L'autorité parentale en question
Le 9 Février, l’Assemblée Nationale a voté à l’unanimité la proposition de loi déposée par la député PS Isabelle Santiago sur le retrait et la suspension de l’autorité parentale dans les situations d’inceste et de violences conjugales. Et chacun de se féliciter, de faire assaut de compassion et de compréhension pour les enfants victimes. Mais en y regardant de plus prés, le législateur a encore été bien timide pour remettre en cause la sacro-sainte autorité parentale et dans ces situations précises, le plus souvent l’autorité paternelle.
Le texte voté ce 9 février prévoit la suspension de l’autorité parentale du parent poursuivi pour des crimes et délits commis sur son enfant,( notamment les infractions incestueuses). Il semble de bon sens que l’enfant ne réside plus chez celui qui est soupçonné de le maltraiter, de le violer, au risque que les maltraitances se poursuivent. Il semble de bon sens que ce parent n’ait plus, le droit d’empêcher une aide psychologique pour son enfant traumatisé, de lui interdire le contact avec les personnes qui l’ont aidé, de décider de son orientation scolaire, du choix de son activité sportive … Il semble de bon sens que cette protection se mette en place le plus tôt possible.
Lorsqu’un enfant révèle un inceste, il brise un tabou impérieux, le silence de tous qui permet depuis des siècles que se perpétue cette trahison des pères et des mères à leur mission parentale. L’enfant est seul face à ce choix incroyable ; parler au risque de mourir, se taire au risque de mourir.( 50% des victimes d’inceste ont fait au moins une tentative de suicide, selon notre sondage IPSOS 2010), Il est, comme celui qui se jette du haut d’un immeuble enflammé plutôt que de rester prisonnier des flammes. Il fait le pari insensé que quelqu’un sera là pour l’empêcher de se fracasser au sol. Mais, selon le texte de loi voté le 9 février, nous ne serons pas là dés le début, dés que sa parole brisera l’omerta et le laissera sans défense, ni cachette face au parent dénoncé. Il devra continuer à résider chez ce parent ou à lui rendre visite. Le parent qu’il aura dénoncé aura ainsi toute latitude pour l’intimider, le culpabiliser, voir le terroriser, tant que le procureur n’aura pas entamé les poursuites. Rétractations, oubli de certains faits, refuge de nouveau dans le silence …73% des affaires de viols incestueux sont classées sans suite. Nous osions espérer que la suspension de l’autorité parentale du parents suspecté d’inceste aurait lieu dés le début de l’enquête préliminaire, avant que l’enfant touche le sol. Nous osions espérer que cette parole si courageuse, si précieuse serait protégée dés son énonciation. Nous osions espérer que la protection précoce de l’enfant fiabiliserait son témoignage et toutes les investigations, que l’enquête serait ainsi préservée dés son démarrage. Ce temps suspendu entre le début de l’enquête préliminaire lorsque les premiers témoignages sont entendus et analysés et l’ouverture des poursuites reste donc un moment de mise en danger important pour l’enfant.
La déchéance de la puissance paternelle en cas de condamnation pénale du parent existe depuis les lois de 1889 et 1898. Mais elle a toujours été très peu appliquée. La loi actuelle prévoit que la question du retrait de l’autorité parentale doit systématiquement être posée aux juridictions de jugement, sans préjuger de leur décision. Le texte du 9 Février veut aller plus loin en rendant quasi-automatique le retrait de l’autorité parentale mais le juge pourra, quelque soient les circonstances, maintenir l’autorité du parent incestueux en motivant sa décision. Car l’ automaticité du retrait remettrait en cause l’individualisation des peines. Mais est ce une peine pour le coupable ou une protection pour l’enfant ? Quand un parent a, à ce point abusé de son autorité, que reste-il du fondement de l’autorité parentale qui est une responsabilité et non un droit absolu ? IL convient aussi de rappeler que même dans ces circonstances, la restitution de l’autorité parentale est possible à certaines conditions. On est donc loin d’un risque d’abus de pouvoir de l’institution judiciaire alors que le déni de protection de l’enfant de cette même institution est patent.
Les députés du 9 février ont esquissé quelques pas pour briser le tabou de l’inceste, mais ils ont aussi démontré combien la protection des enfants, les plus vulnérables d’entre nous, ne prime pas sur les constructions juridiques considérées comme plus essentielles . Il faudra bien , un jour, inverser la tendance. Une société qui ne protège pas suffisamment ses enfants n’est pas une société juste.
Face à l’inceste, comme toujours, demande une position claire de protection de l’enfant dès qu’il prend le risque d’exprimer ce qu’il a vécu. Un enfant parle pour que les viols et les agressions sexuelles s’arrêtent, pas pour emprisonner son parent agresseur. Ainsi, dès le dépôt de plainte, pendant l’enquête, cette parole précieuse doit être protégée, l’enfant aussi.