Les chiffres, données plutôt impersonnelles pour parler d’un phénomène aussi dévastateur que l’inceste, sont nécessaires pour comprendre l’ampleur de ce fléau de santé publique.
Mi-novembre, nous avons participé à deux événements à Paris : le premier colloque de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants ainsi que la conférence “Inceste : des chiffres et des maux”. Voici les données que l’on peut retenir.
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1. La moitié des enfants incestés avaient moins de 10 ans la première fois
Selon l’enquête Violences et rapports de genre (Virage), menée en 2015 auprès de plus de 27 000 femmes et hommes adultes de 20 à 69 ans résidant en France métropolitaine au sein de ménages ordinaires et publiée en janvier 2021, l’âge médian pour le premier viol est de 9 ou 10 ans. Ce qui signifie que la moitié des enfants qui ont connu l’inceste ont vécu leur premier traumatisme avant cet âge-là. L’enquête indique aussi que l’inceste dure en moyenne dix ans. -
2. 10 ans après les faits, la moitié des victimes ont parlé
Toujours selon l’enquête Virage, la moitié des personnes interrogées ont parlé dans les dix années qui ont suivi les faits, et un quart 20 ans après. Toutefois, les premiers résultats des témoignages de la Ciivise, plus récents, indiquent une proportion plus grande de victimes qui ont parlé, soit 9 personnes sur 10 qui ont déjà fait mention des violences. Et de préciser : « Une personne sur deux n’a pas parlé par honte, culpabilité ou peur de l’entourage ». -
3. 4 familles sur 5 ne protègent pas l’enfant qui parle
Dans bien des cas, la famille ne soutient pas en bloc la victime qui parle : c’est le cas de quatre familles sur cinq, souligne Patrick Loiseleur, vice-président de Face à l’inceste et intervenant à la conférence sur les chiffres de l’inceste, d’après un sondage Ipsos de 2009 commandé par l’association. D’ailleurs, une victime sur cinq indique que la personne à qui elle a parlé des faits lui a demandé de garder le silence ou bien l’a accusé de mentir, indique un autre sondage Ipsos de 2010 également à la demande de Face à l’inceste. -
4. Seules 20 % des femmes incestées en ont parlé à leur médecin traitant
Selon l’enquête Virage, seulement une femme sur cinq aurait parlé de l’inceste dans son enfance à un médecin, que ce soit au moment des faits ou après. Et même pour celles qui ont parlé, la loi française est faite de telle sorte que les professionnels de santé ne sont pas obligés de faire un signalement pour un mineur, via la clause de conscience (voir notre pétition à ce sujet). « Des professionnels ont même été poursuivis par l’ordre des médecins pour avoir fait ces signalements, ils ne sont pas du tout encouragés à le faire », souligne Pascal Cussigh, avocat pénaliste et président de l’association CDP ENFANCE, également présent à la conférence sur les chiffres de l’inceste. -
5. Les condamnations pour viols et agressions sexuelles ont diminué de 40 % entre 2005 et 2016
C’est un chiffre peu glorieux du ministère de la Justice connu depuis 2018 : 40 % de condamnations en moins en France entre 2005 et 2016. On est passés de près de 1 600 crimes punis en 2007 à un millier en 2016. « L’affaire d’Outreau avec l’acquittement général des accusés en 2005 a fait beaucoup de mal aux enfants qui ont dénoncé un inceste par la suite », estime Patrick Loiseleur. -
6. Seules 800 personnes sont condamnées chaque année pour ces faits
Aujourd’hui, ce chiffre des condamnations est encore plus faible. Selon les dernières données de la Ciivise, nous en sommes à 790 condamnations par an, soit 0,5 % pour des faits de viol ou d’agression sexuelle. A la base, environ 10 000 personnes portent plainte chaque année et environ 1 700 poursuites judiciaires sont engagées. La Ciivise estime par ailleurs que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. « Ce faible chiffre de condamnations invite les agresseurs à agir en toute impunité », se désole le vice-président de Face à l’inceste. -
7. Environ 7 000 euros de dommages et intérêts pour la victime d’agression sexuelle
Selon l’avocate pénaliste Carine Durrieu Diebolt qui défend les victimes d’inceste, intervenue lors du colloque de la Ciivise, « les indemnités sont dérisoires et font injure aux victimes ». Elle détaille : « Une cliente victime d’inceste paternel entre 6 et 16 ans a gagné aux Assises et a touché 20 000€ d’indemnisation. Une autre procédure civile, qui a nécessité un gros travail, lui a permis de récupérer 200 000€. » Pour les agressions sexuelles, l’avocate avance le chiffre de 7 000 euros en moyenne. « Dans une affaire de règlements de compte (violences physiques), un de mes clients a touché 12 000€ », compare Carine Durrieu Diebolt. À peine de quoi rembourser les frais de justice et les frais médicaux... -
8. 1 femme sur 3 déclare une sexualité compulsive
Selon les premiers témoignages de la Ciivise, un homme sur deux et une femme sur trois concernés par l’inceste dans l’enfance déclare une sexualité compulsive, soit une hypersexualité. Nous avons d’ailleurs enquêter sur les conséquences physiques à l’âge adulte pour les femmes victimes d’inceste dans l’enfance (retrouver notre article ici). -
9. 1 victime sur 5 est un homme
Selon le dernier sondage que Face à l’inceste a commandé à l’Ipsos en 2020, 10% de la population française se déclare victime d’inceste. 8 victimes d’inceste sur 10 sont des femmes (78 %) et 1 sur 5 est un homme (22 %). Selon l’enquête Virage, c’est 5 % des femmes qui ont subi un inceste, contre 1 % des hommes. « Cette proportion de 22 % des victimes hommes nous semble sous-estimée, souligne Patrick Loiseleur. Ils ne se déclarent pas tous. Du fait de la masculinité toxique entre autres, les hommes ne vont pas forcément chercher de l’aide pour répondre à leur souffrance. » -
10. Près de 60 % des auditions sont encore menées par des enquêteurs non formés
C’est un autre constat qui a été dressé pendant le colloque de la Ciivise : seulement 1 600 gendarmes et policiers sont formés à la prise en charge des victimes de violences sexuelles dans l’Hexagone, pour certains de manière très récente. Soit encore 60 % des auditions pour des viols ou des agressions sexuelles qui sont encore réalisées par des enquêteurs non formés.