Comment peut-on renaître ?

Témoignage Publié le 13.03.2022
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Je suis l’enfant d’un couple qui s’est séparé lorsque j’avais un an. Je n’ai pas connu mon père. Ma mère s’est remariée quand j’avais 3 ans.... A l’aube de mon adolescence, cet homme s’est donné la mission de me « montrer ce qu’est la vie », selon ses termes.

Il rentrait dans la salle de bain alors que je me douchais et commentait mes changements corporels. Il me disait « ton corps change. Tu commences à ressembler à ta mère. Je t’apprendrai ». Je ne comprenais rien à ce qu’il me disait. Je ressentais seulement un profond malaise, une gêne énorme. J’avais 11 ans. Parfois, il venait dans la chambre que je partageais avec ma sœur. Il me collait contre lui, s’allongeait sur le dos en me maintenant dans ses bras et il faisait des mouvements de balanciers qui exerçaient une friction de mon corps contre son corps. Un été, nous sommes parties en colonie avec ma sœur, dans des lieux éloignés de notre domicile familial. Nous avons dormi à l’hôtel. Dans la chambre il y avait 2 lits ; un de 90 et un autre de 140. Il m’a imposé de dormir avec lui. Ma sœur avait le petit lit. Le soir venu, il m’a interdit de garder ma culotte prétextant que c’était sale. Il n’a rien fait, mais la terreur de cette nuit a été massive.

Un samedi matin, je suis seule dans la cuisine. D’ordinaire il se levait tard mais là, alors que je finissais de déjeuner, j’entends le bruit de ses pas qui descendent l’escalier. Comme à chaque fois, sa présence m’inquiète et me rend nerveuse. Il pousse la porte. Il est en robe de chambre. Il chute. Il se retrouve au sol, allongé sur le dos. Sa robe de chambre est complètement ouverte. Il est nu. Son sexe est découvert. Il ne se plaint pas de douleur. Il ne cherche pas à cacher son corps. Il ne se redresse pas. Je suis derrière la table de la cuisine, à son opposé. Je suis tétanisée par ce qui vient de se passer. Je crois lui demander s’il va bien. J’ai peur. Je me sens terriblement mal à l’aise. Je voudrais fuir. Il me demande de l’aider à se relever. Il me demande de l’aider à monter les marches de l’escalier pour l’accompagner à la salle de bain. Il me demande de l’aider à se déshabiller. Il me demande de l’aider à se laver. J’agis comme un robot. Je ressens que quelque-chose ne va pas, qu’il y a une dissonance entre ce qu’il me dit et ce que je perçois. Il n’avait pas besoin d’être soutenu pour monter les marches, il n’avait pas non plus besoin d’être aidé pour se déshabiller, il avait encore moins besoin d’être aidé pour se doucher. Une part de moi savait tout cela. Mais j’ai fait ce qu’il me demandait.

Je me rappelle vouloir prévenir ma mère mais il me retient. Il me dit qu’il ne faut pas l’inquiéter. Il me dit qu’il a juste besoin que je l’aide et qu’après cela, ça ira. Alors j’accomplis tout ce qu’il me demande sans aucune résistance. Je l’aide à se mettre nu. Je le soutiens pour qu’il s’installe dans la baignoire. Je le lave. Je le lave partout, jusqu’à son sexe. Son sexe qui est tout dur. Je ne sais pas ce que signifie un sexe d’homme tout dur. Je suis mal à l’aise, tellement mal à l’aise. Il me demande de frotter son sexe. Pas trop fort mais plus fort quand même. Il me demande de continuer. Puis, il me dit que ça va. Il me demande de l’aider à s’essuyer et de l’accompagner jusqu’à sa chambre. Il me dit qu’il va s’allonger et se reposer. Il me demande à nouveau de ne rien dire à ma mère pour ne pas l’inquiéter. Je m’empresse de quitter cette chambre. Je sors. Je suis perdue. Je ne sais pas quoi faire. Je ne comprends rien à ce qu’il vient de se passer. Je n'en parle pas à ma mère.

Ma mère n'a rien vu. Plusieurs signes indiquaient pourtant que j'allais mal. Elle ne remarquait rien. J’étais tout le temps triste mais cela ne l’interpellait pas. La seule chose qu’elle me renvoyait était que j’étais pénible, difficile et que je lui pourrissais la vie. Ma survie je la dois à la nourrice que j’avais eu enfant et avec laquelle je gardais un lien très fort. C’est elle qui un jour m’a demandée ce qui n’allait pas. Elle m’a dit qu’elle remarquait, depuis quelque-temps, ma mine triste. Elle m’a partagée son inquiétude et m’a dit que je devais parler. Après beaucoup d’insistance de sa part, je lui ai dit. Je lui ai dit que le mari de ma mère me demandait des choses bizarres que je ne comprenais pas. Je lui ai dit que j’avais peur. Je lui ai dit que je n’aimais pas être seule avec lui. Elle m’a emmené chez mon médecin. Ce médecin m’a dit que je devais rencontrer un psychiatre afin qu’il évalue la situation. J’y suis allée. Ma mère m’y a accompagnée. Il m’a écouté seule puis il l’a fait venir pour lui relater les faits. Il m’a dit que je pouvais choisir entre porter plainte, en me précisant que cela rendrait ma mère complice ou rechercher une solution à l’amiable. Mon choix, si je puis le dire ainsi, a été la seconde. S’en est suivi des recherches de foyers d’accueil que j’ai menées seule. Cela a duré six mois environ. Puis le moment est venu où l’on m’a dit que cette situation ne pouvait pas durer et que je devais rentrer « chez moi ». A nouveau donc, je me retrouvais dans cette situation insoutenable. J’étais incapable de m’impliquer dans mes études, j’ai par contre porté beaucoup d’attention à me détruire (alcool, drogue...).

Je vais bientôt avoir 43 ans. J’ai multiplié les démarches auprès de ma mère pour qu’elle entende que je n’avais pas menti. Pour qu’elle reconnaisse enfin ma parole. J’ai également parlé à ma sœur avant qu’elle n’accouche de son premier enfant. Le mari de ma mère a dû reconnaître ce qu’il avait fait. Mais la justice que je pensais me rendre, la liberté et la sérénité que j’attendais de ces démarches n’ont pas été à la hauteur de mes espérances. Cet apaisement n’a été que fugace. Régulièrement, je ressens une tristesse profonde, abyssale. Elle revient sans cesse et gonfle tellement que je suis incapable d'aller travailler. Je suis à l’arrêt total. J'ai l'impression d'être à la porte du monde, sur le seuil, entrain de regarder les gens s'agiter. Je n’arrive plus à penser, je n’ai plus de curiosité, je n’arrive plus à écouter, à mémoriser, à rire, à être légère… Je n’arrive plus à me projeter. Je n’arrive plus à vivre, tout simplement. Je ne suis que tristesse….et angoisse. Peut-on vraiment apprécier la vie pleinement, sereinement, lorsque l’on est rongé de partout ? Comment fait-on pour tenir debout lorsque les bases incontournables de l’estime de soi, la confiance en soi et la légitimité sont altérées sévèrement ? Peut-on seulement continuer à avancer ? Peut-on réussir à se laver un peu ? A-t-on encore une part indemne en nous ? Comment fait-on pour renaître ?