Je suis dans mon lit
Je suis dans mon lit d’enfant, avant 8 ans je ne me souviens pas, après 13 ans je ne me souviens plus.
J’entends les pas de ma mère dans le couloir, je me fais tout petit au plus profond de mon lit d’enfant, surtout pas de bruit, ne plus respirer, disparaitre, être comme mort. J’espère : si je ne pense plus, elle ne sentira pas ma présence.
La porte de ma chambre s’ouvre, elle entre et referme derrière elle.
Elle soulève brutalement ma couverture.
Je suis pétrifié, je quitte mon corps, je ne sais pas où je vais, je ne suis plus là. Mon corps oui, moi non.
Je reviens à moi, je suis nu, déshabillé, elle sort précipitamment de ma chambre. Mon corps a été touché de partout. Cette sensation m’est désagréable, elle m’a chevauchée, s’est frottée sur moi, sur mon corps d’enfant. Effacer cette sensation, oublier, ne plus sentir, ne plus ressentir. Ressentir ce frottement, cette frénésie m’est impossible, anesthésier mon corps d’enfant. Sentir cette odeur, insupportable, oublier. Nier, me nier. Ne pas croire, ne pas admettre, oublier ou devenir fou.
Juste retenir et être capable de penser :
« Maman, pourquoi tu m’enlève mon pyjama quand tu viens dans ma chambre… ? »
« Et pourquoi le reste du temps tu me rejettes ? »
Ma mère est une femme violente, méprisante et humiliante avec moi, pas de tendresse, toujours porteuse de colère, excédée par tout ce qui l’entoure, d’une jalousie inimaginable, elle ne vit que dans son monde, dans sa tête, détourne toutes les conversations vers elle dans sa frénésie.
Elle sait relativement se tenir en public, sait faire bonne impression dans l’environnement cadre supérieur dans lequel nous vivons. Elle est dans sa toute puissance.
Elle est infirmière et s’occupe d’enfants en crèche.
En famille, elle n’est pas très portée sur la création de repas au quotidien. Chaque enfant que nous sommes mes frère et sœur, se débrouille avec ce qu’il y a dans le frigo.
Moi je ne dors pas, je bricole dans ma chambre jusqu’à très tard dans les nuits. Je démonte et remonte tout ce que je trouve dans les caves et parfois poubelles. Des appareils ménagers, des réveils, des tournes disques, je crée des machines, je fais des toupies avec les engrenages. Mes parents viennent me dire de me coucher, je le fais et me relève quand je n’entends plus de bruit de leur côté. Je veille.
Plus tard dans mon adolescence, le soir quand tout le monde est couché et moi pas, ma mère entre dans ma chambre avec un bol de lait tiède et c’est une injonction, je dois le boire. Plus rien, le vide, l’absence.
Le lendemain, sans mon pyjama, mon corps est nu dans mon lit.
Plus tard encore, quand mon père n’est pas là, elle m’emmène dans son lit. Ce qui me vaut la jalousie de mes frère et sœur. Moi je ne sais pas, je pars en apathie, je suis figé, inerte, je suis en état de sidération. Dissocié, je vis la scène comme un spectateur. Le temps s’arrête. Je suis nié. Je suis sa chose.
Et en plus, pour mon père, je suis son rival.
Et il me le fait payer.
Qu’est-ce que cela m’a fait ?
Qui je suis ?
Un gros paquet de merde.
Sur-actif ou en apathie totale.
Adolescent et jeune adulte je pratique des sports extrêmes de manière extrême. Je ne ressens pas mon corps. Sauf dans les blessures. Dans la peur. Mon corps ne compte pas.
Je suis tenté par la délinquance, le gangstérisme me fascine.
Chacun et chacune, y compris certain de mes professeurs, s’inquiète de ma tristesse.
Pas de souvenir, que des fuites. Je fuis tout, tout le monde, tout le temps. Je me fuis.
Colère, honte, culpabilité, colère, honte, culpabilité, colère, honte, culpabilité.
Comment peut-on m’aimer.
Je me déteste.
Je suis le "pauvre Martin" de la chanson de Georges Brassens.
Dans tout ce que je fais, je suis tellement perfectionniste, et pourtant je ne suis qu’un imposteur. Je suis ultra gentil avec tout le monde. J’ai peur, j’ai honte, si ils savaient qui je suis, Mon Dieu quelle horreur.
Être invisible.
Ne jamais m’exprimer, encore moins ce que je ressens, ce que je pense.
Je m’habille de vêtements troués et sales.
Je suis dans le jugement permanent des autres, de moi, je me veux tellement parfait.
Ma colère est tellement présente qu’elle m’effraie. Contrôle, contrôle, contrôle, être sérieux, ne pas me dévoiler, tout contrôler, ne rien laisser au hasard.
M’accrocher au premier venu, à la première venue.
J’ai tellement peur de l’autorité, l’administration, la police, encore plus des femmes dans ces fonctions. Je suis paralysé d’effroi dans des situations de la vie courante.
