Qui commet l’inceste dans la famille et avec quelles complicités ? Comment se comportent nos parents à la révélation de l’inceste ? Sont-ils dans le déni ou la protection ? Résultats d'une enquête menée en octobre 2022 par Face à l'inceste.
Les chiffres marquants de l’enquête
Face à l’inceste* a enquêté auprès de ses membres pour alerter sur le déni qui prédomine dans les familles dans lesquelles il y a des révélations d’inceste. En octobre 2022, après #metooinceste, 1 156 répondants ayant révélé l’inceste se sont confiés: lorsque l’inceste est révélé au sein de la famille, la victime n’est que trop peu protégée par ses parents.
Cette enquête nous apporte également des éclairages inédits sur plusieurs points, dont la dynamique incestuelle au sein de la famille. Il n’y a pas un crime d’inceste simple, entre un binôme « agresseur/victime ». L’ensemble de la famille est concernée par le tabou de l’inceste. D’autres agresseurs sont impliqués et des complicités passives sont observées.
Enfin, l’inceste est un puissant crime de lien, peu connu par le grand public. Outre le déni et le manque de reconnaissance par la justice, de nombreuses victimes ne sont plus en contact avec leurs parents.
- 1/3 des victimes ont révélé les faits à leur famille avant l’âge de 18 ans et plus de la moitié avant l’âge de 25 ans
- Seulement 5 % des pères et 6 % des mères vont porter plainte
- Plus de 7 parents sur 10 ont une attitude négative lorsque la victime révèle l’inceste, moins de 2 parents sur 10 ont essayé de protéger la victime et enfin, le recours aux autorités est très faible : 5 % environ.
- Plus d’un tiers des victimes ont un deuxième agresseur et, pour une victime sur dix, un complice était présent lors des agressions. Enfin, dans plus de la moitié des cas, un membre de la famille était au courant des faits – le complice passif -, et pour plus d’une victime sur dix, ce complice est la mère.
- 19 % des agressions sont commises par le frère.
- Parmi nos répondants, 6 % des victimes déclarent que leur cousin était leur agresseur principal. Pourtant, ceux-ci ne sont pas considérés comme des auteurs potentiels d’atteintes sexuelles à caractère incestueux.
- Moins de 2 victimes sur 10 entretiennent une bonne relation avec leur père et moins de 3 victimes sur 10 entretiennent une bonne relation avec leur mère
L’inceste, un crime de famille
Des femmes plus exposées aux violences sexuelles dans l’enfance
92 % de femmes et 8 % d’hommes ont répondu à notre enquête.
L’inceste, un crime au-delà des simples ascendants
- 95 % des agresseurs sont des hommes et 5% sont des femmes - l’étude Genèse 2021 du Ministère de l’intérieur révèle une statistique identique.
- 48 % des agressions sont commises par des ascendants (père principalement (36%), puis grand-père (10%) et enfin la mère, dans une moindre proportion (<2%)).
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Le beau-père est également cité par 9 % des victimes. L'oncle par 11%.
- 19 % des agressions sont commises par le frère et 6 % par le cousin. Le tabou de l’inceste dans la fratrie et/ou entre mineurs est encore fortement puissant. S’il est essentiel que la société reconnaisse les violences sexuelles faites aux enfants par les adultes, il est également important, à l’avenir, de reconnaître que l’inceste « entre mineurs » existe et qu’il nécessite une prise en charge particulière. Ces violences sexuelles commises précocement au sein des familles constituent un autre enjeu de santé publique, dans la mesure où la prise en charge précoce de ces jeunes auteurs de violences sexuelles permet d’éviter la répétition de tels actes.
Un cousin absent du spectre de la loi Billon
Depuis mars 2021, l’article 222-31-1 du Code pénal qualifie d’« incestueux » les viols et agressions sexuelles commis par « un ascendant ; un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité d’une de (ces) personnes, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait. » Cette définition, a priori large, s’appuie sur la notion d’autorité, au-delà du lien biologique, en incluant notamment les beaux-pères et belles-mères de la victime. Mais elle ne mentionne pourtant pas ses cousins. Ceux-ci ne sont donc pas considérés comme des auteurs potentiels d’atteintes sexuelles à caractère incestueux, ce qui assure une cohérence avec le Code civil qui, de son côté, reconnaît la validité du mariage entre cousins. Or, l’inceste perpétré par un cousin s’inscrit dans les mêmes dynamiques que tout autre inceste, c’est-à-dire un crime de lien qui s’inscrit dans la complexité des dynamiques familiales.
