Le rallongement de la prescription

Projet Publié le 15.02.2004

Messieurs et mesdames les sénateurs,

Les 20 et 21 Janvier 2004, vous allez étudier l’amendement 139 qui propose le rallongement de la prescription concernant les crimes sexuels commis sur les mineurs. Avant de prendre une décision, je souhaiterais que vous preniez en compte les souffrances des victimes, et acceptiez que nous vous demandons l’imprescriptibilité.Je suis victime d’inceste. Si je mets cette phrase au présent, malgré mes 36 ans, c’est tout simplement parce que pour sortir du dysfonctionnement de ma famille, j’ai dû renoncer à tous contacts.



Voilà comment j’ai vécu ce lourd traumatisme avant de suivre une psychothérapie :
Dans un premier temps, j’ai été victime d’abus sexuels de mon frère, mais ce n’est qu’à 18 ans que j’en ai pris conscience, quand j’ai rencontré mon concubin.


Vers 24 ans , je l’ai dévoilé à mes parents et ma belle-sœur, femme de mon frère, pour que le fils de mon frère soit protégé. Mais il n’en a rien été, après leur divorce, c’est mon frère qui a eu la garde de son fils. J’ai été accusée de tous les maux de la famille « briseuse de couple, briseuse de l’entente familiale, menteuse, accusée de ne rien avoir dit avant ( d’avoir aimé, donc ?)… ». Comment dans ces conditions porter plainte, au risque de ne pas être crue par la justice, pourquoi plus que par mes parents, d’envoyer en prison la seule personne qui s’occupait de son fils et ma mère qui était malheureuse, et prête à se suicider ?

Les quatre années qui me séparaient de la prescription se sont déroulées trop vite et dans cette ambiance. A ma demande j’ai entrepris une thérapie, car je me sentais coupable, honteuse, pourrie de l’intérieur... Puis sont nés mes enfants, période durant laquelle je n’étais plus suivie.

Ensuite, les sentiments d’être pourrie corporellement et de me sentir néfaste à mes enfants et mon concubin, m’ont amenée à être suicidaire. Poussée par mon concubin et une amie, j’ai pris des antidépresseurs et repris une thérapie pour ne pas perturber plus mes enfants avec mon décès.

Depuis 1 an ½ que je suis de nouveau suivie, j’ai compris, il y a 2 mois, que ma mère avait abusé de moi et était l’instigatrice de l’inceste que j’ai subi. Sachant que mon frère savait ce qu’il faisait, puisqu’il a pris toutes les précautions pour m’éviter une grossesse (pénétration anale, défloration manuelle…). Oui, ce n’est qu’à 36 ans que je commence à sortir de ce dysfonctionnement relationnel, mais la seule solution est de ne plus avoir de famille parentale. Difficile décision à prendre, n’est ce pas ? Mais je n’ai pas d’autre choix, pour me protéger ainsi que mes enfants. Pour protéger mon neveu et ma nièce, enfin, j’ai réussi, il y a 1 mois, à signaler le danger qu’ils encourent au juge des enfants, mais que s’est-il passé avant et suis-je crédible ? Si moi-même, je pouvais porter plainte actuellement, je protégerais tous les enfants susceptibles d’être agressés par mon frère, car non, il n’a pas changé, pas plus que ma mère. Combien de victimes va t’il falloir qu’il y est pour que mes abuseurs n’agissent plus ? Pourquoi les autres victimes réussiraient à dire « l’impensable » aux yeux de tous, alors que je n’en suis capable que maintenant ?

Alors, je sais que d’autres victimes « se réveillent » encore plus tard, je vous demande donc l’imprescriptibilité.

Pourquoi, nous victimes devons nous être soignées, nous cacher de la société et de la justice à vie, alors que nos abuseurs continuent à œuvrer sur d’autres enfants, à vie ?

Vos enfants, petits-enfants ont peut-être eu la chance de ne pas avoir encore rencontré de pédophiles, mais s’ils rencontrent mon frère ou l’un de tous les autres, demain, serez-vous en mesure de leur dire « souffre en silence, suicide toi, mais surtout tais toi, car j’ai construit ton bâillon les 20 et 21 janvier 2004 ? »

J’espère , messieurs et mesdames les sénateurs, que vous allez prendre la défense des victimes et non celles des coupables, en votant l’imprescriptibilité pour tous les abus sexuels commis sur mineurs (les victimes silencieuses sont nombreuses).

Vous remerciant, d’avoir pris le temps de lire « le tabou »,

Recevez messieurs, mesdames, mes salutations révoltées.