Famille "parfaite"
Bonjour,
J'arrive sur ce forum après 15 ans de déni et de souvenirs enfouis, à jouer le jeu de la petite fille épanouie dans une famille parfaite et unie, dans laquelle tout se passe bien en apparence. Et pourtant... J'ai été agressée, violée par mon frère qui a 7 ans de plus que moi, de mes 8 à 12 ans je dirais. J'ai longtemps pensé (et j'y travaille encore pas mal je dois dire..) que j'étais aussi responsable, parce que je ne disais rien, que donc dans un sens j'acceptais cette situation.
Au début c'était un jeu, c'était le docteur, c'était des massages, c'était "mon grand frère que j'aime". Puis les massages et les jeux sont allés plus loin. J'ai découvert le "plaisir" (au sens très mécanique du terme) sexuel comme ça à 8 ans, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, il y avait quelque chose de très fort comme sensation, mais en même temps bizarre, et après quand il partait je me sentais terriblement mal. Et puis un jour j'ai découvert dans "le dictionnaire des filles" ce que c'était que l'inceste. J'ai compris que c'était pas normal du tout, j'ai lu que les conséquences étaient dramatiques pour les enfants qui subissent ça... Et pourtant je n'arrivais pas à faire en sorte que cette situation s'arrête. Une fois je lui ai dit "c'est du viol", il m'a dit "ca n'a rien à voir, tu ne redis jamais ça!", j'ai compris qu'il fallait rien dire. J'ai compris qu'il fallait attendre. J'ai pensé qu'il ne fallait surtout pas que les parents soient au courant. Qu'il ne fallait pas détruire ma famille. Ca a continué jusqu'à ce qu'il parte de la maison à ses 18 ans. Il est revenu pendant les vacances. J'avais grandi. J'ai réussi à lui dire "Qu'est-ce que tu fais ?!" quand il a essayé une nouvelle fois de me toucher. Ca s'est arrêté. J'avais 12 ans.
Je me suis dit qu'il fallait plus que je repense à ça. Qu'il fallait oublier. Que de toute façon, comme c'était que dans ma tête, personne ne le saurait jamais, et moi, je serai heureuse, dans tous les cas, pas comme l’annonçait ce dictionnaire des filles qui prédisait dépression et anorexie. Mais il y avait comme un poids au dessus de ma tête, tout le temps, je ne supportais pas la solitude, de rester seule avec ce moi-même qui me terrorisait. Alors j'ai développé une sorte d'hyperactivité. Puis je me suis lancée dans des études d'humanitaire, je voulais me sentir utile, me prouver que j'étais quelqu'un de bien. Parce qu'au fond, je m'en voulait énormément, d'avoir "accepté" tout ça.
20 ans, j'en parle à mon premier copain, il flippe, on n'en reparle quasi-pas. Je reste 3 ans avec ce gars dont je ne suis pas amoureuse mais qui - au moins - ne veut pas de rapport sexuel, ce qui m'arrange bien. 23 ans, je le quitte, enfin, malgré l'insistance de mes parents pour qu'on reste ensemble, parce que quand même c'est quelqu'un de bien ce garçon, "vous pourriez faire une thérapie de couple?"... Je décide que ma vie a quand même une petite valeur, que je veux la passer avec quelqu'un que j'aime. Je commence à reprendre le contrôle, apprendre à dire non à ce que je ne veux pas. J'en profite pour enfin écrire à mon frère, je vais le voir à Toulouse, la peur au ventre, j'imagine qu'il pourrait nous tuer tous les deux pour mettre fin à cette histoire, il doit se sentir tellement coupable lui aussi... Mais tant pis j'y vais quand même. Résultat, on fait des jeux de société (oui on adore les jeux dans notre famille c'est marrant ça) tout le week-end et juste avant de partir je lui demande de me parler de ce qu'il s'est passé dans notre enfance. "Ah? ah ben c'était juste une pulsion d'ado, j'y ai jamais repensé depuis, j'ai vu que t'avais l'air d'aller bien alors j'ai pensé qu'y avait pas besoin d'en reparler." WHHAT ??? il en a pas chié lui ????? Comment s'est possible ??? Là je comprends que je me suis faite avoir de tous les côtés, physiquement d'abord, à être un objet au service de ses pulsions d'ado, puis mentalement, à m'en vouloir, à porter ce poids seule, et à me dire que lui devait se sentir encore plus mal et que finalement je préférais être à ma place plutôt qu'à la sienne !
24 ans, je rencontre mon copain actuel, enfin quelqu'un qui m'écoute, il prend le temps, il me respecte, il m'aime. Pas facile l'amour quand on découvre la sexualité à 8 ans violée par son frère de 15 ans... 26 ans, je décide enfin d'aller voir une psy pour faire le point sur tout ça, pour ne pas me traîner ça toute ma vie et faire une dépression à 60 ans et un Alzheimer à 80 comme ma mamie de qui je suis très proche... 1° séance : je parle seule, 2° séance : je découvre dans le reflet d'un meuble qu'elle est sur Facebook pendant que je parle !!! (sans blague...) J'y retourne une dernière fois, il ne se passe rien, je me casse, j'avais raison, on s'en sort mieux tout seul en fait. 27 ans. Mon frère devient papa. C'est la merde. Je flippe. je réussi à parler de ce que qui m'est arrivé à mes amies d'enfance, gros choc, trop bien, libération, je me sens teeelllement plus légère. Elles me conseillent d'en parler à mon autre frère, ce que je fais. On pleure ensemble, il m'écoute, me comprends, ça fait du bien. Il va voir une psy, ça le chamboule trop. Je décide d'en revoir une aussi, une vraie (la dernière fois c'était une psychiatre, c'est remboursé...)
28 ans, j'en suis là. 4 mois de thérapie. Je réussi enfin à craquer. A lâcher. A pleurer. A ressentir de la colère. A sortir peu à peu du looong chemin de la honte, de la culpabilité. Mais c'est dur. Et du coup, moi qui était motivée par tout, qui bougeait tout le temps et pour tout, qui voulait toujours voir du monde, j'ai juste envie maintenant de rester seule à bader. Ca fait bizarre, ça fait peur... Je suis qui du coup en fait ?
J'en suis là, à pas savoir quoi faire maintenant. En parler à mes parents ? Oui sans doute. En reparler à mon frère, lui parler vraiment ? Lui faire comprendre le mal qu'il m'a fait. M'assurer que réellement il ne pense plus à ça, qu'il ne touchera plus jamais personne. Mais comment en être sure ? J'en suis là, j'ai 28 ans, je comprends que j'ai passé 20 ans à jouer à un jeu, à survivre comme je pouvais. Maintenant j'ai envie de vivre, vraiment, entièrement. Mais comment faire quand on ne sais plus qui on est, ce qu'on veut, ce qu'on aime, comment on aime, quand on ne sent pas son corps, quand on déconnecte si souvent de la réalité, de son propre corps ?
Bonjour. Ton histoire résonne avec la mienne. En as-tu parler à tes parents et le reste de la famille ?