Un jour de février 2011, Isabelle Aubry me demande de faire un article sur la prévention de l’inceste. Pourquoi ce sujet ?
Par le Dr Nicole Poulbère
Elle me dit que cette question revient très fréquemment, que ce soit des familles, des victimes, des acteurs de santé. Pourquoi me demander cet article à moi ? Parce que je suis très sensible à ce sujet et je suis médecin urgentiste et médecin de prévention. Avec ces deux univers de médecin très différents, j’ai donc trop l’occasion de prendre en charge des patients victimes d’inceste. Ces enfants ou adolescents voir adultes (abusés préalablement) arrivent aux urgences dans un état de détresse majeure comme lorsqu’ils sont amenés par les secours après avoir fait une tentative de suicide. Je travaille aussi dans le monde de prévention et là, c’est assez épineux de savoir comment réduire un risque et aussi sensibiliser des personnes sur un sujet qui ne les touche pas « encore », risque non palpable (ce n’est pas comme un ganglion dont on doit surveiller s'il grossit) et risque non calculable.
En effet, les études montrent bien que l’inceste est un fléau qui touche toutes les classes sociales, les deux sexes, les liens de parentés plus ou moins proches, toutes les générations et tous les continents. Le challenge aussi sur la prévention l’inceste reste le fait qu’il s’agisse d’un sujet encore tabou. Comment parler dans les médias et surtout être entendus quand les personnes coupables ont un déni, quand cela ravive la douleur de certaines victimes et quand cela n’affectent aucunement le reste de la population car « on ne parle pas de ces choses-là ».
A mon sens, la prévention réside dans la discussion libre sur ce sujet, la communication au sein des familles, au sein des établissements scolaires, entre amis, auprès des acteurs de santé, des acteurs sociaux et des représentants de la justice. Il faut impérativement que les personnes capables de protéger les victimes agissent. C’est leur devoir et il s’agit de sauver ces victimes. Les personnes recevant les confidences, quelles quelles soient, doivent alerter en faisant une information préoccupante (pour un fait supposé) ou en informant le Procureur de la République (pour un fait avéré). Ces procédures de signalement sont accessibles à tous et répondent au devoir de chaque personne ayant un lien avec une personne victime d’inceste. Mais là encore, les adultes sont réticents à ce type de signalement. Pourtant, il y a de l’avenir de ces enfants et adolescents.
Il faut vraiment rappeler que le signalement n’implique pas un jugement (c’est du ressort des personnes compétentes qui enquêteront), le signalement préserve le respect de la vie privée et la procédure se fait de manière discrète. Il faut vraiment insister sur le fait que le signalement est en effet une étape difficile, grave, délicate également et qu’il ne faut donc pas la minimiser. Mais lorsqu’on garde à l’esprit que cela permettra à une personne d’éviter de sombrer, je pense qu’on peut être fière de sa démarche.
Ainsi, si la communication se fait, si les langues se délient sur ce crime, si les membres de familles avertis ne restent pas dans le déni. Ainsi, si la discussion libre sur ce sujet lourd amène à l’action en réprimant ces maltraitances. Ainsi, ces personnes en souffrance, subissant à la fois des atrocités physiques, mais qui se consument aussi moralement pourraient entrapercevoir un avenir plus serein. Nous vivons dans un monde où on prône la liberté de parole et où on parle de justice. Il faut donc parler.
Ainsi les victimes d’inceste n’auront plus déjà l’obstacle de se dire « comment est ce que je vais être vue si je parle » et donc se taisent encore à l’heure actuelle, renforçant ainsi la toute puissance de leur bourreau. Ainsi, les troubles générés moralement (à court et long terme) par l’inceste seront limités si la victime peut parler dès les premiers agissements. Ainsi les coupables seront sommés d’arrêtés dés le premier acte délictueux puisque la victime aura eu la force d’avertir quelqu’un, de se confier. Ainsi, la personne ayant reçu la confidence ne restera plus passive. Ainsi le dépistage de masse pourrait avoir sa place. Ainsi la législation pourrait être modifiée, car on verrait combien le nombre de victimes est conséquent. Ainsi, la loi punirait plus sévèrement les coupables. Ainsi ces derniers seraient peut-être plus enclins à réfréner leur pulsion avant de commettre un tel crime, car ils auront connaissance d’une sanction lourde et la liberté de parole de la victime le condamnerait rapidement.
Je dois vous faire un aveu : quand j’ai écrit le titre de l’article, je ne pensais pas réussir à écrire plus de quelques lignes. Pourtant, il y a beaucoup à écrire finalement. Je me permets de résumer donc la prévention de l’inceste en deux mots : sensibiliser et communiquer. Il faut sensibiliser sur les conséquences de ces barbaries, morales et physiques, à court et moyen terme, affectant la personne victime, mais aussi plus tard le conjoint, ses enfants, son avenir professionnel. Il faut parler : la victime ne doit plus craindre de parler, les médias doivent parler de ce fléau, la personne avertie d’une maltraitance doit parler.
En savoir plus en lisant "L'enfance muselée" de Catherine Bonnet, pédopsychiatre.