Réponses d’Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon
Début mars, nous avons interrogé nos membres et plus largement le grand public sur nos réseaux sociaux pour connaître leur classement des principales mesures de prévention de l’inceste. Ainsi, après plus de 500 participations à la mi-mars, nous avons écrit aux 12 candidats à la présidentielle pour leur soumettre les 10 propositions plébiscitées et leur demander de se positionner avant la fin du mois. Malgré des relances, ce vendredi 8 avril, nous n’avons reçu que les réponses d’Anne Hidalgo (PS), Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Yannick Jadot (écologiste). Soit 3 sur 12.
Ce silence des autres candidats est révélateur du tabou que revêt encore l’inceste dans notre société. Après la vague #metoo qui a enfin touché l’inceste en 2021, l’on aurait pu imaginer que les violences sexuelles intrafamiliales deviennent un vrai sujet dans cette campagne présidentielle 2022. Il n’en est rien. Quelques candidats ont consacré une petite partie de leur programme à la protection de l’enfance, mais la question n’a pas fait partie des enjeux de ce vote. Avec au moins 6,7 millions de Français qui se déclarent victimes d’inceste en 2020 (sondage Ipsos pour Face à l’inceste), le sujet n’a toujours pas été pris au sérieux par les politiques, au même titre que le réchauffement climatique ou les violences conjugales. Même la légalisation du cannabis (moins d’un million d’usagers) a davantage fait l’objet de débats dans cette campagne que l’inceste. Espérons que nous n’aurons plus à revoir une campagne présidentielle comme celle-ci.
Voici les réponses d’Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon aux mesures que vous avez retenues :
1. Instaurer l'imprescriptibilité des crimes et délits sexuels sur mineurs
Anne Hidalgo : La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs de crimes et délits sexuels et de l’inceste comporte certes déjà des avancées notables. Nous voulons aller plus loin. La loi doit évoluer jusqu’à l’imprescriptibilité des crimes sexuels. C’est déjà le cas dans plusieurs pays comme le Canada. Nous savons qu’un problème de constitutionnalité risque de se poser puisqu’aujourd’hui, l’imprescriptibilité est limitée aux crimes contre l’humanité, notamment les crimes de génocide, imprescriptibles par nature. Le droit devra évoluer afin de prendre en compte le trouble grave causé par ces crimes de viol et les traumatismes qu’ils engendrent tout en assurant des garanties qui permettront d’éviter la censure du Conseil Constitutionnel.
Yannick Jadot : Nous nous sommes engagés dans notre programme à inscrire dans le droit l'imprescriptibilité des viols sur mineur·e·s.
Jean-Luc Mélenchon : Nous proposons que le délai de prescription courre à partir de la levée de l’amnésie traumatique, ce qui implique une reconnaissance de ce phénomène psychique présent dans des psychotraumatismes en particulier, en particulier violences sexuelles dans l’enfance. Nous ne nous proposons pas d’instaurer l’imprescriptibilité complète. D’autres mesures urgentes attirent notre attention : former les professionnel.les des forces de police, de gendarmerie (celle-ci est bien souvent à la pointe de la lutte contre la pédocriminalité) et de justice, donner plus de moyens à la justice (recrutement de greffiers), etc...
2. Mettre fin à la requalification de l'inceste et des viols sur mineurs en agressions sexuelles
Anne Hidalgo : pas de réponse à cette mesure.
Yannick Jadot : Nous souhaitons mettre fin à la requalification de l’inceste et des viols sur mineurs en agressions sexuelles notamment par la modification de la définition du viol. Les conditions matérielles nécessaires à la qualification du viol sur personnes de plus de 15 ans (violence, contrainte, menace ou surprise) seront supprimées afin que le viol soit déterminé par l'absence de consentement de la victime. Cette mesure mériterait d’être élargie à toutes les formes de violences intrafamiliales et de violences sur mineurs, qui restent largement sous qualifiées, avec refus du parquet de prendre en compte de nombreuses circonstances aggravantes. En cas de correctionnalisation et/ou de sous qualification, les victimes doivent pouvoir disposer d’un droit de recours. A l’heure actuelle, la seule voie qui leur est ouverte est la citation directe.
