’un même agresseur pourront bénéficier d’un délai de prescription bien plus long si au moins une plainte a été déposée dans le délai de prescription initial.

Les actes interruptifs de prescription sont les suivants :

  • Tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l'action publique (réquisitoires introductif, plainte avec constitution de partie civile, convocation devant le tribunal) ;
  • Tout acte d'enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ;
  • Tout acte d'instruction prévu aux articles 79 à 230 du présent code, accompli par un juge d'instruction, une chambre de l'instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ;
  • Tout jugement ou arrêt, même non définitif, s'il n'est pas entaché de nullité.

Concernant les délits d’agressions et d’atteintes sexuelles

Loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social (JORF du 5 février 1995), les délits (atteintes et agressions sexuelles) bénéficient des mêmes dispositions que le crime de viol sur mineur, à savoir, le calcul du délai de prescription à partir de la majorité de la victime pour les faits commis par ascendant ou personne ayant autorité.

Par exemple, un enfant de six ans victime d’agressions sexuelles dans sa famille avait jusqu’à ses neuf ans pour porter plainte ! Si ce n’était pas si grave, cela prêterait presque à sourire ! Évidemment, avec de telles dispositions législatives, les statistiques d’agressions sur mineurs ne pouvaient pas exploser. Donc, à partir de 1995, la prescription commence à courir à partir de la majorité de la victime si la victime est née après le 9/03/1983, le dernier acte a été subi après le 04/02/1992 et si le délit a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle.

Loi n°98-468 du 17 juin 1998 (JORF du 18 juin 1998), le délai de prescription est rallongé à 10 ans à compter de la majorité de la victime soit 28 ans.

Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le délai de prescription est rallongé à 20 ans après la majorité de la victime soit 38 ans.

Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille (JORF du 29 décembre 2019), le régime de la prescription de l’infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l’encontre des mineurs évolue. A la définition du délit de non-dénonciation d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur (prévue à article 434-3 du code pénal) est ajouté le fait de continuer à ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives tant que les infractions prévues n’ont pas cessé. La prescription ne commence alors à courir que lorsque cessent les infractions qui auraient dû être dénoncées.

Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (JORF du 22 avril 2021), a introduit la notion de « prescription glissante » pour les crimes et délits sexuels. La commission d’une agression ou atteinte sexuelle sur une nouvelle victime, tout comme la commission d’un viol, peut donc entrainer le prolongement de la prescription d’un ancien délit. Cette disposition permet donc à une victime de se joindre à une procédure engagée par l’autre victime, pour laquelle le délai n’est pas éteint, afin d’augmenter ses chances de poursuites à l’encontre de son auteur.

 

4. Calculer un délai de prescription

En France, lorsqu’un crime ou un délit sexuel est commis sur un mineur, le point de départ du délai de prescription est fixé au jour des 18 ans de la victime, et non à la date des faits. Ainsi depuis la loi du 21 avril 2021 :

  • Le viol incestueux est prescrit 30 ans après la majorité, soit jusqu’aux 48 ans de la victime.

  • L’agression sexuelle incestueuse (hors viol) est prescrite 20 ans après la majorité, soit jusqu’aux 38 ans de la victime.

Attention, ces délais s’appliquent uniquement si aucun acte de procédure judiciaire n’a été engagé dans l’intervalle. En cas de dépôt de plainte, d’audition, de perquisition ou d’instruction, la prescription peut être interrompue ou suspendue, prolongeant ainsi le délai.

5. Attention à la correctionnalisation

Véritable contournement de la loi, la correctionnalisation des viols est une pratique extrêmement répandue. Selon le Sénat français, « la pratique de la « correctionnalisation » des viols, consistant, pour l'autorité judiciaire, à requalifier un viol en agression sexuelle en passant sous silence certains des éléments constitutifs de l'infraction, ce qui permet de juger les auteurs plus rapidement devant une juridiction correctionnelle plutôt que devant une cour d'assises, au terme de délais nécessairement plus longs ». En clair, la correctionnalisation d'un viol ou requalification des faits consiste à juger un viol en cours correctionnelle comme un délit alors qu'il devrait être jugé en cours d'assises car c'est un crime. Le but non avoué, désengorger les cours d'assises des trop nombreuses affaires de viols à juger et limiter les dépenses. En effet, un viol en assises est jugé en quelques jours, en correctionnelle en quelques heures au plus entre les excès de vitesse et les vols.