Plus d’un tiers des victimes ont un deuxième agresseur
Plus surprenant, encore 43 % des victimes ont été également agressées par une deuxième personne, dans 68 % des cas par d'autres membres de leur famille. On ne peut donc pas penser l’inceste comme un simple duo « agresseur/victime ». Plus d’un tiers des victimes désignent un autre membre de leur famille, responsable de violences sexuelles. Cela signifie donc que l’inceste y sévit et y est rendu possible et qu’il semble pouvoir se démultiplier au sein d’un groupe familial, dont les règles sont régies par l’inceste.
Pour une victime sur dix, un complice était présent lors des agressions
11 % des agressions ont été commises avec la participation d'un ou plusieurs complices, membres de la famille dans 73 % des cas. Les études scientifiques sur ce sujet sont totalement absentes, mais de nombreux témoignages rendent compte de cet état de fait. L’étude Genèse de 2021 esquisse brièvement ce point en interrogeant son panel sur « l’exposition de la victime, enfant, devant une personne ou sur des photos, des vidéos ou une webcam » avec moins de 1 % de victimes concernées.
L’omerta fait loi pour la moitié des victimes
Enfin, dans 54 % des cas, quelqu'un était informé des agressions au moment des faits, principalement la mère : 16 %. On peut s’en référer à de nombreux témoignages sur le sujet, de La Familia Grande de Camille Kouchner (2021), jusqu’au récent ouvrage d’Hélène Romano et Karine Dusfour, Inceste quand les mères se taisent (2023), qui dressent plusieurs portraits de mères qui sont restées murées dans le silence.
Quels sont les facteurs de risque de passage à l’acte ?
Pour 1 victime sur 10, l’agresseur a été de façon certaine, victime d’inceste
Cette information est importante quant à la nécessaire prévention et la nécessité de dépister les violences sexuelles commises dans l’enfance auprès des futurs parents. Si l’on considère également que près de deux agresseurs sur dix sont les frères, on peut également s’interroger sur le fait qu’ils soient, pour certains d’entre eux, agresseurs et victimes d’inceste. Ce chiffre est probablement sous-estimé, étant basé sur les connaissances des victimes
Parmi les victimes d’inceste, près d’un père sur trois et d’une mère sur deux ont subi des traumatismes dans l’enfance
Selon les connaissances des victimes interrogées, 38 % des pères et 47 % des mères de victimes ont subi des traumatismes dans l’enfance. Les mères ont subi des violences sexuelles pour 19 % d’entre elles (dont 13 % d’inceste), 28 % ont subi de la maltraitance ou des négligences. Les pères ont subi des violences sexuelles pour 7,5 % d’entre eux (dont 4,5 % d’inceste). 31 % ont subi de la maltraitance ou de la négligence. Comme précédemment, le dépistage, la prévention et l’ensemble des mesures que nous préconisons dans notre plan gouvernemental pourraient agir pour accompagner les parents qui ont eux-mêmes été victimes de violences dans leur enfance.
La parole inaudible des victimes
1/3 des victimes révèlent les faits à leur famille durant leur minorité et plus de la moitié avant d’avoir 25 ans
Près de la moitié des victimes parlent dans les dix années qui suivent les faits. En se référant au sondage Ipsos de 2010, on observe que les victimes parlent plus tôt qu’auparavant. L’étude Ined de 2023 confirme ce point en précisant : « Plus les personnes sont jeunes, plus elles déclarent en avoir déjà parlé à quelqu’un : c’est le cas de 59,6 % des femmes et 52,2 % des hommes de 18-24 ans contre 42,4 % des femmes et 25 % des hommes de plus de 60 ans, preuve que l’on se confie davantage au fil des générations. »
La moitié des victimes se confient à un proche extérieur à la famille
Si les menaces de l’agresseur, la honte, le déni peuvent retarder la divulgation, on sait que la relation avec les parents est un facteur scientifique stable conditionnant la révélation. De ce fait, si la relation avec les parents n’est pas confiante, cela explique que les victimes révèlent leur récit d’inceste en majorité hors du cadre familial. Dans un premier temps, les victimes se confient à des personnes extérieures à la famille pour 52 % d’entre elles.
La mère est la première confidente pour près de la moitié des victimes.
Au sein de la famille, quel que soit l’âge de la victime, la mère est la première confidente pour 46 % des personnes interrogées. Chez les mineurs, elle est de loin la principale personne de confiance pour 20 % des répondants. La sœur est la deuxième personne de confiance à qui la victime révèle les faits à tous les âges (15 %).
L’inceste est envisagé dans sa dualité dans nos sociétés, alors que c’est une question a-minima triangulaire au sein de la famille : il y a l’auteur, la victime, et la personne qui a permis aux actes d’être commis ou répétés alors qu’ils lui sont connus ou lui ont été révélés.
Quelle est la réaction des familles lorsque les victimes révèlent des faits d’inceste ?
Plus de 7 parents sur 10 ont une attitude négative lorsque la victime révèle l’inceste.
