Je viens de lire un témoignage et ça me donne le courage d'envoyer le mien. Tous ces témoignages me font du bien, parce qu'ils me confortent dans ma réalité. Je me reconnais dans ces vies brisées et alors, je sais qu'il y a une raison à ça.
Jusqu'à il y a 5 ans, je n'avais aucun souvenir de mon enfance. C'était un grand trou noir. Mais j'avais toujours pensé que c'était normal. J'avais toujours pensé que tout était normal, même si, parfois je me posais des questions, je sentais obscurément qu'il s'était passé quelque chose dans mon enfance. Il y a environ 13 ans, ma soeur ainé un jour m'a demandé si je me rappelais d'un homme qui nous aurait violé petites. J'ai dit non. Et je n'ai pas cherché à approfondir. Il y a 8 ans, j'ai commencé une psychothérapie avec un psychiatre.
Transfert mal maitrisé de son côté etc...On a eu une relation sexuelle. J'étais démolie par cette histoire car évidemment, lui n'était pas du tout impliqué dans cette relation. Moi je l'aimais ou je croyais l'aimer. La thérapie s'est arrêtée, la relation sexuelle aussi et j'ai continué tant bien que mal a vie avec une preuve de plus à apporter à ma haine générale contre les hommes.
Quatre ans plus tard, pour protéger une amie à moi que je considérais comme une soeur, j'ai repris une thérapie avec un autre psychiatre. Il fallait que je sois vraiment motivée pour continuer car je haissais les hommes et je haissais les psychiatres qui avaient abusé de ma confiance. Mais à l'intérieur de moi, je devais sentir que c'était nécessaire. Et là, peu à peu, sur une période de 9 mois, des premiers souvenir sont revenus, d'attouchements sexuels de mon grand-père , le père de mon père. Je sais que j'avais moins de quatre ans, parce que il est mort lorsque j'avais quatre ans.
C'était atrocement douloureux ces souvenirs qui remontaient parce que je revivais les choses, évidemment, tout rescapé de l'inceste sait ça.
Quand j'ai eu quelques certitudes, j'en ai parlé à ma soeur. La première chose qu'elle m'a dite , c'est: " et tu n'as pas pensé que ça pouvait être papa?" elle m'a dit qu"elle n'avait pas non plus aucun souvenir de son enfance, qu'elle avait de graves problèmes sexuels avec son mari, et qu'elle voulait, à mon exemple, entreprendre une thérapie.
Ensuite, j'en ai parlé à mes parents. Et là, quel choc, mon père a défendu son père, en me disant qu'il avait été élevé par des pères blancs, que lui aussi avait peut-être subi ça etc.... Quelle immense claque! il défendait son père mort. Ma mère, elle, n'avait aucune compassion ou empathie pour sa fille. C'est comme si j'avais dit des mots qu'elle ne comprenait pas.
Le choc a été terrible, je me suis éloignée de mes parents et j'ai continué la thérapie. Et là, environ 6 ou 7 mois plus tard, dans la thérapie, ça tournait autour de mon père . Comme j'ai résisté contre cette idée; je ne voulais pas, car malgré qu'il ait toujours été très dur pour moi, et ma soeur, je l'adorais . Mais je ne pouvais pas nier davantage: les souvenirs sont remontés, j'ai revécu la terreur : mon père m'a forcé à faire une fellation. Une fois? Plusieurs fois? je ne sais toujours pas. J'essaie de remettre les morceaux de puzzle en place. Tout ce que je sais, c'est qu'à partir de 7 ans, dès que j'ai pu écrire , j'ai commencé à écrire des poêmes suggestifs, mais qui n'ont éveillé les soupçons de personne, et surtout pas ma mère. Est-ce que l'écriture m'a protégée ou pas? je ne sais pas.
Dans la thérapie, j'ai revécu la terreur ,je suis tombée en dépression, Je n'ai pas eu bcp de chance, je travaillais seule avec un homme qui ne vivait pas bien le fait que je ne puisse pas lui dire pourquoi j'étais malade. Il m'a harcelée. J'ai fini par être licenciée. J'avais pris un avocat pour me défendre, mais la justice des hommes, une fois de plus , a donné raison au plus fort.
