J'ai été abusée
Arrivée non par hasard sur ce site, il y a quelques semaines. Je cherchais des témoignages de vécu d’inceste. Je cherchais à me reconnaître, je cherchais des semblables.
Mon premier mouvement a été de reculer devant le nombre de témoignages. Je ne pouvais faire partie de vous, ici. Je ne voulais pas m’envisager comme une survivante, et je ne saisissais pas le sens d’un dépôt de témoignage sur Face à l'inceste .
Et je suis revenue.
J’ai lu.
J’ai pleuré.
Tout cela prenait pour moi la forme d’un mur monté brique par brique, mots par mots, contre l’oubli, contre le non-dit, contre la honte que l’on croit qu’on mérite, contre le silence, dévastateur celui là.
Aujourd’hui je me sens prête à ajouter ma brique.
J’ai longtemps voulu minimiser ce que j’avais vécu. Il est temps que cela cesse.
Lorsque j’ai eu 14 ans, ma mère m’a de but en blanc demandé si mon beau-père « m’avait fait des choses ». Elle revenait de chez lui, ils s’étaient séparés l’année précédente, elle était dépressive, c’était l’homme de sa vie comme elle me l’a souvent dit.
L’avait elle questionné ? Lui avait il dit de lui même ?
J’ignore tout cela, je sais seulement qu’il lui a dit le désir qu’il avait eu de sa fille aînée, d’un autre mariage. Cette fille de 1/2 ans mon aînée peut être. Cette enfant, chez nous un week-end sur deux, que ma mère n’aimait pas. Cette fille que son père battait parfois à coup de ceinturon. Cette fille qui avait eu avec moi des jeux hyper sexualisés, que je n’ai jamais vécu comme imposé, plutôt partagés, un jeu de rôles dans lequel nous rejouions toutes les deux nos traumas.
Elle m’a donc questionné. Ai je répondu ? Je ne le pense pas. Je ne me souviens que d’une vague émotionnelle qui m’a sans doute foutu les larmes aux yeux. Un mouvement d’une telle immensité en moi, face à sa question, que je n’ai pu que me taire.
Elle a ajouté qu’elle avait surveillé, qu’elle s’était douté, qu’elle était sûre qu’il ne m’avait jamais touché, qu’elle était tous les soirs derrière la porte de la chambre quand il venait nous dire au-revoir, mais qu’elle estimait étrange qu’il y aille toujours torse nu.
Etait ce à ce moment que je lui ai raconté ce souvenir : lui dans l’entrebâillement de la porte d’entrée, partant au travail après une dispute entre eux, et lui disant « ce n’est pas comme si je l’avais violée tout de même » ?
Est ce à ce moment qu’elle m’a répondu : « tu avais 9 ans, balade en famille, chute de vélo, tu as mal en haut de la cuisse, il te porte à la maison, j’arrive après avec ta sœur dans les bras (bébé encore) et là tu es allongée sur notre lit, culotte enlevée, cuisse écartées et il te touche, son visage sur ton sexe » ?
Engueulade entre eux. Elle dira qu’il a dit avoir seulement vérifié si je ne m’étais pas blessée ailleurs.
J’avais 9 ans, elle l’a quitté, à regret longtemps, lorsque j’en avais quasi 14.
D’autres souvenirs me sont revenus :
7 ans, elle enceinte dans la cuisine, lui au lit, le soir, nu avec moi en chemise de nuit, jeux de mains proposé par lui, ma main qui attrape son sexe, dur, sa main qui se referme sur la mienne, je saute du lit, cours dire à ma mère que j’ai « touché le zizi de papa », elle m’envoie me coucher.
Engueulade entre eux dira t-elle plus tard.
8 ans, naissance de ma sœur, une semaine seule avec lui, aucun souvenir en dehors des moments à la maternité, trou noir, une année et demi d’énurésie nocturne ensuite.