Notre sondage Ipsos 2020 a estimé le nombre de victimes d’inceste à 6,7 millions de personnes, soit 1 Français sur 10. Mais que se passe-t-il pour celles et ceux qui révèlent les faits ?
Dans 28 % des cas seulement, les pères vont avoir une première réaction positive contre seulement 25 % des mères et, ces parents, vont chercher à aider la victime, à couper les ponts avec l’agresseur lorsque cela est possible.
72 % des pères et 75 % des mères ont une attitude négative après la révélation. Dans un tiers des cas, les parents ne font rien après avoir eu connaissances des faits. La parole peut aussi être mise en doute, les parents peuvent demander de garder le silence, rejeter la victime ou lui demander des preuves, etc.
Le déni de l’inceste est une réalité omniprésente.
Le déni peut servir à maintenir un équilibre psychique car la représentation de l’inceste sur son enfant est insupportable. Un parent dans le déni n’est pas toujours capable de protéger seul son enfant, mais avec de l’aide, il peut y arriver. Un parent dans le déni peut être transformé en parent protecteur par le dépistage et une information systématique lors des consultations en médecine générale ou spécialisée, lors du suivi de naissance, etc. Comment s’y prendre ? Simplement en posant des questions simples : « Quelqu’un de votre famille a-t-il subi de violences dans l’enfance ? Avez-vous vécu des évènements difficiles durant votre enfance, lesquels ? Que provoque la naissance de votre enfant au niveau de vos émotions ? ». Ainsi, un père ou une mère dans l’évitement devra faire l’objet d’une attention particulière.
La révélation des faits et des institutions absentes
Seulement 5 % des pères et 6 % des mères vont porter plainte. Si 34 % des répondants étaient mineurs lorsqu’ils ont révélé les faits à leurs parents, 52 % d’entre eux ne les ont pas protégés. L’étude Ined de 2023 confirme également le fait que peu de victimes se tournent vers des institutions. « Seuls 8,4 % des femmes et 8,3 % des hommes agressés par un membre de leur famille en ont parlé à la fois à leurs parents, à des professionnels de la santé, de la police ou de la justice. » L’étude Genèse 2021 du ministère de l’Intérieur souligne également cet état de fait. « Seule une minorité de victimes parle aux services de sécurité des violences subies […] Moins de 5 % des victimes ont recours aux professionnels de santé (médecins, infirmiers ou services sociaux), au personnel scolaire (enseignant, psychologie, assistants sociaux, conseiller pédagogique), aux services de police et aux associations d’aide aux victimes ».
Face au crime de l’inceste et à l’absence de politiques publiques pour traiter ce fléau, les victimes comme les parents ne se tournent pas vers les professionnels ou les institutions publiques ou spécialisées qui devraient pourtant être en mesure de les aider et les accompagner.
L’inceste un crime de lien. Moins d’un tiers des victimes entretiennent une bonne relation avec leurs parents
Outre le déni qui sévit, l’inceste est un crime de lien puissant qui détruit la relation familiale : seulement 18 % des répondants entretiennent une bonne relation avec leur père et 27 % avec leur mère. 62 % des victimes n’ont plus de relation avec leur agresseur.
L'inceste est un crime de lien qui déchire le tissu familial, dont les conséquences vont bien au-delà des violences sexuelles proprement dites. Bien souvent, les victimes d'inceste doivent se résoudre, après des années de souffrances et de tentatives pour restaurer les liens, à faire le deuil de tout ou partie de leur famille.
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Que pouvons-nous faire pour prévenir l’inceste ? Dépister les parents victimes, les informer systématiquement et les orienter le plus tôt possible pour une prise en charge. Autant de conduites simples qui pourraient éviter ce crime ou en réduire les conséquences.
Face à l’inceste appelle la société, le président de la République, le gouvernement et les élus à s’engager dans une réforme ambitieuse pour la mise en œuvre du « plan inceste » permettant de prévenir, dépister, former et mobiliser toutes celles et ceux qui sont amenés à accompagner ou encadrer des enfants.
Seule cette mobilisation générale, assortie de moyens financiers conséquents, pourra apporter la réponse nécessaire aux 2 à 3 enfants par classe, victimes d’inceste (Ipsos, 2020, pour Face à l’inceste).
* Nos données rejoignent en partie celles publiées par de récentes enquêtes (Panorama des violences en France métropolitaine: enquête Genèse 2021 du Ministère de l’intérieur et Violences sexuelles durant l’enfance et l’adolescence : des agressions dont on parle peu, INED, 2023 sur les violences sexuelles commises dans l’enfance au sein de la famille. Les violences sexuelles dans l’enfance, au sein de la famille, nécessitent de conduire des politiques de santé publiques adaptées.