Jean-Luc Mélenchon : Oui, nous souscrivons complètement à cette urgence, par création d’un nouveau crime concernant toute relation sexuelle entre majeur et moins de 15 ans, 18 ans si handicap ou inceste. Il faudra ainsi renverser la charge de la preuve : si relation il y a (ce qui reste à prouver, pour ne pas tomber dans la présomption de culpabilité), c’est un crime. Cette mesure permettra de stopper l’injonction aux victimes de prouver qu’elles n’étaient pas consentantes. L’intimité de victimes ne doit plus être exposée lors des procès, exhibant des SMS d’adolescentes plaisantant entre elles, la façon dont elles sont habillées, ou une éventuelle consommation d’alcool. La loi Schiappa n’a rien réglé, au contraire : elle a donné lieu à des débats nauséabonds avec Dupont Moretti qui parle d’inceste consenti, le projet d’atteinte sexuelle avec pénétration pour des moins de 15 ans…
3. Informer, dépister et accompagner les parents à risque pendant la grossesse et les premières années de vie de l'enfant
Anne Hidalgo : C’est un impératif en effet et cela existe déjà dans de nombreux pays. Nous mettrons en place des formations pendant le stade périnatal et toute la durée des congés parentaux pour s’assurer d’une parentalité bienveillante.
Yannick Jadot : Le questionnaire ACE ne peut être rempli par les parents que sur la base du volontariat, de même qu’un éventuel suivi ne peut avoir lieu que sur la base du volontariat, les parents restant libres de mettre fin à ce suivi à tout moment et sans fichage. Sans quoi, il y aurait à notre sens de graves risques de dérives. Sous cette réserve, nous sommes d’accord pour permettre aux parents qui le souhaitent de bénéficier de ce suivi.
Jean-Luc Mélenchon : Il est nécessaire de diffuser à tous les professionnel.les en contact avec les enfants (éducation nationale, santé, police, justice...) une formation continue au dépistage à la prévention, avec conduite à tenir si doute ou situation avérée. Nous ne prévoyons pas de ciblage de parEents à risque car l’inceste se retrouve dans tous les milieux (cf les statistiques compilées par Patric Jean dans son livre La loi des pères). Cependant, il faut une vigilance extrême quand un parent a déjà été ou est mis en cause dans affaire. Nous devons appliquer le principe de précaution si un parent a été condamné (dans le passé ou récemment) pour pédocriminalité, ou si un enfant dévoile une agression sexuelle, et surtout bannir le soit-disant « Syndrome d’aliénation parentale », qui amène à confier un enfant à l’adulte qu’il désigne, au mépris total de sa parole, et parfois en condamnant à des peines de prison le parent protecteur.
4. Mettre en place des campagnes d'information récurrentes visant les adultes sur l'interdit de l'inceste
Anne Hidalgo : Il faut en premier lieu sensibiliser obligatoirement tous les enfants à leurs droits, comme c’est le cas à Paris depuis près d’un an et demi via la mission « droits de l’enfant ». Un enfant informé est un enfant mieux protégé. La sensibilisation des enfants doit cependant s’accompagner d’une formation des adultes, qu’il s’agisse des parents ou des professionnels qui les entourent. Nous voulons que ces formations soient dispensées par des professionnels de ces sujets.
Yannick Jadot : Nous sommes en faveur de la mise en place de campagnes d’information sur l’interdit de l’inceste, rappelant les conséquences traumatiques sur les victimes ainsi que les répressions pénales encourues. Cette mesure devrait être élargie à toutes les formes de violences sur mineurs.
Jean-Luc Mélenchon : Oui, nous prévoyons des campagnes à destination d’auteurs potentiels. Il est important de signifier l’interdit. Trop souvent, c’est à l’enfant qu’on s’adresse, avec des messages maladroits : dire non, dire que c’est interdit… car alors, quand l’agression a lieu, l’enfant n’a pas été en capacité de dire non, et il peut culpabiliser de n’avoir pas refusé, ou d’avoir laissé faire un acte interdit. Stop aux injonctions culpabilisantes pour les enfants qui ne peuvent parler ! La prévention ne doit pas passer par eux (c’est déjà trop tard) mais marteler un interdit. Les adultes potentiellement protecteurs peuvent être aidés par des messages de prévention, car souvent c’est le manque d’information qui les rend inactifs.