4 ans et demi, ils se sont rencontrés peu avant, il a vécu un peu chez elle, il la quitte, prend un appart mieux équipé en douche, elle m’y envoie les prendre, lui devant moi à genoux qui essuie si longtemps mon sexe, qui m’emmène ensuite, nue dans sa chambre. Trou noir.
J’ai commencé à me masturber de manière compulsive à cet âge, partout et tout le temps, seule, ou pas, en classe d’un coup, au milieu d’un temps de travail, à la vue de tous. Je me souviens d’un sentiment d’étrangeté à mon égard en le faisant, comme si je n’étais pas tout à fait moi. Je e souviens d’un immense tension en moi que cela seul soulageait.
Beaucoup de rêves ou de pensées où je me regarde agir, extérieure et légèrement en hauteur. Je mets toujours un certain temps à savoir que c’est moi d’ailleurs que je regarde ainsi. Ces rêves ont pris fin vers 11 ans je crois.
Le reste : des sensations, de peur à l’égard de ce beau-père si je devais être seule avec, des souvenirs d’attitudes sexualisées avec cette fille aînée, d’un moniteur de colo à 12 ans qui lèche mon sexe dans un gîte de montagne, souvenir d’en avoir parlé à mon retour en disant que je l’aimais, souvenir qu’il a voulu porter plainte pour détournement de mineur, souvenir de lui me disant qu’il ne sait plus en nous rencontrant ma mère et moi, de laquelle il était vraiment tombé amoureux, souvenirs que je lui servais d’alibi pour ses maitresses.
Honte, beaucoup de honte en moi. Parfois ces mots sortaient d’ailleurs comme animés par eux même « j’ai honte ».
Souvenir encore, lorsque j’avais 15 ans et que je sortais retrouver l’homme de 25 ans mon aîné avec lequel j’avais une relation, elle m’a donc dit « c’est ton papa que tu vas retrouver en fait, hein c’est ton papa ? ». Souvenir de son ton fielleux, ses yeux verts à elle qui me crucifiaient.
Et d’autres souvenirs que je ne peux pas encore dire car trop sales.
15 ans et jusqu’à 22 ans : drogues douces, beaucoup d’alcool, absentéisme, mensonges, donner mon corps à qui le veut sans jamais rien ressentir, des hommes tous plus âgés, aimer un jeune homme de mon âge et faire de cette relation un enfer pour lui.
Vers 21 ans, ressentir pour la 1ère fois du plaisir pendant un rapport, me mettre à pleurer, sans comprendre.
Me stabiliser, avoir des enfants, me forcer à ressembler à la norme, cesser toutes relations autres qu’avec le père de mes enfants, mettre au monde une fille, angoisser dès qu’un homme est seul avec, y compris son père, seconde grossesse, des envies de suicide, une autre petite fille, mêmes angoisses, majorées car je ne peux plus tout surveiller.
Crises d’angoisse. Nombreuses. Identifiées comme tel et là je m’aperçois que j’en fais depuis que j’ai 8ans.
Tout au long de ces années, un seul contact avec ce beau-père, téléphonique, elle lui avait donné mon numéro, il m’a laissé un message « c’est papa, je t’aime grand comme le ciel tu sais ». Cette phrase qu’il me disait si souvent.
J’écoute le message, envie de fuir, je regarde autour de moi, peur qu’il soit là.
J’entame alors une thérapie, première fois que quelqu’un me reconnaît comme victime et me parle de pédophilie et d’inceste.
Avant je minimisais, me disais que je n’avais pas d’éléments, que j’étais folle. Tout ce que j’écris là était bien plus confus.
J’avais essayé d’en reparler avec ma mère, elle le vivait très mal, s’enfermait dans le silence, prenait tous mes mots comme autant d’accusations, disait et répétait qu’elle était trop jeune, qu’elle ne savait pas, que j’avais aussi beaucoup d’imagination tout de même.
Cette thérapie je l’ai lâché, trop dur, j’ai eu mon diplôme et j’ai fuit en Afrique.
J’y ai rencontré le père de mes enfants.
