Pédocriminalité en Australie : autopsie d'un scandale

Dossier Publié le 09.02.2017

australia royal commission hearing

Déjà des milliers de victimes recencées sur le continent Australien : que nous apprend l'enquête offficielle sur la pédocriminalité ?  

L'Australie a mis en place en 2013 la Commission Royale de Réponse Institutionnelle aux violences sexuelles commises sur des mineurs (Child Abuse Royal Commission). Cet organisme a pour but :

  • - de recueillir la parole des victimes,
  • - de transférer des signalements à la police et à la justice,
  • - de publier des témoignages de survivants, sur Internet mais aussi dans un livre "Message to Australia" à paraître,
  • - d'examiner le fonctionnement des institutions religieuses ou laïques afin de comprendre pourquoi elles ont protégé les agresseurs plutôt que les victimes,
  • - de proposer des mesures de prévention.

 Des chiffres impressionnants

La première chose qui frappe est le nombre de dossiers que la commission a traités. A ce jour pas moins de 4444 victimes et 1880 pédocriminels ont été identifiés et quand c'était possible, auditionnés par la commission. D'après l'enquête approfondie de la Commission, des années 1950 à ajourd'hui, pas moins de sept pour cent des membres du clergé à qui on avait confié des enfants ont commis des agressions sexuelles. 7% c'est beaucoup trop pour que l'on puisse parler de cas isolés, bien que dramatiques. Ce que met en évidence la commission, à travers des témoignages qui ont une fâcheuse tendance à se ressembler, c'est une véritable culture du silence. Les enfants victimes de viol et d'agression sexuelles, lorsqu'ils parlent, sont ignorés ou pire encore, harcelés par leurs camarades (qui les traitent "d'homosexuels" lorsque les victimes sont masculines) et punis par les adultes qui étaient censés les protéger.

Le mea culpa tardif de l'Église catholique

L'Église catholique n'est pas seule en cause, même si les deux tiers des aggressions examinées par la Commission ont été commises par des religieux ou des laïcs liés à cette institution. Certaines études de cas comme la numéro 22 tendent à montrer que d'autres institutions religieuses réagissent de façon similaire. Une attitude qu'on pourrait résumer en une phrase: "circulez, il n'y à rien à voir. Il ne s'est rien passé, et vos enfants sont en sécurité avec nous". Les conséquences de cette attitude du déni ont été dramatiques: ainsi les prêtres qui étaient accusés d'agressions sexuelles étaient assignés à un autre dioècese à l'autre bout du pays, et leurs nouveaux paroissiens ignoraient tout des raisons de cette assignation. Autrement dit c'était un boulevard pour la récidive.

Il semblerait que les autorités aient tardivement pris conscience de l'ampleur et de la gravité du problème, et de la responsabilité, pour ne pas dire complicité de l'institution. Francis Sullivan de la commission "Vérité, Justice et Guérison" a commenté les chiffres officiels comme étant "choquants". "Ils sont tragiques et inexcusables", a-t-il déclaré. "Chaque entrée dans ces données représente un enfant qui souffrit à cause d'une personne qui était sensée le protéger et prendre soin de lui".

Le temps du déni semble donc toucher à sa fin. Il sera définitivement enterré le jour où l'institution placera la protection des enfants en tête de ses priorités, et cessera de protéger les agresseurs, d'acheter le silence des témoins ou de détruire des preuves afin de protéger sa propre réputation. Le jour où les Églises et autorités religieuses participeront activement aux campagnes d'information et de prévention contre la pédocriminalité.

L'importance d'une réponse institutionnelle

Les nombreuses études de cas menées avec tout le sérieux et la rigueur possible par la Commission autralienne ne font que confirmer ce que les militant(e)s de Face à l'inceste savent bien : les enfants victimes de viol et d'agressions sexuelles ne sont pas toujours entendus et protégés par leur famille ou par l'institution à qui appartient le pédocriminel. Car la famille ou l'institution ont une très forte tendance à protéger leur propre réputation, quitte à ignorer les souffrances de l'enfant, à les aggraver par le déni, et à facilier la récidive. Il est donc essentiel que les pouvoirs publics fournissent une aide et assistance immédiate et efficace aux victimes.

Le travail que fait cette commission Australienne et des commissions similaires ont été mises en place aux États-Unis, en Belgique, au Canada et en Irlande est similaire au travail qu'a entrepris notre Association depuis 17 ans. Ce travail c'est:

  • - faire entendre la voix des survivants de crimes sexuels,
  • - publier les témoignages des survivants,
  • - favoriser l'entraide entre les survivants et les bonnes pratiques en matière de soins,
  • - enquêter sur l'ampleur du problème, alerter l'opinion publique et le pouvoir en place.

La différence est que cette commission est mise en place par les pouvoirs publics, constituée de professionnels expérimentés, dotée d'une autorité officielle et d'un budget suffisant. Face à l'inceste fonctionne avec une petite équipe de bénévoles et des moyens modestes. Même si nous pouvons nous réjouir des résultats concrets déjà obtenus avec des moyens limités, cela ne doit pas nous faire oublier que les pouvoirs publics peuvent et doivent prendre leurs responsabilités. Un premier plan gouvernemental de lutte contre les violences faites aux enfants sera annoncé le 1er mars prochain. Espérons que ce plan comportera des moyens à la hauteur pour améliorer la prévention !