j'ai encore du mal à y croire

Témoignage Publié le 27.08.2018

j'ai encore du mal à

Je ne sais pas trop comment dire les choses... encore du mal à y croire...
En fait, les souvenirs ont commencés à me revenir il y a 2 mois ½. Je savais déjà qu'il s'était passé des choses avec mon frère, mais j'avais toujours pensé (ou voulu?) que j'étais amoureuse de lui quand j'étais petite et qu'il n'y avait pas eu « grand chose »...

J'étais à une séance avec ma somato (somato-psycho-pédagogue : permet de remettre du mouvement dans le corps et d'évacuer les tensions accumulées), et j'ai eu mon premier vrai souvenir. Tout y était. La vision, le goût, l'odeur, les bruits... Je me suis vue faire une fellation à mon frère. Ce qui m'a le plus choquée c'est que, je n'avais pas son visage en visuel (ben oui...), mais au goût et à l'odeur j'ai su que c'était le sexe de mon frère. C'est affreux de se dire ça. Parce que oui ça sous-entend que ce n'était pas la seule fois et que j'en avais déjà une certaine habitude. Et pourtant je me sens toute petite, pas plus de 10 ou 11 ans... Mon frère a 3 ans ½ de plus que moi.

Au début j'ai pleuré. Puis je me suis dit que ce n'était pas possible. Pas mon frère. Pas celui avec lequel j'ai le plus d'affinités, le plus de complicité. C'est pas possible. Le souvenir est très violent. J'ai la sensation actuelle d'avoir encore son sexe dans la bouche... à 45 ans... Toujours la sensation d'étouffer, l'envie de vomir... Son odeur... Ce goût... horrible... Je suis obligée d'y croire. Mais je ne veux pas ! C'est pas possible ! Je dois confondre. J'ai subi beaucoup de choses horribles quand j'étais adolescente. C'est pour ça que je suis en thérapie depuis une vingtaine d'années. Des choses violentes avec des inconnus, pendant loooongtemps. Alors je dois confondre. Mais pourtant c'est bien le goût de mon frère. Impossible....
Mon cerveau va continuer de faire des aller-retour entre la réalité et le déni.

Puis le soir venu je me suis rappelé un souvenir que j'ai depuis toujours : Nous (mon frère et moi) sommes chez un ami qui habite dans notre rue. Je me rappelle des deux garçons sous la couverture. Apparemment j'y suis aussi. Et la petite sœur de notre ami qui dit « je sais très bien ce que vous faites sous la couverture ». Je me sens gênée. Pas à ma place. Prise en flagrant-délit de quelque chose de mal. Mais mon souvenir s'était toujours arrêté là. Ce soir-là je me suis rappelé les attouchements commis par les garçons, mon frère et son ami, mon « petit copain » à l'époque, même si je n'ai que 10 ou 11 ans. Oui mais je me suis aussi rappelé du plaisir que j'avais eu. Je découvrais toutes ces choses. Même si je trouvais ça un peu « bizarre », j'aimais bien ce que je ressentais. Enfin une partie de ce que je ressentais. Ou une partie de moi aimait ça... je sais pas. Et puis les garçons aussi trouvaient ça sympa. Ils avaient dit que j'avais le droit de venir sous la couverture avec eux, mais à condition de jouer le jeu, d'être toute nue comme eux. J'avais été un peu gênée, mais on était tous pareil. Ça a commencé par des jeux, des guilis... puis des caresses... pas désagréable la sensation. Mal à l'aise, mais... pas trop désagréable. Puis les pénétrations avec les doigts... bizarre comme sensation, mais tout le monde a l'air de trouver ça normal et d'y prendre du plaisir. C'est bizarre avec eux, mais je crois que j'aime bien aussi.
Voilà ce qui me revient aussi après la séance avec ma somato.

Quand je retourne voir ma psy, je lui raconte. Tout. Et je me souviens aussi que, quand j'avais également une dizaine d'années, mon frère avait voulu voir à quoi ressemblait un sexe de fille. Il m'avait demandé s'il pouvait regarder. Il m'avait même proposé de l'argent. Je me souviens qu'il m'avait demandé s'il pouvait toucher à l'intérieur... Je ne me rappelle plus de ma réponse. Pas non plus si j'ai accepté l'argent. Mais je me revois clairement assise au milieu du couloir, les parents partis, et mon frère en train d'examiner mon anatomie avec sa petite lampe torche. Ça va, je gère aussi ce souvenir. Il n'y a pas « grand chose de grave ».
Et ça a continué de me revenir les jours suivants.

Je me suis revue avoir couché avec le copain en question. Normal, c'était mon petit copain. Mais je n'avais toujours qu'une dizaine d'années. Et lui presque le même âge que mon frère, un peu plus jeune. Mais bon, ça s'explique. Je ne me rappelle pas avoir aimé ça. En fait je ne me rappelle pas avoir ressenti quoi que ce soit. Ça va. Je gère le souvenir.

