Voilà bien longtemps que je souhaitais écrire mes ressentis par rapport à toi, papa.
Aujourd'hui, du haut de mes 22 ans, je prend conscience que par ton état d'être, tu m'as pourri mon adolescence.
En 1998, j'ai osé parler de cette chose dont je n'avais pas pris conscience pendant ces 7 années de silence, de mes 8 à mes 15 ans : mon grand-père avait abusé de moi pendant toutes ces années. Mais le fait d'avoir brisé le silence n'a été que le déclencheur d'un long chemin escarpé d'embûches.
J'étais alors au lycée lorsque j'ai confié ce qui s'était passé à une amie, alors que je n'avais pas conscience de la gravité des faits. Après l'avoir dit à ma prof principale de l'époque, je vous l'ai dit. Mais là, nos chemins ont commencé à se séparer lorsque vous avez cherché à m'empêcher de parler. A cette époque j'avais plus de 15 ans, dommage car si j'avais parlé plus tôt, le procureur aurait été saisi directement.
Je me suis dit qu'en changeant de lycée, cela s'arrangerait probablement. Mais le calvaire de la dépression a commencé pour moi. Toujours très peu d'amis, et comme à la maison je n'étais pas comprise parce que j'avais pas réagi comme il fallait, j'avais pas su dire non, je criais mon histoire sur tous les toits au lycée.
Désespérée je l'étais et c'est aujourd'hui que j'en prend conscience, mais étant donné que je n'avais pas le soutien nécessaire, je ne pouvais faire autrement.
Désespérée au point de faire une tentative de suicide à 15 ans 1/2 à une semaine de mon anniversaire parce que vous étiez parti ce fameux jour férié voir l'"autre" pour entendre sa version des faits.
C'est lorsque j'ai essayé de te parler de ma tentative de suicide que tu as coupé le cordon avec tes parents. Je ne souhaitais pas cela mais pour le bien de tous, tu as pris cette décision (mais même si physiquement tu avais coupé toute relation, psychiquement tu ne l'as jamais coupé).
Puis j'ai commencé à aller de plus en plus mal au lycée, j'ai souhaité fuguer.
Mais je ne l'ai pas fait parce que comme vous ne vouliez pas que je porte plainte, la PJJ aurait intervenu.
J'avais mal à en crever, les années de lycée ont été les pires pour moi, je cherchais du soutien que je ne trouvais nulle part. J'étais perdue.
C'est alors que j'ai décidé de partir en internat et que cela s'est empiré. Je partais en internat alors que tu commencais à rentrer en dépression. Je suis restée 2 ans là-bas et franchement c'étaient les meilleures années de souvenirs. Mais toi, mon père, celui que je connaissais avant comme un homme fort, exigeant, autoritaire, tu te perdais dans ta dépression, tu n'existais plus. Tu passais des jours enfermés dans ta chambre et lorsque je revenais le w.e, tu étais psychiquement absent. J'ai perdu mon père à partir de ce jour-là. Cela m'a fait horriblement mal, aujourd'hui encore la souffrance est là, mais même si au fil des ans elle s'estompe, une empreinte est toujours gravée.
Tu me rendais en grande partie responsable de ce qui m'était arrivé, et moi je ne disais rien, prise dans ce mutisme et dans cette impuissance face à ta maladie. Et je n'ai jamais rien dit pendant toutes les années qui ont suivi, me sentant responsable de ta dépression et ton mal-être intérieur.
Et moi dans tout cela, avais-je le droit de parler? Non, puisque "je ne cherchais qu'à vous nuire et vous pourrir la vie", "je n'étais qu'une sale petite égoiste qui ne pensait qu'à elle" et "étant donné que je pourrissais la vie de mon père, mon père me pourrirait la mienne par la suite".
Les retours à l'internat étaient pour moi une délivrance mais en même temps, je ne pouvais m'empêcher d'aller mal en silence, toujours cet horrible silence. Je cherchais à me détruire à tous prix du mal que j'avais pu te causer, je cherchais à me punir de cette faute. C'est alors que je mangeais de moins en moins, jusqu'à manger et me faire vomir. Mais une fois de plus, je me suis raisonnée toute seule et j'ai repris le dessus. Alors, sachant que je ne trouvais pas cette compréhension, je cherchais toujours un autre moyen de mettre fin à mes jours.
J'ai fait exprès de redoubler ma terminale car je ne me sentais pas prête à quitter l'internat, du coup j'y suis restée une année de +. Mais l'année d'après, il a fallu à la fin de l'année scolaire, que je retourne vivre chez vous.
Je l'ai mal vécu, c'est certain, tout cela pendant 3 ans. Depuis, les réflexions et les reproches se font rares mais ils demeurent toujours présents. Nos relations sont toujours tendus, et malgré tout j'ai essayé de te comprendre.
Mais aujourd'hui, je me suis aperçu que je n'avais pas pu vivre mon adolescence normalement, que l'on m'a empêché de pouvoir parler, et ce silence me pèse toujours autant.
Alors, oui, PAPA, je t'en VEUX, je t'en veux de t'être considéré comme la 1ère victime dans cette histoire, et de ne m'avoir jamais considéré comme telle.
Qui m'a reconnu victime jusqu'à présent? Très peu de personnes, même pas mes propres parents qui n'ont pas compris ce que voulait dire le mot "INNOCENCE".
J'ai envie de crier, d'HURLER toute cette douleur, Douleur qui s'est rajoutée à celle de l'inceste que j'ai SUBI, et douleur la plus intense pour moi car j'ai perdu mon père et mes croyances et valeurs en la famille.
Nos chemins se séparent toujours autant, mais aujourd'hui, où je peux enfin partir de la maison, je me sens libérée de ce poids, ce poids de la souffrance d'un père qui n'a pas été présent pendant ces 7 années de mes 15 à 22 ans, un père qui n'est plus ni présent pour sa propre fille, mais encore moins pour son propre fils et sa petite-fille et qui rejette toujours la faute sur les autres, en les rendant responsables de cet éclatement de famille supplémentaire.
Alors, je ne peux plus rentrer dans ce jeu, peut-être que maman continuera à te soutenir dans ton "pauvre petit malheur", mais tu sais très bien que je ne serais plus là pour soulager tes souffrances.
Ta petite fille chérie a trop souffert, a trop fermé sa "gueule" pendant ces années et s'est apitoyé sur ton sort alors qu'elle ne s'est pas rendu compte à quel point elle souffrait.
Alors comment ne pas t'en vouloir après tout çà? Désolé mais désormais je ne peux plus compatir à sa souffrance.
Témoignages femmes: Comment te dire que je t'en veux?
Témoignage
Publié le 10.03.2006