Ma soeur , voyant le chaos que je mettais dans la famille, a commencé à se rétracter. Un jour, j'ai eu comme une révélation d'hyper-lucidité et j'ai dit à ma soeur de protéger ses enfants, encore petits, de mon père. Elle m'a répondu que de toutes façons, elle ne les laissait pas seuls avec lui. quand je me suis sentie assez fort, j'ai envoyé une lettre à mes parents. je voulais dire ma vérité avant qu'il ne soit trop tard. Mon père a 84 ans et ma mère 77. ( heureusement, l'égoïsme conserve!!). Je n'ai pas eu de réponse à ma lettre. L'enfer a commencé: l'ostracisation de ma famille, progressive., la mise au rebut, l'ignorance, le bouc émissaire etc... Heureusement, j'ai toujours compté sur l'amitié et même si pour certains de mes amis, ( mère de famille en particulier, qui connaissaient mes parents etc...) cette évolution /révélation a été perturbante, ils m'aimaient assez pour ne pas me laisser tomber.
Le fait est que je vais mieux tout de même. C'est dur, mais eu moins, je n'ai plus l'impression d'être folle comme j'avais avant la thérapie. Il y a une raison à ma souffrance.
Quand je vais mieux, je voudrais oublier que je me suis construite sur l'inceste, car le fait est là: je me suis construite avec l'inceste, étant si petite. J'ai toujours haï la famille au plus haut point, je n'ai pas d'enfant, des relations avec les hommes toujours vaines . Je n'arrive pas à m'attacher, je suis écorchée vive. j'ai appris à vivre seule.
La société fait tout pour que la victime se taise. Pour que ce soit elle la sacrifiée et ainsi conserver le statu quo. Les gens ne veulent pas savoir sur l'inceste. Ils sont lâches.
Quand tout va mal, je divise l'humanité en deux catégories: les mauvais comme mon père et les lâches comme ma mère. Mais je sais que ce n'est pas vrai, en tout cas pas tout le temps.
Je vis don, plus ou moins bien, avec des crises plus ou moins douloureuses. j'ai toujours refusé les anti-dépresseurs, donc j'ai beaucoup souffert, je me suis blindée.
Récemment, j'ai vraiment fait une croix sur mon père et ma mère. j'avais revu ma mère quelque fois, mais elle est dans un déni brutal et violent pour moi ( genre : impossible; ça n'existe pas; et pourquoi je m'en souviendrais seulement maintenant? L'inceste, c'es t le fantasme des filles pour leur père,etc...) Donc, j'ai préféré conserver des relations superficielles pour être avertis un peu à l'avance s'ils sont malades ou autre. Et là, me mère, qui fait bloc avec mon père, me dit que mon père essaie de me contacter.
Cette nouvelle, spontanément, ranime l'amour immense que j'avais pour lui. Je comprend qu'il essaie certainement de me revoir avant son grand départ. Puis-je le lui refuser? Mais je sais aussi qu'il est incapable d'avouer ce qu'il a fait, de demander pardon, de se remettre en question. Et me voilà avec encore des crises.
Je ne sais pas aimer et détester en même temps. J'ai adoré mon père jusqu'à ce que la thérapie me fasse prendre conscience de ce qu'il m'a fait, et ensuite je me suis employée à le détester pour me détacher de lui. Son timing n'est pas le mien. Va-t-il encore falloir que je m'accorde à son timing? En face de lui, je serai toujours la petite fille sans défense et sans pouvoir.
Parfois, j'ai envie d'oublier mon passé ( comme je l'ai fait pendant 30 ans), de croire que ma souffrance ne vient pas de là, que je n'ai pas été ainsi modelée par l'inceste, dans ma vision du monde. Envie de me tourner vers l'avenir, mais mon passé ne me laisse pas en paix.
Témoignage femme : Quand cessera la souffrance?
Témoignage
Publié le 12.08.2008