Bonjour,
j'ai 48 ans et cela fait environ 14 ans que je fais une psychothérapie avec une psychiatre. Depuis toujours je savais que quelque chose ne tournait pas rond en moi mais lorsque j'ai entrepris cette démarche de guérison j'étais loin de penser avoir subi tant d'agressions et particulièrement de mes propres parents. J'ai d'abord passé pas mal de temps à évoquer la violence de mon père. Moi, son fils (h)ainé, le nul, le raté, le bon à rien, le fainéant comme il disait. Mon enfance m'apparait grise de tout en tout : souffrance, solitude, corvéable à merci, soumis à toutes sortes d'humiliations visant à me "briser".
J'en étais sorti avec la conviction que je n'avais aucune valeur, le sentiment intime d'être un "monstre". J'ai éclaté de sanglots lorsque l'Elephant man, dans le film, s'écrit "je ne suis pas un animal, je suis un être humain". Sauf que moi, j'enviais les caresses et les mots doux donnés aux animaux par mon père alors qu'on me réservait les gifles, insultes et autres coups de ceinture. En cours de thérapie j'ai vu remonter des souvenirs enfouis. Pendant un temps j'ai fait la paix avec mon père et j'ai travaillé sur ma relation avec ma mère - que j'idôlatrais alors, comme si je ne pouvais affronter, dans mon combat intérieur, les 2 parents à la fois.
Je me suis souvenu qu’étant petit un jour j’étais « mort » et que depuis ma vie n’avait plus aucune saveur. J’ai recherché l’origine de ce sentiment de mort et la fatigue qui n’a cessé de m’oppresser depuis. J’ai revu ma mère me faire une masturbation forçée, les yeux fixes, sourdes à toute ma détresse. Dans un premier temps j’ai associé à cette scène d’horreur (je ne sais pas quel âge j’avais mais sans doute très petit) le big-bang du déchirement de mon être. Ce big-bang pour moi c’est la perte de tout : l’innocence, la confiance, la sécurité... C’est surtout la perte de moi-même, l’impression d’être un étranger à moi-même. La haine - mélée de pitié - contre moi-même. Car j’ai toujours cru être responsable de tout ce qui m’arrivait, je croyais être « mauvais ». Avoir travaillé de longues années sur le problème avec ma mère m’a donné la force de rompre avec une relation fusionnelle et créer une relation beaucoup plus sereine, quoique extrêmement superficielle.
Fort de cette nouvelle assurance j’en suis revenu à travailler à ma relation avec mon père. Encore aujourd’hui il peut m’agresser verbalement, comme si que le temps n’avait pas passé, que je n’avais pas déjà fait mes preuves dans la vie, en tant qu’époux et père et aussi dans ma vie professionnelle, comme si que j’étais encore cet enfant qu’il faut mater (alors que j’étais doux et docile et jamais rebelle). Chaque nouvelle agression me fait replonger dans les angoisses anciennes bien que je me défende de lui donner ce pouvoir sur ma vie. Mais, comme je suis dans une démarche de guérison, chaque épreuve m’éveille un peu plus, au lieu de me détruire comme par le passé. Ainsi des images me sont revenues. Difficiles à comprendre car le jugement d’adulte que je suis a tendance à interférer sur les sentiments que j’avais pu éprouver en tant qu’enfant.
