Mon drame
Mon histoire, mon drame, je vais le raconter pour rendre un début de justice à l'enfant triste et blessée que j'ai été.
Depuis l'âge de 23 ans, je suis en thérapie. Aujourd’hui, j’ai 34 ans. Je suis malentendante, diagnostiquée à l’âge de 9 ans. À partir de 3 ans, j’ai navigué entre les CMP et les ORL. Motif : petite fille qui tarde à parler.
Depuis toujours, j'ai le souvenir d'être sur les genoux de ce grand oncle et d'être stimulée au niveau du clitoris, nous sommes autour d'une table ronde, d'autres personnes sont présentes, c'est un repas de famille... J’ai 2/3 ans. Cet homme a une femme qui est ma nourrice.
A 21 ans, je regarde une émission dont le sujet est l'inceste et je réalise que j'en ai été victime. J'en parle à ma mère qui culpabilise, est dans la plainte, "après tout ce que j'ai fait pour eux..." J'évoque un souvenir d'une chambre avec ses détails, ma mère me confirme que c'est la chambre de cette nourrice et ce grand oncle qui vivaient dans le même bâtiment.
Vers l'âge de 28 ans, j'en parle à mon père qui réagit par un "ah bon ?" et silence...
A l’âge de 23 ans, je vis chez mes parents, mon père m’annonce qu’un vieil ami à lui (un vieux monsieur) que je connais peu, se propose de m’acheter une voiture neuve car ma voiture ne fonctionne plus et lui ne veut pas laisser son argent à l’état. Bien que je trouve la situation louche, je décide de faire confiance à mon père. La voiture acquise, je me sens obligée de rendre visite à cet homme qui me fait la bise près de la bouche, met sa main sur ma cuisse. Ne le supportant plus, je cesse les visites, ma mère me culpabilise, je tiens bon !
Le temps passe, mes relations sexuelles sont ponctuées de mycoses, de sècheresse et d'irritations vaginales. Je suis d’origine portugaise, je suis attirée par les hommes noirs, pas les blancs. Je suis sujette à une respiration angoissée, ma thérapeute me propose du massage et de la relaxation qui me détend et me fait beaucoup de bien. Je prends conscience de mon corps, des sensations, de ma respiration. Elle me suggère la lecture d'Alice Miller, que je lis avec avidité.
A l'âge de 31 ans, je découvre la thérapie par l'enfant intérieur. Je me reconnecte petit à petit à mes émotions dont je m'étais coupé et prends plus au sérieux mes sensations. Un soir alors que je suis sur le point de m'endormir, je suis dans mon lit, allongée sur le côté, je sens mon corps comprimé, comme si quelqu'un me bloquait le bras puis je sens mon bras se plier et faire des mouvements de va et vient, je suis terrorisée. Je m'oblige à me réveiller pour me sortir de là. J'ai éprouvé beaucoup de difficultés pour me rendormir. Je suis terrassée par ce que je viens de vivre. Cette thérapie, entre autres outils, propose l'écriture avec la main non directrice. Là, ma petite L. me dévoile par bribes que mon oncle, frère de ma mère, adolescent, qui vivait chez nous me mettait son sexe dans ma bouche, dans mes fesses, voire des objets dans mes fesses. Que le fils de la nourrice faisait pareil. Ils étaient parfois de mèche tous les deux. Il est déjà arrivé qu'il y ait d'autres personnes, participant à cette violence inouïe. Comme si ça n'était pas suffisant, j'étais frappée.
Alors c'est ça ? Ces douleurs anales, ces hémorroïdes, ces furoncles au niveau de l'anus, ces abcès sur les fesses? Alors c'est ça les cicatrices que je porte sur mon visage et sur mon corps ? Mon petit frère, qui a 23 mois de moins que moi, était présent lors de ces violences. Il en a même subi. Dans ma petite tête d'enfant, je me devais de le protéger mais je n'ai pas pu, tout comme je n'ai pas pu me protéger moi-même. A l'adolescence, il abuse sexuellement notre petite sœur qui a 8 ans de moins que lui. Cela je l'apprendrais de lui lors d'une crise de schizophrénie qu'il a développée depuis ses 20 ans, il en a 32. Je ne peux penser à lui sans avoir les larmes qui montent aux yeux et l'angoisse qui me tient.
Ma mère est atteinte de bipolarité non diagnostiquée. Mon père est alcoolique et pervers narcissique ayant humilié ma mère devant nous et nous ayant maltraités psychologiquement au quotidien durant notre enfance. Je cherche à me défaire de leur emprise si néfaste sur moi. Ils me collent tels des glues. Sont toujours inquiets alors que le pire est déjà arrivé. Mais de quoi sont-ils inquiets ? Que je découvre autre chose ? Que la vérité éclate ?