Tais toi ! - Tais toi ! – Tels étaient les mots de ma mère.
Ne pas faire de bruit, ne pas pleurer, ne pas rire.
Toujours être attentif à ma parole, à mes mots, à l’engagement de mes mots, à parler doucement.
Tais toi !
Ne pas regarder les gens dans les yeux, ne pas me regarder dans les yeux devant mon miroir. Fuir, fuir.
Je suis vide de l’intérieur et pourtant je me cherche, je me cherche. Thérapies, groupes de travail, rien lâcher, ne rien lâcher. Toujours avoir des modèles, des référents. Chercher encore.
Des faits que je pouvais raconter avec le même détachement que lire une liste de courses, d’un coup, comme ça, s’incarne dans ma conscience, d’un coup, comme ça ! À 50 ans.
Je prends conscience de l’effraction psychique de l’autorité, qu’est celle qui m’a mis au monde.
Je suis dans un groupe en voyage, je pleure… 1h00, peut-être 2h00.
Je ne sais plus.
Toute l’horreur de ma vie s’incarne en moi ce jour-là.
Un an, il m’a fallu un an après cette étape pour prendre vraiment conscience de combien ces actes apparemment oubliés, m’ont blessé, m’ont manipulé toute ma vie. Le déni. Ma peur, ma honte, ma culpabilité, ma colère, mon sentiment d’imposteur, mon non droit au bonheur, ont été mon quotidien toutes ces années. Mon seul refuge : le sommeil suite à des masturbations frénétiques, Mon remède : Mon acharnement au travail, la sur activité pour combler mon puits sans fond de besoin de reconnaissance par autrui.
Combien toute ma vie d’alors j’ai été ce petit garçon blessé, souillé, qui portait si bien son masque d’adulte irréprochable.
J’ai aujourd’hui 58 ans, j’avais 8 ans…
Merci à chacun et chacune qui à sa façon m’a fait cheminer.
Aujourd’hui, je me sens tellement mieux.
J’ai également repris ma confiance, celle qui me fait accepter que cela à put se produire. Que ce n’est pas irréel. J’en ai tellement douté, ce n’est pas possible, ce n’est pas imaginable.
Cette confiance qui aussi me permet d’accepter que des personnes, des femmes aussi, ne m’adressent plus la parole. Trop choquées peut-être ou alors outrés que je puisse dire cela d’une femme, d’une mère.
Je ne suis pas responsable de cela.
Une question qui m’est posée par mes amies qui savent, est : Quelle image ais-je des femmes ?
J’ai eu une vie sentimentale très chaotique.
Peut-être est-ce l’oubli qui m’a permis de rencontrer malgré tout, des femmes. Pourtant, elles m’impressionnaient tellement.
J’aurais pu me conforter dans des relations homosexuelles qui m’étaient plus faciles. Je ne l’ai pas fait.
J’ai eu des compagnes, j’ai des enfants. Je m’aperçois que toutes ces années, je n’ai été attiré (et été choisie) que par des ‘’femmes enfants’’. J’ai beaucoup fonctionné dans le mécanisme du sauveur.
J’avais besoin de tout contrôler, je ne laissais aucune place à l’imprévu. La vie avec moi était rigide, maussade. J’étais très moralisateur.
Je me suis toujours senti obliger de vénérer mes compagnes, elles étaient tout pour moi et moi je n’étais rien.
Un homme blessé avec des femmes blessées. Un homme blessé qui a blessé.
J’ai également pris conscience récemment que j’avais beaucoup de difficultés avec le fait que l’on touche mon corps. Un mélange d’envie et de raidissement qui mettais très mal à l’aise mes compagnes quand elles tentaient des caresses.
La femme que je visualise comme adulte me fait encore "impression" aujourd’hui.
De tout temps j’ai eu des difficultés d’érection, chaque histoire que je vis doit se créer en douceur, lentement.
Je veux pouvoir regarder une femme dans toute sa beauté sans me sentir laid.
Je veux pouvoir garder ma gentillesse par choix, non par dépendance.
Je veux pouvoir toucher, caresser une femme, en pleine présence à moi-même et à l’instant présent.
Je veux vivre sans peur de la trahison, de l’abandon, de l’humiliation.
Je continu de grandir et de m’accepter comme je suis. Le plus important, être bienveillant avec moi-même.
« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » a dit Friedrich Nietzsche.
Dois-je remercier ma mère de m’avoir obligé à être fort ? Mes souffrances ce sont transformées en rage de vivre. La résilience de l’âme.
A avoir une foi inconditionnelle dans la force et la puissance de la vie, dans ma capacité à contacter la joie, dans la possibilité de rencontrer des personnes merveilleuses. Le bonheur.
A continuer encore et encore ma recherche en moi-même.
A accepter et révéler ma belle puissance masculine.
A accéder pleinement à mon masculin sacré.