Depuis toute petite, ma mère n'a jamais mit de limite entre elle et moi, sa fille : Elle m'a tout dit, tout montré; Pas de pudeur, seulement un exibitionisme de chair, de corps, d'odeurs, de pensées, de lectures et de vécu.
Et moi je nageais dans un magma de dégoût pour les corps de femme-femmes, de femmes fortes comme ma mère;
Dégoût pour la graisse, les bourrelets, dégoût pour ces sexes poilus béants de chairs et dégoulinants, aux odeurs repoussantes. Dégoulinant de sang qui pue, dégoulinant de pertes blanches, d'enfant morts-nés, tués dans l'oeuf.
Vomir ces hanches, ce sexe anti-Vie, cette bouche baveuse et sans retenue qui s'avançait vers la mienne pour l'embrasser, vomir, vomir, vomir !
Vomir ces mots irrespectueux de ma mère, vomir son débalage d'impudeur, son manque de respect, son manque de limites.
Vomir ma mère.
Surtout ne pas lui ressembler : Contrôler mes hanches, mon ventre, mon sexe, mes règles, mon poids, mon corps ! Qu'il ne ressente rien, qu'il se fasse oublier !
Je suis devenue une jeune femme aseptisée.
Mon carburant : L'alcool.
Tout le reste, je le vomissais.
J'ai survécu ainsi pendant des années, jusqu'au jour où j'ai tout lâché : Ma mère, mon corps, l'alcool, mes règles, mon sexe, ma vie dans l'anorexie.
Aujourd'hui ma mère est morte.
Le souvenir qu'il me reste de son corps vivant est son urine, dans la poche transparente de son lit d'hôpital; Ses dernières urines...C'est la dernière fois qu'elle faisait pipi...Je ne sais pas pourquoi cette urine est tellemnt importante pour moi, elle représente le dernier vestige vivant du corps de ma mère, comme si tout le restant de son physique était déjà mort...
J'essaie d'apprendre à aimer mon corps de femme; Je sais qu'il est aimable, que mon sexe peut être pur, propre et beau pour l'homme qui m'aime...
Même si je suis à l'aube de ma ménopause...Même si la porte de la jeunesse de mon corps, de la maternité, de la pleine féminité, se referme doucement...
J'apprends à vivre dans ce corps comme si mes premières règles dataient d'hier, comme si l'enfantement était chose à venir, comme si j'avais toute la vie devant et ma mort derrière...
Comme si...
Et tout se lave lentement; Tout se nettoie, ce qui n'est pas mort s'assainit.