Je me suis privée de beaucoup de beaux sentiments pendant des années - d’amour, d’attachement - comme si je n’en étais pas digne ou que j’allais les voir disparaître aussitôt qu’ils seraient arrivés.
Alors, par peur, je me suis créé une bulle ; mon château d’acier où personne ne pouvait rentrer. Au fur et à mesure du temps et des rencontres, ce château a commencé à laisser entrer du monde, puis se refermait de temps à autre quand il était frappé en plein cœur. Cela fait quelques semaines que le cœur du château a décidé de se réouvrir, mais pas seulement à quelques élus, à toute une flopée de personnes. C’est ce que j’ai ressenti avec mon témoignage public suite au #metooinceste. C’est important pour moi de dire que je ne sais pas si je suis heureuse de l’avoir fait, je suis reconnaissante. Reconnaissante avec moi-même, car j'ai l'impression d'avoir participé à mettre en lumière ce qu’il se passe dans l’ombre. J’ai été exténuée par tous les messages de soutien, d’amour, de bienveillance que je continue de recevoir. Exténuée, car le cœur du château était tellement sous cloche que plus rien d’extérieur ne lui arrivait depuis bien longtemps. C’est comme si en quelques semaines, j’avais reçu toute la chaleur dont je m’étais privée depuis l’enfance. J’avais donné, pendant tout ce temps, raison au mal, alors que l’on mérite le bien, surtout après ce que l’on a vécu. J’ai décidé d’apporter mon témoignage aujourd’hui pour compléter celui d’il y a plus de 2 ans.
Des choses, il s’en est passé, des larmes, il en a coulé. S’en sortir et être heureux.se est un long chemin et je le suivrai toute ma vie. J’espère seulement qu’il sera de plus en plus doux. La dernière fois que je parlais ici, je commençais à peine mes séances de psychothérapie, j’étais très en colère contre mon frère - mon agresseur - et ma famille ne savait pas. Depuis, une pandémie mondiale a frappé à notre porte réduisant beaucoup de personnes à l’ennui, voire au mal-être, mais aidant beaucoup d’autres à entrer en introspection.
C’est un beau jour de mai 2020 qu’une idée a germé dans mon esprit. Mes parents ayant invité mon frère et sa future femme à manger, je me préparais mentalement (et physiquement) à aller chez une amie pour les éviter, l’air de rien, comme je le faisais beaucoup. Sous la douche « Pourquoi pas aujourd’hui » est venu me frapper de plein fouet et je savais que plus aucun autre jour ne ressemblerait aux anciens désormais. Le déclic était là : ce n’était plus possible pour moi de fuir, de passer pour l’ingrate qui fuit la famille. Si je la fuyais, c’est parce qu’il y avait une raison. J’ai tout annoncé à mes parents, dans une lettre écrite, ce jour-là. J’ai ensuite été confrontée à nos pleurs, à leurs excuses. Puis j’ai affronté en famille mon frère, il n’a pas nié. Mes parents ont mis longtemps à réaliser, et je ne suis pas sûre qu’ils réalisent encore totalement, que notre famille est « brisée » à jamais, dissoute. Du moins, elle n’est pas parfaite comme tout le monde l’idéalise. La famille parfaite n’est qu’un concept. L’inceste nous coupe du reste du monde. Il est injuste parce que si l’on veut en refaire partie, c’est à nous de nous aider nous-mêmes. On doit se guérir d’une chose que l’on n’a pas choisie. Absurde et injuste non ? Mais pourtant véridique. Je sais que c’est dur, mais ce témoignage est aussi une ode à la vie. La vie a ses côtés obscurs et difficiles, mais elle a aussi ses côtés lumineux et joyeux. Peut-être que notre vécu, notre histoire peut nous aider à être conscient.e de cela et avoir la hargne de vivre notre vie pleinement, de prendre notre revanche.
Chaque survivant.e est différent, le chemin que l’on mène est différent : parlez de votre inceste, n’en parlez pas, rendez le public ou non, faites ce qui vous semble le meilleur pour vous. Les caps à passer arrivent au moment où ils doivent arriver : s’il est trop tôt, il est trop tôt et ce n’est pas grave. Personne ne guérit de la même manière. Pour ma part, la parole s’est révélée libératrice. Ma relation à la famille a changé drastiquement, et en bien. Je ne pensais pas que ce serait possible, mais je me découvre de plus en plus en adéquation avec qui je suis et donc avec les autres. Le révéler à ma famille proche a été un cap, le fait de le dire publiquement et en informer la terre entière et donc la famille plus éloignée en a été un autre. Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, je suis de plus en plus en accord avec moi-même et que me taire toutes ces années a eu la même conséquence que me mentir à moi et aux autres.
Faites ce qui vous semble juste et ne perdez jamais espoir. Je vous envoie beaucoup d’amour.