J’avais mis ma mère à distance à cette époque.
Retour en France, 12 ans à tenir tant bien que mal, comme à côté de moi même tout le temps, étrangère, sentiment que personne ne me connaît vraiment, que je mens, que les images que j’ai parfois en tête sont un signe évident de mon propre dérèglement. Ma mère prend sa place de grand-mère au fur et à mesure, il est convenu tacitement que je ne l’aime pas mais ni elle ni moi n’en parlons.
Je me refuse à la reconnaître en tant que ma mère.
Il y a un peu plus d’un an je suis partie, j’ai divorcé, j’ai essayé de ne plus avoir peur du père de mes enfants car cela seul me retenait, j’avais peur du mal qu’il pourrait potentiellement leur faire, alors qu’aucun geste, signe ne viennent appuyer ma peur.
Je suis partie en disant que je voulais m’approcher de moi, me retrouver, que je m’étais perdue. Mais impossible de dire où...
Nous tenons la garde partagée de nos trois enfants, le dernier est un garçon. Nous avons réinventé la parentalité après une période difficile. Je crois que c’est un père bienveillant. J’ai moins peur.
Lorsque je n’ai pas mes enfants, cette dernière année, je consomme beaucoup trop d’alcool, et pour la première fois, je me scarifie.
C’est un choc. Cela ne m‘était jamais arrivé auparavant.
Je consulte, je ne parle que peu de cet inceste, je survole ma relation à ma mère, je lâche au bout de 5 mois. Je n’étais venue qu’en surface, que parler du symptôme et non pas de ce qui le génère.
Et, il y a un mois, j’envoie ces phrases à ma mère: « comment as tu pu rester, coucher, avec un homme dont tu sais qu’il me touchait ? » C’est sorti en un cri, alors que nous nous fâchions pour tout autre chose. C’est sorti et ça m’a laissée en état de choc. C’est sorti et mes deux filles ont entendu.
Les dernières semaines ont été dures, très dures.
Un voyage entre soulagement immense car je l’avais mise à distance (elle est partie immédiatement) et honte de moi car j’aurai pu le dire autrement, pas là, pas comme cela, et une honte immense de sortir cela au grand jour.
J’avais réussis à tenir jusque là, ça avait été dur alors pourquoi est ce que je craquais maintenant ?
Je me suis sentie sale, si sale.
J’ai tenu cet éloignement, ai écrit que je ne voulais aucun contact.
J’ai parlé à mes enfants.
J’ai respecté le souhait qu’a formulé ma sœur de ne pas prendre partie, de ne pas trop entendre non plus.
Je cherche maintenant un thérapeute qui puisse m’aider.
J’ai dit comme j’ai pu, j’ai fait ce que j’ai pu, j’étouffais.
Je sais que j’ai tout bouleversé, je sais l’irrémédiable.
J’accepte par contre de regarder ma fragilité, moi que beaucoup pense si forte.
Et je m’en vais les travailler, mes fragilités, mes forces. Je suis prête à exhumer mes vieux démons. J’ai envie et je vais arriver à ce que ça ait l’air con un vieux démon.
J’ai longtemps cru que c’était moi qui avais un problème.
Aujourd’hui je peux dire que j’ai grandit avec un beau-père pédophile et une mère qui s’en doutait (le savait est encore très dur à dire), et que je vais commencer à m’en protéger pour ne plus jamais subir.
Merci pour cet espace accueillant les témoignages, et merci de m’avoir lue.
Merci Mélodie.
Sache que rien n'est de ta faute. C'est ton beau-père le coupable ! Aujourd'hui, tu as le courage d'affronter tout ça et c'est très bien :-)
Je n'ai que 18 ans alors je n'ai pas connu la peur que mes enfants subissent la même chose que moi. Mais je sais que ce que m'a fait subir mon frère aura un impact sur toute ma vie.
Accepter ce qu'on nous a fait, c'est déjà faire un pas en avant. Je suis sûre que tu y arriveras :-)