Trente années de « silence ». Trente années de courage pour traverser les rivages de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge d’être une jeune femme, de ténacité, de volonté pour Vivre ma vie. Je m’interroge étant donnée la difficulté que j’ai à parler de l’inceste. Pourquoi n’est-ce pas facile ? Je réalise que le site m’offre un espace de parole pour dire la vérité sur ma vie. Pour la première fois, je me sens libre de parler de l’inceste. Avant de parler, la souffrance rejaillie, une souffrance mêlée de colère, d’indignation, de révolte. Une souffrance que je m’autorise à ressentir et à exprimer.
Je souffre de n’avoir pas été entendue, ni écoutée, ni reconnue en tant que victime d’inceste, par ceux qui étaient censés me protéger. J’ai gardé le « silence » à la demande de ma mère et de mon père, pendant trente ans, pour selon eux « éviter à ton père d’aller en prison et être séparée de la famille ». La vérité, c’est leur conscience d’une faute grave à mon encontre, punie par une Loi, de leur entière responsabilité. Ce silence, je l’ai gardé. Ce silence est en vérité l’aveu de la responsabilité de mes parents. C’est le silence de la vérité.
Au mois d’avril 1977, à l’âge de quatre ans et demi, j’ai été violée brutalement par mon père, devant ma sœur âgée de sept ans, mon frère âgé de six ans, et ma mère qui a juste eu le temps de les faire sortir de la pièce du salon. A la suite de quoi, cet homme m’a jetée sur le canapé en me disant « t’es une saloperie mais j’t’aime quand même », puis il est sorti du domicile familial. Je vois ma mère venir vers moi, avec un regard dur, impitoyable, culpabilisant, qui me demande « T’as une drôle de voix ?». Pendant trois jours, j’ai traversé la mort. Je sentais que ma vie était en danger, que cet homme pouvait me tuer. Je suis restée là, sur ce canapé, sans soins, juste une couverture jetée sur moi. Je ne pouvais plus parler, ma voix étant déformée. Je ne pouvais pas bouger tant mon corps me faisait souffrir. Seule ma pensée était libre. Aucun cri. Une larme. A l’intérieur de moi pourtant un hurlement de douleur, puis le silence, une vision, le vide et ma mémoire se disloque, « oubliée ».
Je revois ce père, en pleurs qui me demande de ne rien dire, ma mère puis un médecin, quelques jours après, mon dernier espoir, mais aucune parole n’est rendue possible en présence du censeur, ma mère. L’ampleur du choc traumatique est considérable puisque l’essentiel de mon enfance est oubliée. Je ne sais pas si d’autres évènements de ce type ont eu lieu. A ce jour, j’ai très peu de souvenirs de mon enfance. Je sens que ma mémoire est encore bloquée, il y a encore du « silence » en moi.
A quatre ans et demi, le regard de ma mère et quelques paroles« tu l’as bien cherché », ont suffi à me rendre responsable de ce qui était arrivé et culpabilisée. Dès lors, la confusion s’est installée, confusion des rôles, des responsabilités. Ma mère me prend pour une rivale, jusqu’à aujourd’hui. Elle a plusieurs fois dragué mes compagnons depuis l’adolescence, s’est insérée dans ma vie de couple. Le déni de responsabilité et le déni tout court sont toujours présents dans la famille.
Par la suite, j’ai subi des attouchements de la part de mon père, plusieurs fois au moment du coucher, sous le regard de ma mère qui se contentait d’un « laisse la tranquille ». J’étais terrorisée. En fait, je comprends aujourd’hui que ma mère était partie prenante, complice de cet homme. Cet homme était très violent et alcoolique et son état s’est aggravé avec le temps. Ma sœur a également été violée par cet homme et je soupçonne ma mère d’avoir touché à mon frère. Ce dernier m’a fait subir un inceste frère/sœur à l’âge de 14 ans. Il a fait plusieurs tentatives de suicide à l’adolescence et ma sœur a commencé à se prostituer au sortir de l’adolescence. A l’extérieur du foyer, j’ai subi plusieurs viols au cours de l’enfance et de l’adolescence. J’ai vécu dix-huit ans dans cet enfer incestueux, violent et dégradant. J’ai été victime et témoin d’inceste et de maltraitances aggravées.