5. Procéder à des enquêtes de moralité et à l'examen du casier judiciaire des intervenants auprès des enfants au moment du recrutement
Anne Hidalgo : Une mesure simple est à mettre en œuvre : permettre aux institutions, et notamment aux collectivités territoriales, de consulter directement le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) pendant le recrutement d’agents qui sont en contact avec des enfants, mais aussi tout au long de leur carrière.
Yannick Jadot : Il n’est selon nous pas acceptable que des personnes condamnées pour des infractions sexuelles ou pour tout fait de violences sur mineurs, puissent travailler sans que leur employeur en soit informé, particulièrement dans les métiers en contact avec des enfants. Nous sommes en faveur d’une obligation de consultation du fichier Fijais dans toutes les institutions, et plus globalement, dans tous les corps de métiers impliquant des mineurs, où le casier judiciaire devra aussi être automatiquement consulté. La responsabilité pénale des employeurs qui ne respecteraient pas cette obligation doit pouvoir être engagée, de même que leur responsabilité civile au titre du préjudice subi par les victimes.
Jean-Luc Mélenchon : Nous rendrons systématique la consultation du Fijais au recrutement de tout professionnel en responsabilité d’enfants. En cas de condamnation pour pédocriminalité, il sera vérifié la présence d’enfants dans l’entourage du condamné, en particulier selon le travail de son épouse (assistante maternelle…). De plus, nous ferons inscrire toute condamnation pour pédocriminalité au FIJAIS, même pour les peines courtes. La consultation du Fijais sera aussi possible à la publication de bans avant mariage.
6. Créer un organisme ministériel dédié à la prévention de, et l’information sur l'inceste, ainsi qu’à la recherche et la protection des victimes
Anne Hidalgo : Si des progrès importants ont été accomplis, force est de constater que de nombreux enfants subissent des atteintes graves et alarmantes à leurs droits. Un ministère sera dédié exclusivement à l’enfance, chargé de porter une politique ambitieuse coordonnant toutes les thématiques liées aux enfants : il sera le garant du respect de leurs droits. Ce ministère aura notamment pour mission de faire de la prévention et de la pédagogie autour de l’inceste en amont, et de protéger les victimes en aval. Un foyer pour accueillir et accompagner les enfants victimes d’inceste sera aussi mis en place dans chaque département.
Yannick Jadot : Nous sommes en faveur de cette mesure afin de permettre la mise en place de politiques publiques efficaces pour lutter contre l’inceste, et nous souhaitons élargir cet organisme à la lutte contre toutes les formes de maltraitance. Il est en effet essentiel de bien veiller à coordonner les dispositifs déjà existants, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
Jean-Luc Mélenchon : Pour exécuter notre politique de l’enfance, un Ministère de l’enfance sera créé. Il sera entre autres, chargé du pilotage interministériel de la lutte contre la pédocriminalité, impliquant le Ministère de la Justice, de l’intérieur, de la Santé, de l’Education nationale. A l’échelle européenne, nous voulons impulser la création d’un Conseil européen de la protection de l’enfance (CEPE) afin de coordonner les forces de police au sein de l’union européen (alerte enlèvement, enfants disparus...)
7. Former obligatoirement tous les professionnels en contact avec les mineurs sur les violences sexuelles
Anne Hidalgo : Au-delà de la formation, il faudra aussi créer des organismes de contrôle dédiés et renforcer les contrôles de l’ensemble des professionnels qui accompagnent des enfants dans toutes les étapes de leur quotidien.
Yannick Jadot : Nous nous sommes engagés dans notre programme à assurer une véritable formation de l’ensemble des professionnel·les en contact avec les victimes de violences sexuelles, mineurs et majeurs. Nous proposons aussi la création d’une police et d’une justice spécialisées sur les violences sexuelles et intrafamiliales. En outre, nous souhaitons déployer des salles d’accueil dédiées dans les commissariats, telles que les salles Mélanie, sur l’ensemble du territoire afin de permettre aux mineur.es victimes de s’exprimer dans un lieu de confiance, en présence de personnel.le formé.e. Nous souhaitons aussi étendre la possibilité d’un dépôt de plainte dans les services médicaux.
