Regard d'acier

Témoignage Publié le 10.02.2014

altTon regard d'acierTon regard me faisait peur et m’attirait en même temps. C’était comme de l’hypnose.

Ton regard n’était pas méchant, il disait souvent « tout va bien se passer », et je voulais rester dans ton regard, pour ne pas voir le reste. Tes mains étaient sales, laides, grosses, c’était des mains d’homme, elles ressemblaient à n’importe quelles mains d’hommes. Tes mains ressemblaient à Ton regard : Avide d’enfants. Elles allaient vite, rapides et intouchables. Elles me touchaient mais ne pouvaient pas être touchées. Ton regard me faisait devenir petit garçon, si je l’étais moins, il me le faisait redevenir. Je redevenais petit, tout petit, hors de moi-même. En fait il ne me regardait pas, je me souviens mieux de ton regard quand il ne me regardait pas. Je veux dire, quand il ne me regardait pas dans les yeux. Ton regard n’était pas noir, il était brillant, clair et limpide, il disait « je te veux ». Dans ton regard, il y avait des flammes, des éclairs très violents, un orage dans ton regard. Je ne sais pas pourquoi, je ne bougeais plus, ton regard me piquait, me piquait partout, ton regard me brûlait et m’enrobait. Je l’affrontais, rentrais dedans. Il ne me voyait pas, pourtant il était là, ton regard me suivait, me collait, ton regard se frottait à moi, ton regard était entré en moi. Je ne pouvais plus me protéger, une voix me disait « fuis le, ne le regarde pas ! ». Mais je le regardais, le cherchais des yeux. Ton regard qui blessait, qui poissait sur moi, qui ne voulait pas sortir de moi. Je voulais entrer dedans quand même. Je voulais rester dedans. Avec le regard revient ton toucher, ta voix, tes dents qui se serraient. Tes ongles. Ils faisaient une longue ligne sur moi, ça faisait mal, sans trace. Peu à peu, je ne ressentirais plus rien. Le vent de ton regard soufflait sur ma perdition, les bruits sur ma peau, les tapes en bas de mes reins, les caresses de ta main dans ma chevelure une fois fini, je ne sentais plus. J’étais devenu un spectre. La seule chose qui me maintenait en vie, c’est ça, c’est lui ton regard, il me rappelait que j’existais encore. Je ressentais ça, avec ou sans douleur, avec ou sans dégoût, avec ou sans force. Je ne ressentais que ça, j’étais vivant pour ça, je vivais pour ça. Je suis petit, je pense que je deviens ça, je me laissais avaler par ta bouche, je me laissais manger par petits bouts. J’aimais ton regard pour ne pas avoir peur, je te satisfaisais pour rester vivant, je vivais dans ton regard. Je me disais « qu’il me regarde comme ça au moins il me regarde ».

Ton regard d’acier, je ne l’ai jamais oublié, c’est ton regard qui m’a violé en premier. Il y avait ton regard, et puis ta voix, tes cris, tes gémissements et tes chuchotements et tes murmures sonores. Et puis ma voix à moi, la voix de mon cœur qui battait, qui gémissait, qui se taisait. Je l’entendais même si il se taisait. J’étais le seul qui l’entendait puisque toi tu ne l’entendais pas, minuscule cœur de petit garçon. Et puis ton visage qui bougeait, qui me donnait le tournis, je tombais sur ce visage qui se mettait à bouger, qui se défigeait, je perdais l’équilibre Tu avançais et il n’y avait pas de fin à ce visage plus grand que moi. Ton visage devenait le monde et je ne me levais plus, je n’avançais plus, j’avais trop peur de tomber. Tout ce que je recevais, c’était ta puissance, je devenais ce minuscule garçon INSAUVABLE. Et puis tes gestes. Tes mains, tes doigts, qui connaissaient par cœur le paysage, il n’était pas bien grand, ils y allaient à l’aveuglette, sans jamais se tromper de chemin. Mes mains serrant tes bras n’y changeront rien.Tes contacts, qui vibrent, qui électrocutent le corps qui se soulève se fend, le cœur qui se tait. La chaleur qui envahissait mon corps pas la même que la tienne mais tu l’aimais quand même. Tes mots sans les dire, «Tu veux? », silence « Moi aussi ». « Alors tu veux ? » Ton regard m’a demandé, j’ai réfléchis, j’ai choisi, j’avais décidé. « Je veux », mon regard te répondais, « JE VEUX », c’est moi qui voulais, qui demandai, je suis acteur, je suis sale maintenant. Je devenais exactement comme toi. Je me souviens que lorsque tu avais eu tous ce que tu voulais, ton regard proposait de me le retourner, mon regard disait « Oui ». Tu m’écrasais et tu m’as toujours écrasé, TU M’ECRASAIS. Ça je ne l’ai jamais oublié, JAMAIS. Je n’ai pas mal, je n’ai pas peur, je n’ai pas de dégoût et de colère. J’ai de l’écrasement, contre mon corps entier, je ne leur dirais pas comme tu étais puissant sur moi, comme tu me surplombais et comme ton regard d’acier anéanti mon monde d’enfant.

