Nous n’avons pas eu la chance de naître orphelins. Ce qui suit fait suite à un courrier adressé par mon géniteur à ma sœur ainée, la seule qui ait en mémoire les violences sexuelles de l’incestueux qui nous nourrissait. Dans ce courrier, il se dédouane, se déculpabilise et se défausse avec la lâcheté dont il aura fait preuve d’un bout à l’autre de son existence de pervers pédocriminel en écrivant à ma sœur aînée : « heureusement tu m’as empêché de commettre l’irréparable » ! Ordure. Immonde ordure. Si notre vie n’était pas, à la suite de son comportement déviant, un véritable cauchemar éveillé ce serait presque risible.
Ce qu’il salue-là, l’irréparable dont il parle, le viol avec pénétration dans le vagin dont elle aurait définitivement porté la trace, il ne l’a peut-être pas commis sur elle et si aujourd’hui il remercie ma sœur aînée c’est que grâce à cela il n’a pas risqué la prison, surtout en ne prenant pas le risque de l’engrosser à l’époque, ce qui aurait été une preuve indiscutable de sa dégueulasserie. Et surtout rien n’était visible si toutefois la scolarité nous mettait en présence de pointilleux. Malheureusement, nous n’en avons pas croisé – de pointilleux…
L’irréparable a déjà été commis dans la mesure où quand bien même il n’y aurait pas eu pénétration, et ça c’est ce qu’il dit (peut-être vrai pour notre aînée ( ?), moins évident pour la plus jeune qui a été hospitalisée à plusieurs reprises – bébé, pour des hémorragies de l’anus et du rectum, pour ce qui me concerne je trimballe un herpès à répétition dans le fond de la gorge – qualifié d’angine dans mon enfance et qui est contemporain au début de cette tragédie…) les traumatismes liés à l’inceste sont là, installés dans notre vie et ne se mesurent pas au fait qu’il y ait eu ou non pénétration. Comme il le reconnaît lui-même il n’a pas le moindre courage face à ses monstruosités - puisqu’il n’a pas « pu » en parler et surtout pas le courage de réparer, il n’est pas capable de reconnaître, face à son épouse, ses aventures avec des femmes adultes, il ne prendra pas non plus le risque de reconnaître les violences sexuelles faites à des enfants avec la circonstance aggravante que ce sont les siennes - lesquelles pour tenter de survivre ont vécu, pour les deux plus jeunes, dans le déni ou l'amnésie traumatique. On en est loin.
Sa lettre à ma sœur aînée m’a donné envie de hurler ma haine tellement j’ai senti qu’il s’en fout et tellement il se sent à l’abri de toutes représailles judiciaires, tellement j’ai l’impression qu’il se rachète à bon compte une bonne conscience... Les faits sont prescrits. Son entourage local ignore les faits. Sa femme continue de le bichonner comme elle l’a toujours fait. Ses petits-enfants – mes enfants continuent de passer voir leurs grands-parents…
C’est du passé, il faut passer à autre chose, il faut pardonner, pourquoi parler maintenant, ça sert à quoi de remuer toute cette merde, il est vieux, c’est plus pareil, c’est pas bien grave, il vous a toujours nourri, il ne vous a pas battu comme plâtre, y’a pas mort d’homme, j’ai entendu de tout. Y’a pas eu mort d’homme – mais il a assassiné avec la complicité muette et tacite de l’entourage, trois petites mignonnes qui, terrorisées par leur « père », avaient à l’adolescence un rêve unique pour elles trois : lui subtiliser son fusil de chasse – avec lequel nous avions peur d’être tuées sans qu’il ait jamais eu besoin de nous en menacer – et le tuer. Fantasme d’enfant (!) : celui-ci est bien le seul que je tolère qu’il me soit opposé.
Oui j’ai (nous) avons rêvé de nous en libérer en fantasmant sur sa mort. Puis la nôtre, notre mort est apparue plus simple et finalement moins terrifiante à mettre en œuvre.
Notre quotidien à nous, petites filles torturées, est depuis toujours jalonné de comportements destructeurs typiques des survivants de l’inceste : échec scolaire, fugue, TS, anorexie, boulimie, conduites à risque, addictions et maladies à répétition et en tout genre, dépression, absence de confiance en soi, impossibilité de faire confiance aux autres, peur d’avoir des enfants et de reproduire le comportement immonde qui nous a été imposé, troubles du sommeil, énurésie…
Et bien sûr, personne, même pas une mère pour nous protéger.
Parlons-en de ma mère.
Et puis non n’en parlons pas. J’en ai autant pour elle, qui a préféré fermer les yeux en connaissance de cause (responsable mais pas coupable), sous couvert d’être liée à lui par la simple existence d’enfants qu’elle n’a pas désirés.
Le manque de courage, l’amour qu’elle porte à son mari, l'absence de revenus et la peur du qu'en-dira-t-on ont fait le reste.
Je n’ai plus de parents. N’avoir pas pu leur gueuler ma haine en pleine face me contrarie (c'est un euphémisme), mais je n’ai pas encore tout dit. Et finalement les avoir enfin rayés de mes obligations me fait me sentir un peu mieux.
Aujourd’hui je ne peux pas changer de nom, mais je suis enfin orpheline de mes parents vivants.
Patricia
Bonjour j'ai bientôt 50 ans. La mémoire m'est revenue et mes soupçons ont été confirmé l'été 2008 par ma soeur aînée - première malheureuse petite victime dès ses huit ans. La petite soeur, celle dont je décris les saignements a 6 ans de moins que l'ainée. et moi je suis entre les deux. Suis aussi celle qui à ouvert sa bouche - cette fois-ci pour, qu'a défaut de réglement judiciaire, plus personne dans cette famille puisse désormais dire "je ne savais pas".
Isabelle je ne vous remercierai jamais assez pour votre livre, votre site, votre combat. Je viendrai vous voir
Bien affectueusement,
Patricia
merci de ce cri du coeur, ce cri que les bourreaux ne veulent entendre
ces "mais à quoi bon, c'est du passé ! ", je ne les tolère pas non plus
quant à la perte de mes parents vivants, voici un paradoxe auquel je tente de m'acclimater, moi aussi depuis quelques mois.
Et le nom de mon mari, je le porte avec plaisir depuis 13 ans ; je n'ai compris que très récemment pourquoi, pourquoi je ne supportais pas le mien, ce nom de bourreau et d'autistes.
merci, Patricia
bonne route !