Toute la chaine judiciaire peu s'employer à ce que la victime accepte la correctionnalisation. C'est cette dernière qui en fait les frais au profit d'un système qui peine à remplir son rôle. Cela peut commencer à la Brigade des mineurs, à la gendarmerie, pendant l'instruction, par l'intermédiaire de son avocat qui a aussi du temps et de l'argent à gagner dans cette affaire de correctionnalisation.

Les arguments ne manquent pas pour convaincre la victime : les délais d'instruction seront plus courts, les juges professionnels sont plus aptes à juger ce genre d'affaires que les jurés populaires qui peuvent acquitter l'agresseur...

« Les autres personnes entendues par votre rapporteur, notamment les représentants de magistrats, ont toutefois souligné qu'une telle pratique était fréquemment profitable à la victime, notamment lorsque certains des éléments constitutifs du viol paraissent difficiles à établir et qu'une requalification des faits en agression sexuelle permet d'éviter d'exposer la victime au traumatisme que représenterait une audience criminelle suivie d'un acquittement », souligne le Sénat.

Les conséquences sur la prescription ne sont pas évoquées à la victime car le régime de prescription des délits a longtemps été différent de celui des crimes. Donc des viols non prescrits, s'ils sont jugés en correctionnelle, pourraient devenir prescrits. Les magistrats entendus au Sénat déclarent que la question de la correctionnalisation est sans incidence sur les règles de prescription de l'action publique, dans la mesure où des faits de viols seront systématiquement poursuivis selon la procédure criminelle dès lors qu'il ne sera plus possible de les poursuivre sous la qualification d'agression sexuelle. Toutefois, rien n’est écrit dans la loi à ce sujet.

Affaire Tristane Banon contre Dominique Strauss Kahn

"La plainte de Tristane Banon à l’encontre de Dominique Strauss-Kahn a été classée sans suite. La décision du Parquet de Paris vient de tomber. La jeune journaliste-romancière accuse DSK d’avoir tenté de la violer en 2003 dans un appartement parisien alors qu’elle venait l’interviewer. « A l’issue de l’enquête confiée à la Brigade de Répression de la Délinquance contre la Personne (BRDP), il ressort que si faute d’éléments de preuve suffisants, les poursuites ne peuvent être engagées du chef de tentative de viol, des faits pouvant être qualifiés d’agression sexuelle sont quant à eux reconnus », indique le parquet dans un communiqué de presse. Cependant, ces faits ne peuvent être poursuivis car le délai de prescription en matière d’agression sexuelle est de trois ans." De plus, les peines sont minimisées en correctionnelles (10 ans maximum pour agression sexuelle, 20 ans pour viol aggravé).

Toutefois, en vertu de l'article 186-3 du code de procédure pénale, issu de la loi du 9 mars 2004 dite « Perben II », la victime dispose de la faculté de s'opposer au renvoi de l'affaire devant une juridiction correctionnelle : son accord au moins tacite est donc requis. Donc depuis 2004, c'est à la victime de faire en sorte que la loi soit appliquée en s'opposant à la correctionnalisation.

 

6. Interruption de la prescription

Aux termes des articles 7, 8 et 9 du Code de Procédure Pénale, constituent des actes interruptifs de prescription tout « acte d’instruction ou de poursuite ». La formule est très large, plus encore selon la jurisprudence. Dans l’affaire des disparues de l’Yonne, la Chambre Criminelle a indiqué dans des termes généraux « qu’interrompt le cours de la prescription de l’action publique tout acte du Procureur de la République tendant à la recherche et à la poursuite des infractions ». Plus particulièrement, le dossier contenait une demande de renseignement du Procureur de la République d’Auxerre en date du 3 mai 1993 adressée à la Direction de l’aide sociale à l’enfance de l’Yonne. Le Procureur de la République avait ainsi rédigé son courrier : « J’aurai besoin de savoir précisément ce que sont devenues des jeunes-filles qui, sauf erreur, ont été suivies par vos services dans les années 1970-1980 : Christine C, Madeleine Y, Bernadette A, Kathia E. »

Lorsqu’une demande de renseignement est adressée par le Procureur de la République à une autorité non judiciaire, il était permis de penser, depuis un arrêt de la Chambre Criminelle en date du 3 février 1977, qu’une telle demande ne constituait pas un acte interruptif de prescription. En infirmant cette décision, l’arrêt de la Cour de Cassation du 20 février 2000, opère donc un revirement. Il faut considérer désormais qu’une demande de renseignements formée par le Procureur de la République à n’importe quelle administration interrompt le cours de la prescription de l’action publique. Ces demandes étant occultes, l’auteur des faits ne pourra jamais savoir quand la prescription lui sera acquise. Plus loin encore, l’acte interruptif n’a plus nécessairement pour objet la constatation de l’infraction, il lui suffit de tendre à sa recherche. Il y a là une ouverture sensible susceptible de conférer à bon nombre d’actes accomplis par le Procureur de la République avant la découverte de l’infraction un caractère interruptif. L’interruption de la prescription a pour effet de relancer un nouveau délai qui va commencer à courir à compter du jour du dernier acte.