Quelques jours après, ma mémoire travaille encore. Je me souviens avoir eu une relation avec mon frère. Aïe, je gère moins bien ça. Je le revois au-dessus de moi, son visage contre le mien, un petit sourire presque gêné me demandant si je n'ai pas mal. Bon, c'est ce que je pensais, j'étais amoureuse de lui. On a couché ensemble. Il a l'air très doux. Peut-être qu'il m'aimait aussi. Pi il est beau mon frère ! Beau comme un mannequin. Tout le monde le dit. Il est sportif, bien taillé en V depuis quelques années déjà qu'il fait de la natation avec Cyril, le copain en question. Le beau gosse quoi. Et c'est avec moi qu'il fait l'amour. Bon je suis sa petite sœur, c'est pas très bien ça. Moi je ne me rends pas compte, mais lui il devait bien le savoir. D'ailleurs tout se passe toujours chez le copain en question. Toujours quand les parents ne sont pas là. C'est bizarre. Oui mais je l'aime mon frère. Il est beau, et c'est le seul qui fait attention à moi. Le seul de la famille à prendre ma défense quand mon frère aîné m'embête, ou pire quand quelqu'un de l'extérieur me cherche des ennuis. On a toujours été très liés tous les deux. On a longtemps joué ensemble. Aux billes. Aux cow-boys. Aux voleurs.... Et on était souvent avec le copain et sa sœur. Les garçons ont presque le même âge, et moi j'ai presque le même âge que la fille. On s'entend tous bien. On joue souvent ensemble. Comme des copains qui habitent la même rue. On joue au foot, on fait du vélo, on prend les goûters chez l'un ou chez l'autre... Voilà, c'est ce que je dis, ce n'est pas un viol quand je revois mon frère sur moi, c'est de l'amour. Pareil que quand je me revois après avoir couché avec mon copain. C'est bon, je gère aussi ce souvenir. De toute façon c'est pas possible que mon frère m'ait fait du mal. Impossible. Pi souviens toi, tu as pris du plaisir lors des attouchements. Là je me souviens avoir eu mal mais avoir continué de sourire. Il était content. Il était attentionné. Je n'ai pas voulu casser ce moment. J'ai serré les dents. Je me suis dit que le plaisir c'était ça. Oui c'est ça, j'ai eu mal, je ne me souviens pas de la suite, mais peut-être que j'ai aussi pris du plaisir. Il n'est pas méchant. Il ne me veut pas de mal. Ce n'est pas un viol. Enfin quand même c'est bizarre. J'étais jeune. Lui il savait ce qu'il faisait. Mais non je refuse de voir la réalité. C'est impossible. Im-po-ssi-ble.
Les jours se suivent, et les souvenirs continuent de revenir, avec des détails qui s'ajoutent au fur et à mesure.

Maintenant je me souviens une autre fellation. Je suis dans une pièce avec les murs blancs, à hauteur du sexe de mon frère. Quand je lève la tête je vois son visage afficher un grand sourire. Il y a Cyril (toujours le même copain) à côté, nu aussi. Il attend. Il regarde. Mon frère me caresse la joue pendant que j'ai son sexe dans la bouche... Wahou c'est dur là. Ça fait beaucoup. C'est pas possible. Je dois confondre avec ce qui s'est passé quand j'étais ado. Pourtant je me rappelle bien de sa main sur ma joue, tendre, douce. Et ça, dans tout ce que j'ai subi ado, ça n'a jamais eu lieu. Impossible. Personne n'a jamais eu la moindre douceur envers moi. Je n'étais qu'un objet pour eux. Pas là. Ce n'est pas violent. Son sourire... Il est content. Et Cyril, qui attend son tour....

Quand je retourne voir ma psy, je lui dis. « La dernière fois, quand vous avez parlé « d'agressions » sexuelles, je trouvais que le mot ne convenait pas, que c'était trop fort. Aujourd'hui je suis obligée d'employer le même ». J'ai les larmes au bord des yeux. Je lui explique que j'ai beaucoup de mal à y croire. Que je préfère être encore dans le déni parce que je sens que la douleur grandit et devient ingérable. La même que quand le 1er souvenir de la fellation m'est revenu. Je réalise qu'il y a eu bien plus que ce que je pensais et que je n'aime pas ça. Je n'arrive pas à gérer tout ça. Ça remet beaucoup trop de choses en question.