Puis je suis partie, loin, très loin d’eux, j’ai déployé mes ailes et je me suis envolée, à 14000 kilomètres de là. Pendant 10 ans ma vie a été merveilleuse car j’ai pu réaliser certains rêves importants au-delà de ce que j’imaginais, voyager, aimer, étudier, m’épanouir. J’ai réappris à sourire, à rire, à m’aimer. Le déni et l’oubli me permettaient d’avancer. Ça n’a pas duré. Je suis sortie du déni ou plutôt j’ai accédé à ma mémoire traumatique par une succession d’évènements très douloureux et successifs.
En 2002, j’ai commencé à travailler, à gagner ma vie et je venais de rencontrer un homme vraiment plaisant. J’étais remplie d’espoir quand mon frère s’est suicidé, devant mon père avec un fusil; il avait deux fils et venait de se marier. Avant de mourir, il a demandé à ce que sa mère ne voit plus ses enfants. Un an après en 2003, je suis enceinte. Joie. Mon compagnon se met alors à me frapper et pendant deux ans, je subi en silence la violence conjugale avant de le quitter en 2005, extenuée, avec notre enfant de 15 mois. En mai 2007, deux mois avant le décès de mon père, gravement malade pendant deux ans, la mémoire traumatique « oubliée » revient en bloc, par flashs back, extrêmement douloureux. En juillet 2007, mon père décède. En septembre, j’ai un premier rendez –vous avec une psychologue sexologue qui m’explique, pas à pas, mes états. Je re-traverse l’enfer de l’inceste. Au début, je ne sais pas comment survivre à ce cataclysme dans ma vie. Les flash-back du viol de mon père sur l’enfant que j’étais m’envahissent littéralement. J’en parle immédiatement dans un groupe de parole dont je fais partie depuis un an. Je comprends enfin pourquoi je n’arrive pas à aimer, pourquoi je me sens sur mes gardes face aux autres, pourquoi je recherche des relations sexuelles avec des partenaires en couple, non disponibles, pourquoi je n’arrive pas à prendre soin de moi. Je cherche partout de l’amour, de la reconnaissance et de l’aide. Mais je ne cherche pas aux bons endroits et je confonds sexe et tendresse. Physiquement, je guéris. Mais au niveau du psychisme, c’est le chaos. Je recommence à mettre de l’ordre. Je sais enfin ce qui ne va pas et plus rien ne va. Pourtant, je vois les pièces d’un puzzle qui se rassemblent. La guérison commence.
En 2008, je perds mon emploi. Aujourd’hui, je vis seule avec mon fils, sans ressources depuis trois ans mais en VIE. Je suis en thérapie avec un psychiatre compétent. Je fais partie d’un groupe de parole depuis quelques années, un lien important pour moi. Je commence à réaliser à quoi j’ai survécu. Je dois faire face à mon état, à la mémoire traumatique, à la dureté de la vie, à l’éducation d’un enfant magnifique, mon fils. Vraiment, je voudrais du soutien. Ma mère déni l’inceste, elle ne dit rien, ne me demande jamais rien, me donne de l’argent. Ça s’est passé devant elle. En 2008, je l’ai mise devant les faits, je lui ai fait savoir que je savais. Elle est partie sur le champ en laissant tous ses bagages chez moi pendant des mois. J’ai fini par presque tout jeter. Je la soupçonne fortement d’avoir touché à ses petits enfants dont mon fils qu’elle a très souvent gardé. J’ai pris rendez-vous avec un pédopsychiatre afin qu’il soit suivi sur un long terme. Depuis quelques mois, après un an et demi sans nouvelles, elle refait surface, toujours dans le déni, comme si de rien n’était.
