Monsieur le Président : Vous avez la délicate responsabilité de nommer un(e) défenseur(e) des droits qui aura aussi pour mission d’assurer la défense des enfants, les citoyens les plus vulnérables de notre société, ceux qui n’ont que leur corps et leurs pleurs à montrer avant de dévoiler les causes cachées de leurs maux. Oui, les violences sexuelles et les traumatismes vécus dans l’enfance suivent très longtemps des adultes, en France, avec un cortège de symptômes, de difficultés qui entravent leur quotidien, leur vie familiale et professionnelle. Et pourquoi donc?
- Rares sont les études cliniques et épidémiologiques à grande échelle conduites en France pour faciliter la détection de l’inceste et des autres formes de violences dès l’enfance, assurer la protection des enfants contre leur répétition et mettre en place des soins psychologiques. Et pourtant un adulte sur cinq aurait été victime d’experiences traumatiques ou négatives dans l’enfance selon la célèbre étude américaine, L’ACE study. [i]
- Peu de médecins français sont formés à repérer le lien entre des symptômes sur le plan de la santé mentale ou physique et ces traumatismes de l’enfance, car il n’y a pas, en France, d’enseignement systématique durant les études de médecine. Telles sont les raisons pour lesquelles, des statistiques de 30 à 70% de fausses allegations d’inceste sont acceptées en France comme une “vérité” alors que les statistiques du gouvernement américain notent seulement 0,1% d’allégations intentionnellement fausses[ii].
- Il n’y aurait que 2% de médecins qui signaleraient des suspicions de maltraitances, car depuis 1997 environ deux cent médecins ont été et font encore l’objet de mesures de représailles juridiques parce que l’article 226-14 du Code penal n’oblige pas tous les médecins à signaler les suspicions de maltraitances. Seuls les fonctionnaires ont l’obligation de signaler et sont protégés contre des actions des poursuites juridiques. Dès les années 60, les Etats-Unis ont fait confiance aux médecins pionniers pour rendre obligatoire le signalement et inscrire dans la loi une protection juridique. Les états canadiens et australiens ont adoptés des lois similaires. En France, les travaux du Professeur Ambroise Tardieu, le premier au monde à avoir décrit la maltraitance des enfants dès 1862, ont été dénigrés puis mis au placard pendant cent ans[iii]. La loi française de la protection de l’enfance a des faiblesses et continue à exposer les médecins à une discrimination qui profite aux agresseurs présumés malgré les récommandations de rapporteurs spéciaux de l’ONU [iv] et plus récemment de l’observation générale n°13 du Comité des Droits de l’enfant[v]
- Pendant des décennies des mères ont été accusées, à juste titre, de fermer les yeux sur les violences incestueuses faites par leur conjoint. Mais maintenant il leur est reproché d’être atteinte d’un syndrome d’aliénation parentale lorsqu’elles suspectent l’inceste de leur conjoint, qu’elles demandent à un médecin d’examiner leur enfant et qu’elles portent plainte contre leur ancien conjoint. Les français semblent ignorer l’anglais au point de ne pas lire sur de nombreux sites du web que ce syndrome d’aliénation parentale a été invalidé aux USA par le milieu scientifique et judiciaire[vi].
C’est bien un(e) défenseur(e) des droits capable de mettre en oeuvre un grand changement en faveur des enfants victimes de violences sexuelles qu’il faut en France. Il lui faut certes des connaissances juridiques mais surtout des qualités humaines, du coeur et la volonté politique pour:
- se mettre à la hauteur des enfants,
- reconnaître que la plupart des enfants ont très peur de parler des violences subies comme ont témoigné les victimes d’inceste en révélant un délai moyen de 16 années après les faits pour oser révéler spontanément l’inceste à un proche ou un professionnel [vii],
- ne pas dénigrer les parents qui suspectent l’inceste chez leur enfant quand ils viennent demander de l’aide,
- inciter le gouvernement et le parlement à modifier l’article 226-14 du Code penal afin de mettre un terme aux actions de représailles juridiques contre les médecins qui signalent, ce qui muséle les enfants qui ont dévoilé.
