J'avais 10 ans. Mon frère 17. Ce qu'il s'est passé entre nous ce jour-là a tout fait basculer.
Ce souvenir rempli de honte et de dégoût m'est revenu en mémoire 1 mois après la naissance de mon 1er enfant. J'avais 26 ans. Mon frère était en pleine dépression à ce moment-là et j'essayais, en présence de notre mère, de le réconforter et de comprendre d'où venait sa détresse. Il semblait rongé par le remord. J'ai perçu un "pardon" et l'ai donc encouragé à poursuivre sans me douter le moins du monde du coup de tonnerre qui allait éclater dans ma tête. "J'ai été un gros porc... Pardon pour ce que je t'ai fait..." Sur le moment, je n'ai pas compris. Puis, il a poursuivi que ça expliquait pourquoi il n'avait jamais eu de copine et qu'il avait toujours eu un problème avec le sexe. À ces mots, j'ai eu un flash. Le flash d'une scène que je savais présente au plus profond de moi, mais que j'aurais aimé continuer d'oublier. À cet instant, j'ai ressenti une vague de honte et de dégoût de moi-même et j'ai voulu qu'il se taise pour ne pas que ma mère sache ce qui s'était passé.
C'était lui qui, 16 ans plus tôt, m'avait fait cette demande, presque aussi facilement que "tu peux me passer le sel ?". C'était moi qui, innocente, docile et obéissante, m'étais exécutée, comme on m'avait toujours appris à le faire. Sans poser de question. Sans même tenter de dire non puisque, de toute façon, il n'était jamais entendu ! Je n'avais aucun libre arbitre, aucun œil critique sur la situation. Avec mes yeux d'adulte, je m'en veux terriblement de n'avoir pas su réagir. Je me sens souillée et je porte encore de lourdes séquelles à travers ma vie de couple, le manque de confiance en moi, ma difficulté à me faire respecter. J'apprends à avoir un regard bienveillant sur cette petite fille qui a été abusée dans la confiance qu'elle portait à son grand frère, à ses parents sensés la protéger. J'apprends à dire non, à écouter mon corps, mes émotions qui ont été si longtemps réprimées. Tout est nouveau.
Ce lourd fardeau pèse également sur la conscience de mon frère et le fait sombrer un peu plus chaque jour dans la dépression et l'isolement social. Il souffre et s'empêche de vivre sa vie comme s'il se punissait. Il n'est pas un détraqué sexuel. Je ne lui en veux pas. Il est comme moi, victime de carences éducatives. À qui la faute alors ? Il y a eu cette seule et unique expérience entre 2 mineurs d'une même famille, en plein découverte de leur corps. Elle a suffi à détruire 2 vies. Je ne veux pas qu'elle détruise ma famille et le peu d'estime de moi qu'il reste. Il y a eu des carences éducatives certaines dans ma famille. Toutefois, mes parents, n'ont-ils jamais eues ces bases eux-mêmes ? Aujourd'hui, j'en veux à la société de ne pas avoir mis plus de moyens auprès des parents et des enseignants pour aborder sereinement ce sujet ô combien important qu'est l'éducation sexuelle. Je lui en veux aussi de ne pas avoir su dépister les enfants victimes comme abuseurs et de laisser ce problème bien au chaud dans la sphère familiale. Aujourd'hui, j'essaie de sensibiliser mon entourage au respect de l'enfant. Au respect de sa parole, de son corps, de ses émotions, de ses choix... pour palier aux manques que j'ai vécus. Le chemin va être long... tout comme celui de ma reconstruction psychique, mais c'est mon ambition. Merci pour cet espace de parole.