Victime et pourtant
abandonnée
J'avais 11 ans, ils avaient 15 et 16 ans. Ils étaient mes cousins. Dans la maison de vacances, nous dormions dans la même pièce, entassés dans des lits superposés. Pendant de nombreuses vacances, ils m'ont convaincue de me laisser toucher, tripoter, embrasser. Ils faisaient la même chose à ma cousine, du même âge que moi. L'un d'entre eux a même essayé de me pénétrer, avant de lâcher d'une traite "ça veut pas rentrer. Dommage." Pas étonnant, j'étais encore une petite fille. Eux étaient des adolescents déjà bien formés.
Je me suis murée dans la honte, mis les abus tout au fond de mon esprit jusqu'à ce que, 10 ans plus tard, après mon mariage, mon indépendance, toute la souffrance ressorte en troubles du comportement alimentaire. J'ai tout raconté à mon mari, puis à mes parents, qui m'ont soutenue et me soutiennent toujours aujourd'hui. Mais tout le reste de ma famille élargie, bien que consciente que cela est arrivé, a choisi de couper les ponts avec moi et de me tourner le dos. Auparavant membre d'une grande famille soi-disant soudée, je me retrouve victime ET vilain petit canard qui a osé dire la vérité et perturber un semblant de stabilité sociale.
J'ai essayé de nombreux thérapeutes, en vain. Ma souffrance se traduit toujours aujourd'hui par une anorexie boulimie fluctuante. Mais je reste forte et entourée par mon époux et mes parents. Quand d'autres se retrouvent seuls, moi je suis tout de même aidée par des proches. Je vais réussir à m'en sortir, c'est sûr. Je regrette juste qu'il soit encore si compliqué pour les victimes comme moi de trouver un professionnel de santé compétant et à l'écoute. Car à l'heure d'aujourd'hui, je dois toujours me battre sans l'aide du monde médical.
Bonjour à toi, et merci pour ton témoignage. Il est parfois difficile, quand on a connu l'inceste, de devenir un adulte bienveillant envers soi-même. J'ai souffert de troubles anorexiques aussi à une époque. C'est à la fois une manière d'appeler au secours et une manière de se maltraiter soi-même. Un peu comme incarner à la fois la victime et le bourreau. Une thérapie peut t'aider si tu acceptes de regarder les distorsions que l'inceste à laissés en toi. Tout thérapeute ne peut t'aider que si tu acceptes de dépasser le stade de la victimisation et de la culpabilité. Accepter de ne plus s'identifier à la victime ou au bourreau, ce n'est pas pour autant renier son vécu ni oublier, c'est renaître à soi et apprendre à vivre différemment. Art-thérapie et thérapie psycho-corporelle peuvent t'aider à t'ouvrir à tes ressources intérieures bienfaisantes, à mettre à nu ta mémoire émotionnelle pour toi, parce que tu le décides et pour digérer ce que tu n'arrives pas encore à transformer. Courage