Jean-Luc Mélenchon : Oui, il y a des carences dans la formation initiale. Les sujets de formation à aborder : l’alternative aux violences dites éducatives, le dépistage, la prévention, que faire en cas de dévoilement …. et doivent concerner tous les professionnels en contact avec les enfants y compris au sen de l’éducation nationale.
8. Appliquer une obligation légale de signalement des soupçons de violences sexuelles sur mineurs
Anne Hidalgo : Oui, j’y suis favorable.
Yannick Jadot : Il faut impérativement sortir de cette société du silence et dénoncer les comportements abusifs sur les mineur.es. Il est essentiel que les soupçons de violences sexuelles soient signalés et nous sommes en faveur d’une obligation légale de signalement pesant sur les professionnels, sous peine de non-assistance à personne en danger. Et ce pour toutes formes de violences sur mineurs.
Jean-Luc Mélenchon : Nous préférons mettre en avant la protection des lanceurs d’alerte dont en particulier les mères (cf dernier rapport de la Ciivise) car trop souvent les adultes qui ne signalent pas ont peur de se tromper, d’être impliqué et donc mis en cause. Plusieurs médecins ont été radiés de l’ordre des médecins pour immixtion dans les affaires de famille. Rappelons le nom de Morgane Nauwelaers, assassinée pour avoir voulu protéger un enfant. Des mères ont été condamnées à des peines de prison pour non-représentation d’enfant. Donc avant d’impliquer juridiquement les témoins, il faut leur donner les outils pour être en sécurité.
9. Prendre en charge, de manière systématique, l'enfant présumé victime psychologiquement sans limitation de durée et gratuitement
Anne Hidalgo : Les soins ne sont pas remboursés aujourd’hui, ce qui n’est pas normal. La santé mentale sera l’une des grandes causes du quinquennat : il est indispensable que toutes les victimes puissent bénéficier du soutien psychologique et médical dont elles ont besoin.
Yannick Jadot : Il est pour nous essentiel que la prise en charge d’un enfant présumé victime ne dépende pas de considérations financières. Nous sommes ainsi parfaitement en accord avec cette proposition.
Jean-Luc Mélenchon : La prise en charge du psychotraumatisme est vitale. Les adultes ayant été agressés dans l’enfance peuvent bénéficier d’une prise en charge de nombreux soins au titre d’une ALD. Le besoin se fait particulièrement ressentir au sein des foyers de l’Aide sociale à l’enfance. Concernant les structures même, il faut multiplier les options pour avoir différentes alternatives : centre de résilience, petite structure sans enfant auteur d’agression, etc... Le secteur de la psychiatrie et la pédopsychiatrie est particulièrement en difficulté après des décennies d’austérité. Les Centres médico psychologiques ont un besoin urgent de moyens matériels et financiers. La partie Santé de notre programme traite largement ce sujet.
10. Former des experts judiciaires intervenant dans les affaires de pédocriminalité
Anne Hidalgo : L’inceste est un sujet délicat qui nécessite de confier une mission à des professionnels et experts reconnus et incontestables, tout en gardant comme seul objectif l’intérêt supérieur de l’enfant. Il faut aussi bien mieux appréhender l’amnésie traumatique des enfants, notamment d’un point de vue judiciaire.
Yannick Jadot : Nous sommes en faveur d’une augmentation des moyens dédiés à la lutte contre la pédocriminalité permettant une formation obligatoire des expert.es intervenant dans ce type d'affaires. Nous mettrons aussi en place des cellules dédiées à la traque de la cyber-pédocriminalité en ligne dans les commissariats, avec des moyens humains et matériels adaptés ainsi que du personnel formé.
Jean-Luc Mélenchon : Il est affolant de constater l’impact de certains experts quasiment auto-désignés, quand une justice débordée fait sienne les conclusions de l’expert même si celui-ci est un adepte de la théorie des faux souvenirs ou autre théorie anti-victimaire, et parfois même sans avoir rencontré l’enfant ! L’accréditation d’un expert concernant les affaires de pédocriminalité doit être une procédure tirée d’un ensemble de règles de bonnes pratiques, en particulier concernant la formation d’un expert.