Avec son dernier avis rendu public lundi 12 juin, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) expose le « coût du déni » entourant les violences sexuelles sur mineurs, qui coûte 9,7 milliards d’euros par an à l’ensemble de la société.
Nous saluons le travail statistique élaboré par la Ciivise, car, depuis 20 ans, Face à l’inceste, recueille les témoignages de victimes, en errance dans des démarches onéreuses.
L’inceste, un crime d’impact au long cours
Depuis 20 ans, nous recueillons des témoignages qui rendent compte de l’impact de l’inceste sur la santé psychologique et physique des victimes ainsi que ses conséquences sociales considérables, qui nécessitent une réelle reconnaissance ainsi qu’une prise en charge psycho-socio-judiciaire adaptée. Notre forum rend compte de cela avec plus de 16 000 messages échangés sur les conséquences et les soins, qui succèdent aux violences sexuelles. La recherche d’informations ou de soins adaptés, le besoin de partager des expériences communes sont au cœur de ces échanges. Nous proposons également un annuaire de professionnels afin de répondre à une demande de nos membres. Cette errance et ces coûts prohibitifs découlent du déni structurel qui entoure l’inceste et rendent compte de l’absence de « plan inceste » que nous demandons depuis 2004. Un plan de grande ampleur et qui devrait s’accompagner d’un budget adapté à la gravité de la situation.
Quand obtiendrons-nous le plan inceste que nous demandons depuis 2004 ?
80 % des enfants victimes de violences sexuelles sont victimes d’inceste, et c’est bien à l’échelle de la famille qu’il faut agir urgemment. Le rapport le mentionne, le poste de coût de la prévention « est si minime qu’il n’a pu être pris en compte dans l’estimation du coût annuel des violences sexuelles faites aux enfants1 ». Il nous semble important de rappeler que le crime de l’inceste est au cœur des témoignages recueillis par la Ciivise.
Face à l’inceste appelle les parlementaires et le gouvernement à s’engager dans une réforme ambitieuse qui permettra la mise en place de juridictions spécialisées adaptées à la protection immédiate de l’enfant. La mise en œuvre du « plan inceste » nécessite des budgets, des volontés politiques permettant de former et de mobiliser toutes celles et ceux qui sont amenés à accompagner ou encadrer des enfants. Seule cette mobilisation générale, assortie de moyens financiers conséquents, pourra apporter la réponse nécessaire aux 2 à 3 enfants par classe, victimes d’inceste (Ipsos, 2020, pour Face à l’inceste).
Pour un parcours de soins spécifiques
Le rapport de la Ciivise préconise et modélise un rapport de soins adaptés pour les victimes de violences sexuelles. Parmi nos 30 mesures, la prise en charge pluridisciplinaire de l’enfant présumé victime avec un accompagnement psychologique systématique gratuit par des victimologues sans limitation de durée. Création de centres de soins spécialisés dans la prise en charge des traumatismes (dont le viol et l’inceste). Nous demandons également la création d’un parcours d’aide pour les survivants de l’inceste et de la pédocriminalité, pour les guider dans l’ensemble de leurs démarches (police, justice, soins). Site internet dédié et numéro vert d’information (comparable à ceux qui existent pour le tabac, le SIDA, le cancer, etc).
Nous nous inscrivons dans cette démarche de soins spécifiques permettant de rendre compte de la spécificité de cet accompagnement, tout en relevant plusieurs écueils. Quelles formations pour celles et ceux qui vont déterminer qui peut bénéficier de ces soins ? Sur quels critères préalables et au regard de quelle décision ? Quels professionnels seront désignés pour faire bénéficier les victimes de ces soins ? La Ciivise le souligne : « des soins efficaces impliquent donc en premier lieu des décisions judiciaires et sociales cohérentes et protectrices. C’est particulièrement le cas dans les situations d’inceste ». Cela pose donc la question de la formation obligatoire initiale et continue. Considérer l’enfant qui ose parler comme un enfant « présumé victime ». Cela passe avant tout par la formation des professionnels impliqués (justice, service sociaux, corps médical).
La mise en œuvre de ces actions ne sera rendue possible que par une volonté politique forte et transversale, impliquant plusieurs ministères et des budgets à la hauteur de ce fléau sanitaire.
Les lois actuelles ne sont pas appliquées
Très rares sont les professionnels de santé et les institutions qui le savent, mais depuis plus de 20 ans, les soins consécutifs à des viols et agressions sexuelles commis sur mineur sont pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale. Les victimes d’inceste sont également exemptées de payer un passage aux urgences depuis la mise en place de ce système le 1er janvier 2022. Nous avons rédigé un article à ce sujet : victimes d’inceste : comment être remboursé à 100 % de ses soins médicaux | Face à l'inceste (facealinceste.fr).
Depuis 2010, Face à l’inceste s’appuie sur les études conduites outre-Atlantique dans le cadre de l’ACE study. ACE est l’acronyme en anglais de « Adverse Childhood Experiences » qui se traduit par « les expériences négatives de l’enfance ». Le but de l’ACE Study a été d’étudier les effets cumulatifs à long terme de traumatismes dans l’enfance et des dysfonctionnements dans la famille sur la santé et la qualité de la vie à l’âge adulte. L’impact des traumatismes dans l’enfance n’est plus à démontrer. Aussi, nous demandons des études nationales de victimation dans le cadre de notre plan inceste. Celles-ci permettraient de conduire des politiques de santé publiques adaptées à l’avenir et au soin des victimes.
1 10 millions d’euros sont consacrés à la prévention. Source : Ciivise