Frère pervers
J’ai développé un 6ème sens depuis mon plus jeune âge. J’ai appris à écouter le moindre bruit, scruter le moindre mouvement, tout faire dans le noir une fois dans ma chambre, vérifier mainte et mainte fois les verrous (salle de bain, toilettes).
Cet apprentissage était nécessaire pour ne pas avoir à faire à « lui ».
Lui, c’est mon frère de deux ans mon ainé. Il a abusé de moi pendant mon enfance. L’âge du début des faits est difficile à retrouver, la chronologie des évènements également… je dirais autour de 6 ans jusqu’à mes 22 ans. Attouchements sous forme de jeux au début puis forcés, visionnage de film pour adulte, vol de mes sous-vêtements…Il avait pour habitude de tout faire dans le silence, de s’approcher de moi à pas de loup. Parfois lorsque j’étais seule à la maison et que j’entendais le moindre bruit je me munissais d’un couteau et faisait le tour de la maison…
Une fois adolescente les attouchements avaient cessés, c’était surtout devenu du voyeurisme. J’avais réussi à exprimer un « non » face à ces tentatives, mais il me faisait peur, il a déjà eu des gestes violents envers moi et a même tenté de m’étrangler.
Je n’ai jamais réussi à en parler à mes parents. Mon père est mort (alcoolique) quand j’avais 15 ans. J’avais trop honte pour en parler, trop peur de la réaction de ma mère et surtout de « lui ». Il me promettait d’arrêter, il se passait quelques semaines ou j’étais « tranquille » sans relâcher ma vigilance pour autant mais ça recommençait à chaque fois.
Un soir, j’avais 22 ans, et là c’était trop. Je l’ai aperçu en train de me filmer avec son téléphone portable alors que je me changeai dans ma chambre. J’ai craqué ! Je l’ai attrapé et insulté. Il s’est mis à genou et s’est excusé, disant qu’il ne le referait jamais (comme à chaque fois).
Rapidement je me suis installée chez mon copain. S’en est suivi une profonde dépression, la honte m’avait envahi. Avec l’aide de mon copain, je suis allée dans un CMP pour avoir de l’aide. J’ai eu un suivi psychologique et psychiatrique, des traitements : antidépresseurs, anxiolytiques et des somnifères… un vrai zombi.
Je faisais tout pour ne plus avoir de contact avec mon frère. Je n’avais rien avoué à ma mère et les réunions de famille (anniversaire, fête des mères, noël…) étaient très pénibles. Devoir faire semblant que tout était « normal » devant ma mère. Je voulais tellement la protéger de tout ça. Elle n’avait pas eu une vie facile avec mon père alcoolique…
Après 1 année à faire semblant, à m’effacer petit à petit de ma famille (c’est-à-dire ma mère, je n’avais plus qu’elle), je me suis épuisée. Je prenais mes anxiolytiques avec de l’alcool il fallait que je déconnecte. Les scarifications m’apportaient un soulagement, voir le sang couler comme si toute cette douleur sortait de mon corps.
Grace au suivi psychologique j’ai réussi à trouver le courage de tout annoncer à ma mère. Je pense surtout que c’était indispensable pour ma survie… les idées noires étaient de plus en plus présentes.
J’ai franchi le pas, nous avons convenu d’un rendez-vous au CMP avec la psychiatre. Ce qui m’a étonné c’est qu’elle a assez vite compris ce qu’il m’était arrivé, sans vraiment dire les « mots ». Elle m’a avoué qu’un de ces frères avait aussi abusé d’elle.
Malgré cette annonce, ma mère n’a pas vraiment « réagi ». J’espérais tellement qu’elle prenne parti entre mon frère et moi. Qu’elle le raye de sa vie, qu’elle le mette dehors, qu’elle le déteste autant que moi… mais non, c’était quand même son fils. Face à ça j’ai sombré davantage, le suicide devenait pour moi la seule solution, l’automutilation s’était aggravée (scarifications, coups sur le corps et le visage). Moins de 2 mois après l’annonce à ma mère une amie m’a emmenée à l’hôpital psychiatrique. Ils m’ont gardé…
Lorsque ma mère m’a rendu visite et a vu les bleus sur mon visage elle a eu un choc. Une prise de conscience. Le lendemain elle a parlé à mon frère et a imposé qu’il déménage le plus rapidement possible. Elle lui a demandé pourquoi il avait fait ça mais sa question est restée sans réponse.
Le soutien de ma mère m’a énormément aidé et soulagé. Le chemin vers la sérénité allait encore être long.
J’ai eu l’occasion de découvrir une association d’aide aux victimes d’inceste (AIVI). Ils m’ont beaucoup aidé également, ils organisent des groupes de paroles avec d’autres victimes, ces échanges sont important. Je me sentais moins seule face aux différentes difficultés rencontrées : l’automutilation, les cauchemars, les idées noires. C’est un vrai soutien.
Aujourd’hui, j’ai 28 ans, je suis toujours suivi par un psychologue et une psychiatre. J’ai eu des hauts et des bas sur le plan sentimental. Désormais je partage ma vie avec un homme compréhensif, patient et attentionné. Il m’apporte beaucoup, il m’accompagne et me soutien à chaque coup dur. Il me rend heureuse (c’est un mot que j’avais oublié). La relation avec ma mère est plus forte que jamais. Elle est là pour moi et je suis là pour elle. On ne parle plus de « lui », elle le voit très peu car elle ne cautionne pas ce qu’il m’a fait et j’en suis soulagée.
Avec du recul je me dis que la vie vaut la peine d’être vécu malgré tout ça. Pourvu que mon témoignage permette aux victimes d’y trouver de l’espoir.