Je crois que mon père m’a violé mais je ne peux revoir l’acte par lui-même. C’est un peu comme si que, voyant une montagne noircie avec tous les arbres calcinés, on pouvait sûrement dire qu’il y a eu un incendie, même si personne n’en a été le témoin. Je me rappelle juste avant et juste après le viol. Mais pas pendant. Juste avant je suis un petit enfant de moins de 5 ans à qui son père demande de se déshabiller entièrement. Je me tortille joyeusement : la nudité c’est le jeu, le bain, la douceur. Puis je suis amené à caresser son sexe (le problème c’est que pour moi alors ce n’est pas un « sexe » comme l’entend un adulte ou un enfant averti, c’est juste une partie de mon père, pas de frayeur ou de recul, pas de conscience que c’est « mal »). Mais les intonations de mon père sont contrariées car les « calins » que je fais sont maladroits, je le caresse comme on caresse un petit chat. Alors il me dit de le sucer. Je me rappelle surtout les poils pubiens, les couleurs or et roux. Mais, là non plus, ça ne va pas du tout : j’étouffe et mon père est de plus en plus excédé. Je me souviens de ses doigts secs et nerveux passant sur mon corps, pas du tout caressants, et sa voix pleine d’impatience. Puis il me dit de me mettre à quatre pattes. Je réalise que ça ne va pas. Je ressens de la gêne. Alors que je croyais partager, en toute innocence, l’intimité de mon père (comme lorsque je prenais le bain avec ma mère) je me retouve en ligne de mire. La dernière image c’est mon père qui m’interdit de regarder en arrière. Ensuite ? Est-ce là que je dois raccrocher ma « mort » ? Je le crois maintenant, sans pouvoir en être certain. Tout ce que je sais c’est que « après » sa voix était plus douce, comme triste, et qu’il me dit d’aller me laver. Je me retrouve, seul, à la salle de bain et je me vois : un tout petit garçon avec un petit sexe, nu, seul, perdu, désemparé, qui a tout gâché car il n’a pas fait ce que son père lui demandait et qu’il l’a donc contrarié et qui a donc été châtié sévèremment.
Ces images je peux les évoquer maintenant sans tomber malade ce qui est un gros progrés. Je n’accepte plus maintenant les abaissements qu’ils viennent de l’extérieur (en général de ma famille d’origine) ou de moi-même. Pour guérir il faut savoir 2 choses : la première c’est que bien que l’on soit submergé par un sentiment de perte il faut s’attendre et accepter de perdre encore le peu qu’il nous reste. Ainsi sur mon chemin de guérison j’ai dû laisser des frères, sœurs, père et mère auxquels j’étais viscéralement attaché mais à un moment il faut choisir : continuer comme avant dans la confusion, à porter le péché des autres ou choisir sa liberté, dont le prix est décidément très lourd à payer. La deuxième chose c’est que seules les victimes souffrent. Les coupables se réfugient dans le déni ou l’oubli et s’arrangent à être entourés de gens dévoués leur servant de rempart. La mauvaise conscience, la culpabilité, la souffrance tel est le sort des victimes. Mais en même temps c’est de là que surgissent tous les sarments d’une nouvelle vie, équilibrée et porteuse de valeurs humaines dont le monde à besoin.
Les écrits de Boris Cyrulnik sont très vrais. Dans mon enfance grise j’ai eu quelques lumières qui m’ont sans aucun doute sauvés la vie, des petites graines d’espoir. Il faut rencontrer des gens qui portent des valeurs et s’extraire absolument d’un milieu construit sur mesure pour conserver en l’état le lieu du drame. Je crois qu’on peut s’en sortir même si les blessures seront toujours là. Je souhaite bon courage à tous ceux et celles qui ont subi des atteintes à la personne par le biais de la sexualité d’adultes pervers.
Pour conclure je voudrais militer pour que le viol, l’inceste (physique ou psychologique) soient qualifiés de crimes contre l’humanité et imprescriptibles. Beaucoup, comme moi, ont besoin de toute une vie, pour s’en sortir après ce type d’agressions. Dans la loi actuelle les agresseurs ne risquent plus de poursuites après les 38 ans de la victime. C’est une injustice flagrante. Par ailleurs il ne faut pas croire au « pardon » dans un tel cas (j’ai lu des témoignages y faire allusion). En effet, il y a une progression : d’abord la loi de la jungle (le plus fort mange le plus faible). Il y a ensuite la loi des hommes : égalité, protection du plus faible, c’est la justice. L’idéal du pardon vient seulement ensuite, pour surpasser la loi, mais certainement pas sous le règne de la loi de la jungle ! Or le viol c’est la loi de la jungle, rien d’autre.
Témoignage homme: Abusé par père et mère
Témoignage
Publié le 28.01.2007