Alors que le débat public sur les violences sexuelles se poursuit dans les media comme au Parlement, les mineurs restent largement ignorés, et l'inceste reste tabou. Surtout, des verdicts récents confirment qu'aujourd'hui en France il existe une quasi impunité judiciaire pour ceux qui violent des enfants et adolescents dans leur propre famille !
Deux scandales parmi des milliers d'autres
Ainsi, le 22 novembre dernier, le Parisien nous relatait l'histoire d'un homme de 47 ans qui avait obligé sa belle-fille de 12 ans à une fellation. Verdict: 2 ans de prison avec sursis.
Le 17 janvier, L'indépendant nous apprend que le Tribunal de Perpignan condamne à 3 ans de prison avec sursis un homme qui a séduit et violé sa belle-fille de 13 ans et entretenu une relation incestueuse avec elle pendant plus de 15 ans, lui faisant au total 5 enfants.
Ces verdicts scandaleux en cachent des milliers d'autres qui ne sortent pas dans le journal. Et il font pourtant partie des 1% des plaintes pour viol qui aboutissent à une condamnation de l'agresseur. En effet, 90% des plaintes sont classées sans suite par le procureur. Et parmi les affaires transmises au tribunal correctionnel ou en cour d'assises, 90% aboutissent à un non-lieu.
Même lorsque l'agresseur avoue les faits, le procureur peut classer sans suite
Ainsi que l'explique le blog Prévenir les Violences Sexuelles, le procureur peut classer une plainte sans suite même lorsque l'agresseur a reconnu les faits, qui sont par ailleurs étayés par des témoignages et des expertises. Il faut alors bien connaître la loi, et être bien conseillé par son avocat, afin de trouver la parade, qui consiste à déposer plainte avec constitution de partie civile. Il faut également être prêt à se battre en appel autour de la question de la prescription avant même que l'affaire soit jugée sur le fond. Dans l'affaire dont nous parlons, la Cour d'appel a heureusement rejeté la demande de l'agresseur (jugement du 15 novembre 2015).
La loi du silence: 40 ans d'impunité
Dans une autre enquête, c'est Mediapart qui nous raconte l'histoire d'un psychiatre (et pédopsychiatre) qui profitait de l'état de faiblesse de ses patientes pour les violer. Certaines d'entre elles étaient mineures, et les viols se poursuivaient pendant des années. L'ordre des médecins, averti dès 1980, a fait la sourde oreille pendant près de quarante ans. Il n'a pas transmis les signalements à la justice, alors que la non-dénonciation de crime est un délit. Cette surdité de l'institution qui a préféré protéger un de ses membres plutôt qu'écouter les victimes a ouvert un boulevard pour la récidive. Pour 5 femmes ayant porté plainte, combien ont été violées au total ? Là encore c'est la totale impunité qui nous choque. En France on ne peut pas rouler 10 km/h au-dessus de la vitesse limite sans être sanctionné. Mais on peut violer des mineurs pendant quarante ans jamais être inquiété ? Qu'est-ce qui dysfonctionne dans notre justice et dans notre société ?
L'expérience montre que les institutions comme l'Église Catholique ou l'Éducation Nationale ont été très lentes à prendre la mesure du problème, et à adopter des mesures de prévention élémentaires contre la récidive en matière de crimes sexuels contre les mineurs De ce point de vue le ménage fait par l'Éducation Nationale, qui va révoquer 26 personnes après avoir examiné les casiers judiciaires et trouvé des condamnations pour violences sexuelles, est à ranger dans les bonnes nouvelles. C'est de la vigilance de tous et de toutes que dépend la sécurité de nos enfants !
Le débat qui n'a pas encore eu lieu
On parle beaucoup de harcèlement, de violences sexuelles commises au travail ou dans les transports en commun. C'est un débat utile et nécessaire, que nous applaudissons des deux mains. Mais les enfants, garçons et filles, sont les grands oubliés de ce débat. Et les violences sexuelles intra-familiales sont largement ignorées, alors même qu'elles sont et de loin les plus nombreuses. Un débat qui se focalise sur les violences sexuelles subies par des femmes adultes dans l'espace public est fondamentalement tronqué et incomplet. La cause des enfants et celle des femmes convergent pourtant et devraient avancer simultanément. En effet si l'on prend le temps d'écouter une femme battue et maltraitée par son compagnon, il ne faut en général pas longtemps avant de découvrir que les violences ont commencé bien avant 18 ans... un grand nombre de survivant(e)s de l'inceste ont témoigné dans nos forums et sur ce site du fait qu'ils choisissaient inconsciemment des conjoints maltraitants et violents avant de pouvoir redresser la tête, sortir du silence et entamer un parcours de soins. On ne peut pas séparer la cause des femmes et celles des enfants ! A ce titre, certaines féministes qui disent se méfier de tous les hommes et rejettent le témoignage des hommes victimes d'inceste ou de pédocriminalité, commettent une lourde erreur. C'est tous ensemble, hommes et femmes que nous devons nous mobiliser contre les violences sexuelles et contre l'impunité !
Il faut changer la loi
Ces dysfonctionnements judiciaires ne seront pas tous résolus par des progrès législatifs: des réformes en profondeur de l'institution judiciaire seront nécessaires.
Mais comme nous l'avons déjà expliqué dans un précédent article: Inceste, pédocriminalité : pourquoi il faut changer la loi
1) Si l'on supprime la prescription, les procédures dilatoires (c'est à dire visant juste à gagner du temps) et toutes les tentative de faire valoir la prescription ne seront plus possibles
2) Si la loi reconnaît qu'aucune mineur de 0 à 18 ans ne saurait être consentant à l'inceste, et qu'aucun enfant de moins de 15 ans ne saurait apporter son consentement éclairé à une relation avec un majeur, il sera impossible à l'agresseur de plaider le consentement de la victime pour obtenir une requalification en "atteinte sexuelle sur mineur" ou un non-lieu.
Notre but est simple: mettre fin à l'impunité. Faire comprendre au législateur et à l'ensemble de la société que la plus grande partie des violences sexuelles sont commises avant 18 ans, et à l'intérieur du cercle familial. Adapter la loi et l'institution judiciaire à la réalité de l'inceste et de la pédocriminalité pour protéger nos enfants.