La commission des lois de l’Assemblée Nationale a réécrit la proposition de loi d’Annick Billon (cf notre article) pour y intégrer les avancées votées le 18 février dernier dans une autre proposition de loi d’Isabelle Santiago. Elle confirme le seuil d’âge à 15 ans et la création d’un crime spécifique d’inceste. Cependant la condition de l’écart d’âge supérieur à 5 ans reste préoccupante.
Ce mercredi 3 mars 2021, la commission des lois de l’assemblée a adopté le texte n°3939, sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (n°3796).
Les députés ont retenu une incrimination spécifique de l’inceste et de la pédocriminalité et ont confirmé le seuil d’âge de non-consentement à 15 ans pour les actes commis par un majeur sur un mineur, et à 18 ans dans le cadre de l’inceste.
L’association Face à l’inceste salue l’adoption de ce texte qui répond en partie à nos revendications que l’on porte depuis près de vingt ans. Bien plus qu’une avancée, il s’agit d’une victoire historique !
Un crime d’inceste
La définition du crime d’inceste qui a été adoptée est la suivante :
« Art. 222‑23‑2. – Constitue un viol incestueux tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco‑génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur, même si ces actes ne lui ont pas été imposés par violence, contrainte, menace ou surprise, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222‑31‑1 exerçant sur le mineur une autorité de droit ou de fait.
Cette définition appelle plusieurs observations :
- Le terme « incestueux » a été introduit par voie de sous-amendement. Cette avancée est à saluer en ce qu’elle offre une meilleure clarté. « L’inceste » est enfin nommé.
- Le principe du non-consentement du mineur est posé. Le seuil d’âge est porté à 18 ans. Il s’agit d’une avancée majeure dans la répression de l’inceste.
- S’agissant de l’auteur, le texte vise un ascendant ou tout autre personne mentionnée à l’article 222-31-1 (frère, sœur, oncle, tante, neveu, nièce, conjoint, concubin). Néanmoins, nous maintenons notre demande d’ajout des cousins germains, une de nos demandes de longue date.
- À la condition que l’auteur exerce sur le mineur une autorité de droit ou de fait. Nous nous interrogeons sur l’opportunité de ce critère. Cette condition supplémentaire n’est pas protectrice de l’intérêt de la victime mineure, en ce que l’auteur pourrait faire valoir l’absence d’autorité de fait, si ce dernier n’exerce pas une autorité de droit.
Pédocriminalité : un seuil d’âge à 15 ans confirmé
A été confirmé le seuil d’âge à 15 ans concernant la pédocriminalité
L’article 222-23-1 prévoit qu’est également constitutif de viol « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco‑génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, même si ces actes ne lui ont pas été imposés par violence, contrainte, menace ou surprise, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans. »
Désormais, l’auteur majeur ne pourra se prévaloir du consentement d’un mineur de moins de quinze ans. Ce seuil d’âge qui avait été voté le 18 février à propos de la proposition de loi n°3721 d’Isabelle Santiago est confirmé (voir notre article Crime d’inceste : un vote historique des députés).
L’avancée majeure est le principe de non-consentement que l’on trouve également à l’article 222‑23‑2. Avec ces nouvelles infractions, on cessera d’interroger l’enfant sur son consentement.
La condition de l’écart d’âge d’au moins cinq ans
Toutefois, en raison de la clause « Roméo et Juliette » qui vise selon les termes du garde des sceaux Éric Dupond-Moretti à ne « pas criminaliser les amours adolescentes librement consenties », une condition d’une différence d’âge d’au moins cinq ans entre l’auteur et le mineur est posée.
Cette condition de différence d’âge se trouve également à l’article 222-29-2, autre texte adopté visant les agressions sexuelles sur mineur.
Nous déplorons cette condition qui selon nous, non seulement affaiblit le texte mais contraint certaines victimes mineures à devoir démontrer l’absence de consentement (voir notre article Alerte : le gouvernement affaiblit la protection des 13-14 ans contre l’inceste et la pédocriminalité).
Cette condition entraîne le maintien du délit d’atteinte sexuelle sur mineur qui sera désormais applicable seulement aux situations où il y a moins de 5 ans d’écart d’âge entre l’agresseur et l’enfant victime. Cela crée une complexité inutile tout en fragilisant la protection des enfants de 13-14 ans.
La confirmation de l’acte bucco génital
L’avancée votée au Sénat le 18 février a été confirmé par l’inclusion de « l’acte bucco-génital », dans la définition d’un viol commis par un majeur sur un mineur de moins de quinze ans et ce également dans l’incrimination spécifique de l’inceste.
Cette adoption est à saluer, et ce notamment suite aux vives réactions suscitées par l’arrêt du 14 octobre 2020, dans lequel la Cour de cassation a écarté la qualification de viol dans une affaire d’inceste par cunnilingus (cf notre article).
Prescription prolongée ou prescription glissante
Concernant la prescription pénale, les députés ont adopté un mécanisme de « prescription prolongée », ou « prescription glissante », pour les viols commis sur des mineurs.
L’idée est de prolonger le délai de prescription dans le cas d’un nouvel acte sexuel sur un autre mineur, jusqu’à la prescription du dernier crime.
Nous maintenons notre position à propos de l’imprescriptibilité (cf crime d’inceste: un vote historique).
Que va-t-il se passer ensuite ?
Le texte sera examiné à l’Assemblée nationale le 15 mars 2021. Entretemps nous allons rencontrer la députée Alexandra Louis, rapporteure de ce projet de loi, pour échanger avec elle sur les points qui restent à travailler (comme la prostitution des enfants de moins de 15 ans).