J’ai treize ans, je basculerai dans un monde de débauche. Je n’écoute plus personne, je n’entends pas ma voix du cœur me disant « attention tu vas te détruire ». Je ne supporte plus qu’on m’aime, alors je prends ce chemin et me détruit. Parmi les gays qui dansent et fument dans les fêtes, certains aiment les petits jeunes, j’en attire plusieurs à moi, je ne laisse pas la peur s’installer, je prends les devants, je décide, je ne subirai rien, cette fois, même pas un regard, je ne fuirai pas des yeux, je ne baisserai pas la tête. Je ne me sentirai plus abusé, violé, j’éviterai la peur et la douleur. Pas en fuyant. Au contraire, en laissant la place aux abuseurs, en les invitant à entrer. Ils faisaient boire le jeune garçon, fumer des joints, il avait l’ivresse, le brouillard dans les yeux, les courants d’air dans la tête, ils se débrouillaient tous pour être à côté de lui, quand il s’effondrait, les yeux vitreux, défoncé par l’alcool et la drogue. Quand il n’était pas trop défoncé, le jeune garçon vendra son corps, ils l’emmenaient dans une chambre pour être tranquille, il n’a pas envie, ne dit rien, les mains défonçaient toutes les barrières de l’interdit, il voulait être loin, très loin, il se disait « pense à autre chose », le jeune garçon ne ressentait plus rien, vraiment plus rien du tout, il faisait c’est tout, Il ne se souvenait pas de la suite, JAMAIS, il savait qu’ils en profitaient c’est tout… pourquoi ne s’enfuyait-il pas ? Pourquoi accepter de salir son corps, accepter de le faire trembler ? Parce que lui, lui m’a détraqué, parce que lui mon père d’adoption l’a déstructuré, broyé, déchiqueté, avili, il se souvient que lorsqu’ils avaient eu tous ce qu’ils voulaient, ils lui proposaient de le lui retourner, il refusait, c’est bien la preuve qu’il n’aimait plus ça au fond… Je vais passer les détails, car les détails sont comme des piques qui s’abattent et s’enfoncent dans ma peau, je meurs de honte, j’ai mal comme jamais d’avoir fait tout ça.

Ce que vous lisez n’est pas juste de l’abus sexuel, ce n’est pas uniquement de l’agression, du viol, de la pédophilie. C’est une déconstruction psychologique de tout un être. C’est la négation d’une âme, de tout ce qui compose un humain, on le nie, on le renverse, on le tue. On le tue vraiment. Une perversion, une corruption noire et ravageuse, au plus profond du « moi ». C’est une chose si terrible que je ne crois pas qu’elle a de nom. C’est l’emprise totale, absolue, sans limite, la dépossession complète d’un enfant par un homme, de ces hommes jamais rassasiés. Oui ton regard d’acier m’a fait faire devenir tout ça PAPA. Ça fait combien de temps que je n’ai pas dit ce mot. Ce mot me fait penser à Willy Wonka parce que Willy Wonka ne savait pas le dire, ça reste coincé dans la gorge. Ça t’arrangerait qu’ils disent que t’étais un fou, un détraqué, non tu ne l’étais pas, tu avais seulement ce regard d’acier, perçant mes vêtements, ces yeux comme deux pointes acérées, des yeux comme des mains. Ça t’arrangerait qu’ils pensent ça, tu sais ce que tu as fait est GRAVE, tu m’as fait du mal, tu m’as fait plein de mal, trop de mal et tu t’en es tiré alors que moi, je dois vivre avec ça.

Nous en parlons
V
valeriecorre
Publié le 12.02.2014
Inscrit il y a 11 ans / Nouveau / Membre

Beau texte ! Vos mots sont profonds, précis, vifs, sensibles. La plupart des victimes de l'inceste se retrouve dans votre témoignage. [pas de publicité svp] Grâce à l'amour de mon conjoint et de mes enfants, grâce à l'amitié, grâce à l'écoute, on peut se relever d'un tel traumatisme, cela prend du temps mais l'amour, le vrai, a raison de tout. Je vous souhaite des milliers de bonheurs. Courage !

M
Mary
Publié le 12.02.2014
Inscrit il y a 11 ans / Actif / Membre

Bonjour,

Votre récit m'a beaucoup touchée, particulièrement son titre.... Rien que de le voir apparaître à l'écran, j'en ai revue un autre de "regard d'acier" .... là où tout bascule, que l'humain ne se conduit plus en humain parce que rien ne le touche plus, qu'il a perdu toute notion d'amour et même de compassion !

Combien de fois ai-je écrit et prononcé ces mêmes mots : "regard d'acier" - regard qui tue - Le mur ! Là où tout est fini, là où l'enfant meurt !

Sachez qu'avec beaucoup de courage puis beaucoup de soutien et d'aide, il est possible de "se relever" puis de "se reconstruire". C'est ce que je vous souhaite de tout coeur !

V
valeriecorre
Publié le 11.02.2014
Inscrit il y a 11 ans / Nouveau / Membre

Très beau texte...........! qui laisse sans voix... tout est là, tout est dit... Fort de vérité. [pas de publicité svp] En fait, la lumière faite sur ce témoignage écrasant montre à quel point l'enfant est "pur"...