Oui, les victimes de l’Association Internationale des Victimes d’Inceste ont raison de s’inquiéter de la nomination du défenseur des droits[viii]. Monsieur le Président permettez-moi de vous suggérer de prendre l’avis des adultes “survivants” d’inceste ou d’autres violences sexuelles pour choisir un(e) défenseur(e) des droits. Ce serait vraiment sage pour l’avenir d’un enfant français sur cinq.[ix]
Restant à votre disposition, je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, à l’assurance de ma considération distinguée.
Docteur Catherine Bonnet
Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’honneur
Consultante en psychiatrie d’enfants et d’adolescents en France et au Royaume-Uni
Membre de l’Association Internationale des Victimes d’Inceste
Membre de Professionals Against Child Abuse
Auteure de plusieurs ouvrages et publications sur l’inceste et la pédocriminalité dont Geste d’amour (Odile Jacob 1990, L’enfant cassé (Albin-Michel 1999) et L’enfance muselée (Thomas-Mols 2007)
Copie à
Dr Najat M’jid, Rapporteur Spécial sur la vente des enfants, la pornographie enfantine et la prostitution des enfants
Mr Yanghee Lee, Présidente du Comité des Droits de l’Enfant
Ms Margaret Sekaggya, Rapporteur Spécial des Défenseurs des Droits de l’Homme
Monsieur le Président
[i] L’ACE Study a été conduite en Californie, entre 1995 et 1996, par Vincent Felitti, un professeur de médecine interne, Robert Anda, médecin épidémiologiste du gouvernement américain et d’autres de leurs collègues sur une population de 13 494 adultes suivis dans un service de médecine préventive à partir de 200 questions.
http://www.acestudy.org/index.html
[ii] http://www.acf.hhs.gov/programs/cb/pubs/cm05/figure2_2.htm
[iii] Bonnet C. L’enfant cassé. Paris. Albin-Michel. 1999
[iv] Bonnet C. L’enfance muselée. Bruxelles. Thomas Mols. 2007
[v] General comment n°13 : http://www2.ohchr.org/english/bodies/crc/comments.htm
[vi] Permettez-moi de vous indiquer parmi les sites américains celui du « Leadership Council on Child Abuse and Interpersonal Violence” afin de prendre connaissance des raisons pour lesquelles le syndrome d’aliénation parentale, SAP ou PAS en anglais a été rejeté par la communauté scientifique américaines et par la Coalition Nationale des Juges des Tribunaux de la Jeunesse et de la Famille, National Council of Juvenile and Family Court Judges:
http://www.leadershipcouncil.org/1/pas/PR_PAS.html
Selon l'avis du Dr Paul Fink, président du Leadership Council, Clinical Professeur de Psychiatrie à Temple University School of Medicine, Président de l'American Psychiatric Association's Task Force sur les aspects psychiatriques de la violence, ancien President de l'American Psychiatric Association (AMA), et de l'American College of Psychiatrists, «la science indique que la cause la plus vraisemblable pour laquelle un enfant s’éloigne d’un parent réside dans le comportement même de ce parent. Les étiquettes comme le syndrome d’aliénation parentale servent à détourner l’attention de ces comportements.»
[vii] IPSOS/AIVI. Etat des lieux sur la santé des victimes d’inceste : vécu, état de santé et impact sur la vie quotidienne. Mai 2010 http://aivi.org/
[viii] Communiqué d’ Face à l'inceste du 22 avril 2011 sur le défenseur des droits : http://aivi.org/fr/medias/communiques/1860--jack-lang-defenseur-des-droits-ou-defenseur-des-pedophiles-
[ix] Même statistique donnée par le Conseil de l’Europe : http://www.coe.int/t/dg3/children/1in5/WhatWeKnow/overall_fr.asp