J'ai l'impression d'avoir grandi sur des mensonges. De m'être construite sur des illusions, des faux-semblants, des croyances en le beau alors que c'était moche, laid, sale. Je me sens sale. Abusée. Dans tous les sens du terme. Trahie. L'injustice. Qui grandit quand ma psy m'explique que, probablement, si je n'ai rien dit quand j'ai été violée par des hommes dans la rue à 13 ans, c'est parce que j'avais déjà appris le silence. Pire, que si j'ai été choisie sur ce quai de gare par mes bourreaux, c'est parce qu'ils avaient probablement repéré que j'étais déjà une victime. Et une victime on sait déjà qu'elle ne parlera pas. Qu'elle ne se défendra pas. C'est horrible. Je ne saurais jamais si j'aurais parlé si mon frère ne m'avait pas touchée avant eux, mais je m'étais toujours demandé « pourquoi moi », « pourquoi j'ai toujours eu peur de parler ». Certes, il y a eu les menaces, la violence, ce que j'ai subi, ce que j'ai vu... Mais comme dit la psy, un enfant qui se fait agresser, s'il est dans une famille protectrice, aimante, attentionnée, il en parle. Même si ce n'est pas sur le moment, il finit par dire les choses. Même s'il ne dit pas tout, il finit par parler.

C'est dur. C'est dur d'entendre tout ça. Dur de se rendre compte de ce que mon frère m'a fait. De se rendre compte des conséquences que ça a eu. Il avait pas le droit de faire ça. Pas le droit de ME faire ça. Même s'il m'aimait... ça y est je retourne dans le déni. La douleur est si grande que j'ai encore du mal à croire à tout ça. Quand les souvenirs m'envahissent, je finis toujours par me demander si je ne confonds pas avec ceux qui m'ont fait tant de mal par la suite. Est-ce que je ne suis qu'un objet sexuel ? Une chose, destinée à donner du plaisir sexuel aux hommes ? Est-ce que je ne suis que ça ? Je pleure. Je souffre. Vraiment. C'est physique. Je sens ma chair souffrir. Je sens mon cœur souffrir. J'ai déjà traversé tellement de choses... Déjà travaillé sur tellement d'horreurs... Je suis fatiguée...
De retour chez moi, les nuits agitées continuent.

Je me rappelle maintenant que mon frère m'a sodomisée. J'ai pourtant eu la force de dire « non, je veux pas », mais il n'a pas écouté. Il m'a mis la main sur la bouche et m'a dit « chut ». J'ai eu mal. Très mal. Cette fois je n'ai aucun doute, je n'ai pas aimé ça. Mon frère m'a violée...

Quand j'en parle avec ma psy, on trouve toutes les deux bizarre qu'un garçon d'une quinzaine d'années puisse penser à la sodomie. Peut-être qu'il a subi des choses. Oui mais comment savoir ? Il faudrait que j'en parle avec lui, que je lui demande de quoi il se rappelle. Mais s'il ne se rappelle de rien ? Si son propre traumatisme lui a fait tout oublier ? Il va me traiter de folle. Il va me dire qu'avec tout ce que j'ai vécu, je confonds. Et mes nièces... Oh mes nièces. Je m'en occupe à chaque grandes vacances. Je suis toujours très présente pour elles, toujours à l'écoute. J'ai réglé nombres de problèmes par téléphone (elles vivent à 500 km). Il ne va plus vouloir que je les vois. Et ça se passe tellement mal chez eux qu'elles ont besoin de moi. Elles me le disent régulièrement « tata, qu'est-ce qu'on ferait si t'étais pas là ». Je ne peux pas leur faire ça. Oui mais ça m'énerve qu'il s'en sorte encore aussi facilement. C'est toujours pareil : quand il rencontre un problème, il met un mouchoir dessus et il passe à autre chose. Je suis en colère. Je sens cette colère oubliée qui monte et qui prend des proportions... Disproportionnées...

Voilà, ça fait déjà deux mois que tout me revient en pleine gueule. Deux mois que je suis en arrêt de travail. J'ai fait un burn-out. Mon boulot est aussi harassant que ma thérapie. Ça m'est tombé dessus sans que je vais voulu l'écouter. En 5 minutes j'ai du partir de mon travail. J'ai senti que mon énergie m'abandonnait et que je n'avais plus que le temps de prendre ma voiture et de rentrer. Fauchée. Plus de jus. Plus rien. Encore dans le déni je pensais que 4 jours allaient suffire. Ça fait deux mois...
Je suis retournée au travail. 2 jours. J'ai fait acte de présence. Et je suis partie en vacances.

Quinze jours après je recevais le coup de grâce. En pleine séance avec ma psy.
Le souvenir m'est revenu par bribes. Je disais que, contrairement à tout ce que j'avais subi par la suite, il n'y avait pas vraiment eu de violence avec mon frère. En tout cas pas la même violence qu'avec mes nombreux bourreaux.

