De la difficulté de protéger mon enfant

Témoignage Publié le 18.12.2021

Je suis parent protecteur. Voici mon témoignage.

C’est l’été. Ma fille de 4 ans et moi sommes dans ma chambre. Elle me dit : « allonge-toi maman, détends-toi. » C’est un peu curieux comme propos, je me dis qu’elle veut jouer. Et là, elle met sa main sur mon sexe et me caresse. Je l’arrête immédiatement : « que fais-tu ? Qui te fait ça ? » Elle répond : « c’est papa ». Je suis séparée de son père, mais ne peux croire l’impossible. Je me dis qu’elle a mal interprété quelque chose. La vie continue mais quelque chose dissone en moi.

Quelques mois plus tard. Un vendredi matin de janvier, je garde ma fille qui a maintenant 4 ans et demi à la maison, car je sens qu’elle ne va pas bien. Elle est instable ; elle a des comportements bizarres : elle joue au chien en permanence, elle s'attache aux objets et ligote ses jouets, elle se masturbe compulsivement. Ce matin-là, je suis en train de faire la vaisselle lorsque de but en blanc, elle glisse sa main entre mes jambes et me palpe le sexe. De manière réflexe, je me retourne vers elle et lui dit : « mais qu’est-ce que tu fais ? Qui te fait ça ? » et là, c’est le couperet qui tombe : « c’est papa ». De manière enfantine et innocente, ses propos ne laissent pas de doute. « Papa me chatouille la minette. J’ai un secret avec papa. »... là, je ne peux plus l’éluder.

Quelques jours après, des propos me sont rapportés. Ma fille aurait dit à la sortie de l’école devant un témoin : « papa, j’ai bien gardé notre secret entre le zizi et la minette quand tu viens dans mon lit la nuit ! ». La jeune femme qui entend cela en fait part à la directrice de l’école qui ne fait rien, mais quand je lui annonce que je retire ma fille de l’école, elle me parle de comportements sexués anormaux (ma fille aurait essayé de toucher le sexe d’un petit garçon, etc.). Je suis sous le choc, j’en parle à mon entourage dont une part dénie, j’en parle à trois professionnels différents (une pédopsychiatre, deux psychologues de l’enfance) qui elles n’ont pas de doute au vu des propos que je rapporte.

Je porte plainte. Je suis bien reçue par un officier très courtois, mais le lendemain je suis convoquée manu militari au commissariat, et sauvagement contre-interrogée par une enquêtrice de la brigade des mineurs qui interroge également ma fille sans aucune précaution. L’enquêtrice est visiblement convaincue que je mens. Mais j’ai confiance, j’ai des témoins, nous serons entendues. J’ai la chance de travailler dans une autre ville où je peux m’enfuir avec ma fille. Nous déménageons en quelques jours, je scolarise ma fille, je la fais suivre par une pédopsychiatre exceptionnelle. Je suis au 36ème dessous, j’essuie la haine d’une partie de mon entourage, mais je m’accroche, j’ai juste peur de mourir tant mon cœur bat la chamade jour et nuit, je ne dors pas, je ne mange pas, je travaille, je gère ma fille qui est dans un effondrement notable, au bord de la décompensation psychotique. Heureusement, son intégration à sa nouvelle école se passe bien. Elle emprunte son chemin de résilience et va mieux chaque jour depuis lors. Moi je vis l’enfer mais je tiens pour elle.

Ma plainte est classée sans suite. J’ai su que les policiers qui avaient interrogé mon ex lui avaient souhaité BONNE CHANCE. Je me suis constituée partie civile il y a 18 mois mais je n’ai pas de nouvelles. À ce jour, le père de ma fille m’a assignée devant le JAF, j’ai obtenu la garde mais il s’est vu attribuer des « visites en lieu neutre ». Il a fait appel. L’appel est en cours. Les visites perturbaient tellement ma fille que j’ai cessé de l’y emmener. Je me suis donc rendue passible de pénal. Dans le cadre de l’enquête, le père de ma fille a quand même été désigné comme « pervers narcissique à traits psychopatiques » par une expertise psychologique. Mais aujourd’hui c’est moi qui suis sur la sellette. Ne renonçant pas, il m’a faite assigner il y a peu devant le juge des enfants au prétexte que ma fille pourrait être en danger avec moi. C’est d’une cruelle ironie. La juge en charge a mis en place une enquête sociale. Je vais devoir dans quelques jours aller avec ma fille rencontrer une éducatrice qui a l’air déjà remontée contre moi. Je vis avec cela depuis presque trois ans.

C’est un vrai parcours du combattant alors que je ne demande qu'une chose : vivre en sécurité. Je n’ai reçu aucune aide institutionnelle, à aucun moment du parcours. Il n’y a eu aucune écoute à aucun moment, hormis l’experte psychologue qui a compris de quoi il retournait, et les professionnels exceptionnels que j’ai eu la chance de rencontrer (mon avocate et la pédopsychiatre de ma fille). Depuis trois ans, j’ai peur, j’ai peur qu’on me prenne mon enfant. Je n’ai plus un sou vaillant, je me suis reconvertie pour être présente auprès de ma fille. Nous avons reconstruit une vie valant la peine d’être vécue. Elle est heureuse, épanouie, elle a même été élue déléguée de sa classe. Je crois que je ne survivrai pas si cela devait tourner au vinaigre maintenant. Ce que je veux dire, c’est que le prix à payer pour défendre son enfant est insensé. À l’incommensurable souffrance de savoir son enfant abusé, s’ajoutent l’ostracisation, la solitude, les difficultés matérielles, l’épuisement. L’incompréhension de ceux qui ne peuvent concevoir l’inconcevable. Et d'une certaine façon je comprends ce déni, car la réalité de l'inceste est un cauchemar dont on ne se réveille pas. Ce que j’ai accompli c’est déjà beaucoup, mais je n’ai même pas encore gagné. Nous ne sommes pas encore en sécurité. Même lorsque j'aurai gagné, car je gagnerai, rien ne nous rendra tout ce qui a été perdu. Rien ne nous rendra la santé, la joie, l'insouciance. Nous ne saurons jamais ce que ma fille serait devenue sans ces agressions, et moi je suis changée à jamais. Et le coupable est dehors.