La loi d’avril 2021 a introduit/renforcé un mécanisme relatif aux « actes interruptifs de prescription » (article 9-2 du Code de procédure pénale) : certains actes (enquête, instruction, jugement, arrêt) intervenus dans une procédure concernant des faits de viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle, interrompent non seulement la prescription dans l’affaire en cours, mais également la prescription des procédures dans lesquelles les mêmes faits sont reprochés au même auteur. La suspension de la prescription a pour effet d’arrêter le cours de la prescription. Celui-ci reprendra là où il s’en était arrêté dès lors que cesse l’obstacle justifiant la suspension. Il y a une suspension lorsqu’un obstacle de droit met la partie poursuivante dans l’impossibilité d’agir. Aujourd’hui encore, 90 % des victimes ne portent pas plainte.

 

7. La prescription au civil

Prescription au civil pour obtenir réparation, il est possible de poursuivre un agresseur jusqu’à 20 ans après les faits au civil. Ceci permet uniquement d’obtenir réparation pécuniaire. C’est à la victime d’apporter la preuve de l’infraction. Selon l’article 2226 du Code Civil, lorsque le dommage est causé par des tortures et des actes de barbarie, des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l’action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans (après les faits). Au total, selon un recensement établi par la Cour de cassation en 2004, il existe plus de 250 délais de prescription différents, dont la durée varie de 30 ans à un mois. Nos sénateurs planchent sur une harmonisation des délais de prescription pénale. Selon un rapport publié le 20 juin 2007, il faudrait notamment : conserver le caractère exceptionnel de l’imprescriptibilité réservée aux crimes contre l’Humanité, ce qui ne nous laisse aucun espoir pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs ; allonger les délais de prescription de l’action publique applicables aux délits et aux crimes, en fixant ces délais à cinq ans en matière délictuelle et à quinze ans en matière criminelle ; établir, pour les infractions occultes ou dissimulées, à compter de la commission de l’infraction, un délai butoir de dix ans en matière délictuelle et de trente ans en matière criminelle. Ainsi, semble-t-il, notre pays n’est pas près d’abandonner sa chère prescription, protectrice des agresseurs.

 

 

8. A qui s'adresser ?

La frontière entre prescription ou non peut être ténue. Il convient toujours de s'adresser au moins à un professionnel pour confirmer un calcul (avocat, juge, association Inavem). Dans tous les cas, ne jamais se contenter d'un seul avis. Le calcul d'une prescription pouvant être complexe, les résultats peuvent être différents selon la compétence de l'interlocuteur. Dans tous les cas, mieux vaut demander le résultat du calcul par écrit ou par courrier et ne pas hésiter à payer une consultation pour obtenir cette information. Une membre de Face à l'inceste a consulté quatre avocats sur un délai de prescription, elle a obtenu quatre réponses différentes.

 

9. Porter plainte après la prescription

Il est tout à fait possible de porter plainte bien que le délai de prescription soit dépassé. Cela peut s'avérer utile pour protéger d'autres enfants toujours en contact avec l'agresseur. Pour ce faire, envoyer un courrier détaillé au Procureur de la République de votre lieu de résidence ou de celui de l'agresseur en recommandé avec accusé de réception ou courrier simple. Certains Procureurs diligenteront une enquête. Vous n'en serez pas forcément informé(e). Toutefois, si une ou d'autres victimes sont identifiées et que l'agresseur est jugé, vous pourrez être amené(e) à participer en tant que témoin. On pourrait ajouter que porter plainte est un devoir citoyen. C'est un service que l'on rend à la société en signalant qu'un crime a été commis. Ce que l'administration judiciaire fait ou ne fait pas suite à cette plainte, c'est un autre problème, en tout cas ce n'est pas de la responsabilité de la victime. Cela permet à la personne survivante de l'inceste de se décharger de la honte et de la culpabilité, et de remettre la responsabilité de s'occuper punir ou soigner l'agresseur et de protéger d'autres victimes potentielles entre les mains de la justice. C'est pourquoi nous encourageons tous nos adhérents à porter plainte même si les faits sont prescrits.