Trahison
Longtemps, j'ai cru, sans savoir pourquoi, que j'étais homosexuel. Je ressentais (et ressens) toujours un mélange d'excitation, de crainte et de souffrance en présence d'hommes, lorsque ceux ci avaient un lien d'autorité sur moi, ou bien lorsqu'ils étaient plus vieux. Sans comprendre, je voulais qu'ils m'utilisent, comme un objet sexuel.
A l'inverse, j'étais attiré par les femmes, sans pouvoir les aimer. Et toujours, en filigrane, cette impossibilité à dire non, à marquer mes limites, cette soumission au désir de l'autre, cette peur d'être abandonné, et un sentiment si profond d'absence de valeur.
Il y a un an, à 26 ans, toutes mes ressources épuisées par un combat incessant contre moi-même, j'ai fini par tomber dans la dépression. Toutefois, quelques mois avant, peu après avoir quitté pour de bon le milieu familial, un souvenir était revenu à ma conscience, un souvenir bien calfeutré par mon inconscient : le viol, la sodomie sans violence, que mon père m'a fait subir lorsque j'avais 11, 12 ans. Je me souviens désormais du sentiment d'absence ressenti lors de l'agression, puis d'avoir rejoint les toilettes pour purger ce qu'il avait mis en moi, et être rentré ensuite dans ma propre chambre.
Désormais, je me soigne pour sortir de ma dépression, et j'ai confronté mon père en lui disant mon souvenir. Il a nié, et je m'y attendais, tant sa personnalité est perverse et tant il est capable de manipuler les autres dans son seul intérêt, comme il l'a toujours fait. Ma mère ne me croit pas, mon frère qui me soutenait depuis le début prend de plus en plus de distance avec moi. Quant à moi je ressens profondément que mon corps recèle une bombe, une douleur insupportable, une blessure profonde qui je l'espère se refermera avec le temps.
Désormais libre, autonome financièrement, ayant rompu quasiment tous mes liens avec ma famille mais entouré d'amis compréhensifs, je regarde pourtant le futur avec confiance . Je dois encore sortir de ma dépression et me reconstruire, le chemin est certes encore long et pavé de souffrances, mais en regardant la vérité en face j'ai revendiqué mon droit au bonheur. Je veux vivre, aimer, fonder une famille, et voir la beauté du monde de mes propres yeux, pas à travers le prisme déformant que mon agresseur m'a laissé en héritage.
Témoignage bouleversant. Bouleversant par le récit très honnête et très vrai; bouleversant aussi par le constat, presque habituel dans ce genre d'histoire, du déni et de l'abandon des proches. Mais l'auteur est plein de courage. L'avoir lu me fera mieux respirer, cette nuit, et mieux dormir. Merci.