Je ne peux pas me laisser aller. J’apprends à mettre de côté l’inceste pour vivre et à m’en occuper le temps voulu, quand je suis disponible pour y réfléchir. Je n’y arrive pas toujours. Je vais mieux, un peu mieux de jour en jour. Les problèmes sont nombreux et les solutions multiples. Je veux guérir de l’inceste, être en parfaite santé et apprécier la vie afin d’apporter ma contribution à la guérison physique, émotionnelle, morale et spirituelle d’enfants et d’adultes, être bienveillante. Je suis résolument pour la bientraitance. Je suis debout, j’ai la santé, j’ai beaucoup à apprendre de la vie, j’ai confiance en moi, en mes capacités. Je me rappelle qui je suis chaque jour, une être humaine bien portante, bien aimée et bien traitante.
Un grand MERCI pour le site, merci pour les avancées au niveau de la Loi, l’inscription de l’inceste dans le Code Pénal et le rallongement de la durée de la prescription. L’inceste est un crime contre l’humanité, imprescritible.
Quel basculement si brutal dans l'horreur comme si, en quelques secondes, la vie se continuait dans un monde parallèle après cette période de l'enfance où la spontanéité et l'innocence ne se tournent que vers le soleil et l'amour pur.
Et la logique d'amour familiale soudainement mise en branle : des témoins traumatisés abandonnés sous l'emprise du choc de la scène, qui eux mêmes donc, ne savent plus gérer le sain et le malsain, ne savent plus ou ne peuvent plus se différencier, car il n'y a plus de repères.
Le déni ou l'amnésie est à la fois notre ami et notre ennemi, (ne pas réaliser le mal, la vie en marge de la normalité etc...) mais tout dépend des épreuves que nous traversons et des relations que nous devons "entretenir".
Mais lorsque les émotions ultérieures rejoignent en intensité les émotions déjà ressenties elles remettent en surface celles que nous refusions de ressentir dans notre propre passé, celles pour lesquelles nous avions éprouvé un blocage non dépassé alors : parce que, enfin, la maîtrise et la compréhension des faits permet d'y revenir. Une libération douloureuse, un abcès énorme qui n'en finit pas de suppurer bien qu'après avoir été crevé : vivre dans le déni ou l'amnésie c'est confortable mais on réalise des années après le retour à la mémoire que la vie n'a pas été vécue en profondeur car vivre en profondeur c'est éprouver tout ce qu'il y a en soi, prendre ses responsabilités et acculer les autres devant les leurs.
Vous êtes beaucoup plus jeune que moi au moment où vous retrouvez la mémoire et donc, même si actuellement c'est vraiment très très dur, vous avez une chance formidable que cela se réalise maintenant et d'être bien entourée.
Il vous faudra beaucoup de temps pour bien tout analyser.
Ce triste fonctionnement familial que vous décrivez, en vous en détachant si bien par votre courage et votre bon sens, ne s'est pas enclenché du jour au lendemain : il faut savoir remonter le cours de chaque vécu individuel pour comprendre ainsi la chaîne du malsain déchaîné, reporté, continué, en milieu familial non soigné, non aidé
La personne qui réagit et refuse le malsain, elle permet à la chaîne de se rompre, et tout naturellement elle n'attire alors plus que les relations saines d'où toute épreuve de maltraitance est à jamais bannie.Car les règlements de compte malheureusement il faut les faire en soi pour ne pas se retrouver dans des situations "bancalisées" par besoin inconscient de les reproduire pour être compris.
De tout coeur, bonne chance !
merci pour ton témoignage bouleversant et plein d'espoir. Moi aussi j'ai trouvé sur ce site et chez les autres victimes de vrais soutiens.
Bonne route à toi