D'ailleurs, depuis le début, ma psy a fait la relation entre mon bourreaux principal, celui qui m'avait achetée et qui me vendaient aux autres (je fais un gros résumé, c'est mieux...), mais aussi celui qui me protégeait quand les clients voulaient me faire du mal. Mon tortionnaire et mon protecteur en même temps. Le seul qui, pendant mon adolescence, a fait attention à moi. Le seul qui m'a accordé du temps. Le seul qui a parlé avec moi. Comme mon frère a été le seul à me protéger contre les autres à l'école. Le seul à prendre ma défense quand mon autre frère s'en prenait à moi. Le seul à me croire quand je racontais des trucs.

En disant le mot « violence », les premières images me sont revenues. Pas très nettes. Mais j'ai tout de suite senti que j'allais avoir mal de me souvenir de « ça ». Je l'ai dit à la psy « quelque chose est en train de me revenir mais ce n'est pas encore clair ». Pendant deux jours avant la thérapie j'ai eu le ventre noué. J'avais compris que j'étais stressée, et même si je savais que c'était parce que j'allais avoir ma séance psy, je trouvais que ça prenait des proportions jamais ressenties auparavant. J'ai laissé faire. De toute façon, à part voir le médecin pour m'assurer que ce n'était rien d'autre, et voir la kiné pour qu'elle essaye de me détendre, il n'y avait pas grand chose à faire.

Au milieu de la séance, je n'arrivais plus à me concentrer sur ce que la psy me disait. Elle m'a alors demandé de raconter. Je me revois... entre mon frère et Cyril. Mon frère est derrière. Je sens... Qu'il me sodomise... pendant que Cyril a aussi une relation avec moi... Devant. Je ressens... Tout. C'est comme si je revivais tout. Je me sens... Mal à l'aise. D'habitude les souvenirs me reviennent chez moi, éventuellement pendant la séance de somato mais alors je n'en parle pas tout de suite. J'attends de voir ma psy la semaine d'après. J'ai eu le temps de digérer un minimum. Là c'est... Violent. D'une violence extrême. Je ressens... Comme une implosion dans mon cerveau de petite fille. C'est comme si je pouvais voir tout éclater à l'intérieur de ma tête, pendant que mon frère regarde l'autre en disant « alors ? Tu vois, j't'avais dit... ». Et puis plus rien. Je ne me souviens plus de rien après.

Mais le souvenir a eu l'effet d'une bombe. Je suis anéantie. C'est comme s'il venait de confirmer tout ce que j'ai refusé de croire depuis des semaines. Un coup de masse sur les choses qui ne voulaient pas rentrer. Assommée. Je pleure, assise devant ma psy.
Ce n'est pas la première fois, mais là c'est... Différent. Je ressens que, quand quelqu'un vous a fait du mal, mais que c'est quelqu'un que vous avez toujours aimé, quelqu'un avec qui vous étiez proche, qui aurait du vous protéger, qui a grandi avec vous... quand c'est ce quelqu'un, c'est différent d'un étranger. Je suis abattue. Fauchée à la base. À chaque fois que j'essaie de m'appuyer sur quelque chose j'ai l'impression que ça se transforme en sables mouvants. Plus rien n'est stable. Tout s'écroule. Tout ce que j'ai toujours cru. L'impression de ne plus savoir qui je suis. Qui j'ai été. Un tsunami. C'est un véritable tsunami qui est en train de tout balayé sur son passage. Voilà. C'est ça que je ressens. Un tsunami à l'intérieur de moi.

C'était il y a une semaine, et le tsunami est toujours là. Toujours aussi dévastateur. Mes nuits sont toujours agitées et douloureuses (ça j'ai l'habitude, ça fait 30 ans que ça dure), mais je m'endors et me réveille en pleurant. Mon frère m'a violée. Il a abusé de moi dans tous les sens du terme. Il m'a trahie. Il m'a traitée comme...rien. Il a fait de moi sa poupée. Mon frère... À présent ces deux mots me dégoûtent. Ils n'ont plus le même sens quand je les prononce. Comment a-t-il pu... ??? Qu'est-ce que je dois faire ???

C'est les vacances. Ma psy et ma somato sont parties pour un repos bien mérité. Je n'ai plus personne à qui parler...
Je sais que je finirais par me relever. Je l'ai toujours fait. Mais je sens mon cœur brisé. Littéralement. Et pire, je sens que ce n'est pas fini...
Me reposer. Voilà ce qu'il me faut. Me reposer pour profiter un maximum de mes filles qui sont revenues de chez leur père la semaine dernière. Me reposer pour reprendre mon travail auprès de mes élèves handicapés à la rentrée. Me reposer autant que je le peux, à n'importe quelle heure de la journée, pour palier aux nuits horribles. Me reposer. Vraiment. Apprendre à ne rien faire, puisque hyper active depuis toujours pour éviter les pensées difficiles. Apprendre à lâcher prise. Accepter... Bon ok, me reposer ! Pour l'acceptation on verra plus tard avec la psy !