Lorsque toutes ces sensations sont apparues, ces écritures, j'en parle à ma petite sœur de 10 ans ma cadette. Quelques mois plus tard, je coupe les ponts avec mes parents car je ne supporte plus d'être en contact avec eux. Je ne donne pas de nouvelles. N'y tenant plus, ma sœur dévoile le secret à mes parents. Pendant cette trêve, je recontacte ma petite L triste, blessée, en très grande détresse, en colère. Mes parents cherchent à me rencontrer. Je les rencontre, je leur dis ma vérité et leur dis de me laisser vivre ma colère que je ressens envers les parents qu'ils ont été. Ma mère ne semble pas comprendre, voudrait que je règle le plus rapidement possible le problème. Elle me contacte régulièrement. Mon père voudrait que je porte plainte, cela prend du temps, rien que pour assimiler l'émotion vécue. Il souhaite que je leur donne des nouvelles. Je lui concède une fois par mois.
Cela me pèse car je me sens relié à eux et c'est comme si je faisais semblant, je me dissociais. Je vis ma colère de petite fille mais la petite fille adaptée les préserve. Je me sens tiraillée entre les deux parties. Je n'y arrive plus, je me dois d'être honnête avec moi-même, avec cette petite fille qui n'a pas été protégée de toutes ses souffrances vécues et qui la paralysent. Je coupe contacte avec mes parents.
Mes relations sexuelles s’améliorent, plus de sécheresses vaginales, plus de douleur à la pénétration, parfois des mycoses, des irritations mais moindres. Mes relations amoureuses, j’en ai très peu, elles ne durent pas longtemps. Je rentre en transe facilement, je projette sur mon partenaire des comportements qui appartiennent à d’autres personnes, des personnes du passé, mes agresseurs, pour me protéger, je fuis. J’ai peur de débuter une nouvelle relation. Au travail, avec mes amis, en groupe, ma parole est comme bloquée, je doute de tout ce que je dis et fais, je peine à me souvenir de situations récentes. Lorsque je dois prendre la parole, c’est la panique à bord, la petite en moi a peur qu’on ne la croit pas, qu’on lui dise que ce qu’elle dit est faux, qu’on ne prenne pas en compte sa parole. Le sentiment de honte me poursuit en permanence, s’immisce partout où il peut, même si ce n’est pas à moi que ce sentiment devrait coller à la peau ! J’ai souvent peur, je suis parfois terrorisée, un profond dégoût me traverse par moments, une colère qui peut monter jusqu’à ce que la haine m’habite.
Si j’écris aujourd’hui, c’est pour rendre public, légitimer ce que j’ai vécu enfant, libérer ma parole. Dire, nommer ces crimes, ne plus me taire pour enfin guérir, me réparer, vivre le présent pleinement, exister. Mais aussi reconnaitre mon statut de victime, dénoncer et condamner !
Tout ce qu’il m’est arrivé n’est pas acceptable !
Demain, je m’engage à participer à un groupe de parole. Je suis à la fois très stressée mais aussi très enthousiaste à l’idée de dévoiler, de mettre des mots, de dire ce qu’il m’est arrivée. L’étape suivante sera de porter plainte.
Merci à vous Face à l'inceste de m’avoir permis de m’exprimer à l’écrit et Merci à vous lecteurs de me lire.
Bonjour chère L.,
merci et bravo pour ton témoignage qui me touche particulièrement. J’y retrouve des points communs avec ce que j’ai traversé, au-delà de l’inceste. Le sentiment de culpabilité, de honte, la peur que les gens ne croient pas ce que tu dis quand tu voudrais parler et que c’est très compliqué pour toi.
Je te comprends. Je suis passée par là et j’ai évolué après avoir, moi aussi, coupé les ponts avec mes parents – et ma famille maternelle. J’ai fait le tri depuis et je sais à quoi m’en tenir avec chacun.
J’ai respecté mon besoin de me reconstruire et depuis 2 ans, je me construis et j'ouvre mes ailes ! Quelle joie ! J’ai aussi fait une thérapie psychocorporelle, et je me suis réconciliée avec moi-même, dans toutes mes dimensions.
Bravo pour ta démarche de libérer ta parole en groupe. Je te souhaite de te réaliser pleinement dans cette vie qui a beaucoup de trésors à offrir. Continue comme ça.