Lettre de Face à l'inceste à Nicolas Sarkozy

Projet Publié le 31.07.2007

Monsieur le Président de la République
Le mardi 31 juillet 2007,
Objet : prise en charge de l’inceste

Monsieur le Président,

Tout d’abord nous tenons à vous remercier de votre invitation aux festivités du 14 juillet. Votre intérêt pour les victimes de la vie nous a particulièrement touchés. Nous souhaitions vous parler pour attirer votre attention sur le fléau de l’inceste qui touche 20% des femmes et 7% des hommes (source CRIPCAS Canada). Il faut une volonté politique au plus haut niveau pour prendre en charge ce problème de société. Nous luttons contre un tabou qui génère des idées reçues, des mythes, nuisibles à tous et en premier lieu aux victimes.

L’inceste en France, dans l’esprit de tous se limite à la justice et à la condamnation des agresseurs de mineurs. Lorsque nous appelons un hôpital pour présenter notre association, on nous répond que l’on va nous donner les coordonnées des hôpitaux pour enfants. Madame Bachelot elle-même, le 14 juillet, sollicitée pour un rendez-vous, nous répond « L’inceste ! mais ce n’est pas moi ! » (Nous rencontrons une de ses Conseillères le 2 août). En ce qui concerne la justice, 90% des incestes ne sont pas déclarés aux autorités, 80% des plaintes sont classées sans suites. Résultat, selon un sondage auprès de nos 1500 membres, 2,8% des agresseurs seulement vont en prison.

Ces exemples rapides pour vous démontrer que notre pays en est à l’âge de pierre en matière de connaissance et de prise en charge de l’inceste.

Depuis notre opération « 50 000 nounours face à l’inceste » en 2004, les professionnels viennent à nous pour avoir des informations sur l’inceste. Du fait qu’il n’existe aucune recherche sur le sujet, aucune formation n’est prévue pour tous ceux qui seront confrontés à l’inceste. Cela crée des drames. La demande est forte. Les hôpitaux nous sollicitent pour informer leur personnel. Nos actions de prévention en coordination avec la gendarmerie, les conseils généraux, municipalités… reçoivent un accueil inattendu : 1300 élèves sur deux semaines, inscrits pour visiter notre exposition « Des maux, des mots ».

Mais est-ce à nous de faire cela ? Nous souhaitons que l’Etat prenne la mesure du problème, de la souffrance humaine qu’il génère car l’inceste fait des dégâts tout au long de la vie. Comme le dit la Sénatrice Nicole Borvo : « Elle a fait valoir que l'inceste est assimilable à un meurtre sans cadavre ». (Commission mixte paritaire loi Perben 2).

Suicides, prostitution, toxicomanie, délinquance, conduites à risque, alcoolisme, dépressions chroniques… la liste des troubles liés à l’inceste est très longue. Mais sans étude sur le sujet, il n’y a pas non plus d’outils de détection spécifiques, d’outils d’évaluation du traumatisme, pas de soins spécifiques, pas de structures spécialisées si ce n’est une structure privée qui accueille 14 fillettes pour toute la France.

L’errance thérapeutique des victimes, l’isolement des professionnels face au problème, coûte extrêmement cher à notre pays tant humainement que financièrement. Cet argent devrait être consacré aux soins et à la prévention et non en hospitalisations de longue durée pour anorexie, dépression ou en pensions d’invalidité. Si l’on osait la comparaison, c’est comme si l’on soignait les malades du sida sans étudier le virus, sans former les médecins, sans médicaments spécifiques.

Nous nous sentons comme des victimes d’un attentat que l’on oublie sous les décombres. Aucun protocole de prise en charge spécifique, à nous de sortir des décombres, de nous reconstruire et de reconstruire seuls notre maison car 9 fois 10, une victime d’inceste qui parle est rejetée par sa famille. Nous n’obtiendrons quasiment jamais de reconnaissance car les agresseurs ne sont pas condamnés ou très peu. Comment porter plainte lorsque l’on tient à peine debout ? Les victimes d’inceste devraient pouvoir compter au moins sur leur pays.

Il y a tant à dire Monsieur le Président ! L’inceste est une bombe à retardement. Nous sommes la première génération de victimes à parler de ce tabou. Nous espérons enfin être entendus. Il en va de l’avenir des enfants d’aujourd’hui et de demain. Nous avons des membres au Canada. Ce pays a 20 ans d’avance sur nous. La France, un pays si riche, défenseur des Droits de l’Homme, comment peut-il ainsi ignorer ses enfants.

Recherches, formations, création d’outils d’évaluation et de soin spécifiques, unités de soin spécifiques, justice, campagnes grand public, prévention, tout cela mérite que l’inceste soit une Grande Cause en 2008, que des fonds soient dégagés et qu’au sommet de l’Etat, on ose prononcer ce mot pour amorcer une prise de conscience collective indispensable.

Les victimes d’inceste ont les mêmes symptômes que les survivants des camps de concentration, plusieurs scientifiques en ont parlé. A une différence près, les bourreaux n’étaient pas des nazis mais nos propres parents, et nous n’étions que des enfants. Ne pensez vous pas qu’il est de notre devoir d’agir ?

Plusieurs ministères sont concernés, la population entière est concernée car nous connaissons tous au moins une personne touchée par l’inceste, c’est mathématique. Souvent nous ne le savons pas.

Nous souhaiterions vraiment avoir des réponses sur nos propositions et pour vous apporter quelques éléments, voici notre Manifeste 2004 riche de quelques chiffres.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos respectueux sentiments.

Isabelle Aubry, Présidente