Lutter contre l'abus sexuel à l'endroit des enfants

Dossier Publié le 09.07.2007

 

Par Christopher Bagley, Ph.D. et Wilfreda E. Thurston, Ph.D.


Selon des études menées au Canada reposant sur une définition modérée de la notion d'abus sexuel à l'endroit des enfants (agression sexuelle signalée comportant un contact physique non sollicité), 7% des filles et 5% des garçons ont été victimes d'abus sexuel avant l'âge de 16 ans. Toutefois, comme moins de 10% des enfants qui subissent cette forme de violence en parlent à qui que ce soit, il y a tout lieu de croire que ces abus sont plus fréquents encore.

L'exploration des causes et des effets de l'abus sexuel à l'égard des enfants canadiens se révèle une tâche complexe, principalement en raison du fait que les effets à long terme de la violence physique et psychologique sont similaires à ceux de la violence sexuelle. Ainsi, il est difficile de démêler ces trois formes de violence et leurs effets s'additionnent. En outre, c'est depuis peu que l'abus sexuel à l'endroit des enfants est considéré comme un problème de santé d'ordre social, plutôt que comme un problème clinique personnel. Ses effets à long terme varient en fonction de plusieurs facteurs familiaux et sociaux. Il ne semble y avoir aucune corrélation directe entre la gravité de l'abus et ses répercussions, mais ce sont les abus à long terme qui portent le plus atteinte à la santé, en particulier lorsqu'ils s'accompagnent de violence psychologique et physique. Enfin, de toute évidence, les enfants peuvent parfois être davantage perturbés par les forces d'intervention et le procès criminel que par l'abus sexuel proprement dit; d'autres sont blessés par l'incapacité de leur famille et de la communauté à réagir.


Points saillants des écrits sur le sujet

Les auteurs présentent les principales conclusions auxquelles les a menés l'examen de plus de 1 500 études. Facteurs familiaux. En règle générale, l'abus sexuel s'accompagne d'autres formes de violence.

Il est plus fréquent dans les familles aux prises avec des tensions, des problèmes de communication systématiques, la maladie mentale, l'alcoolisme et un renversement des rôles (c.-à-d. qu'on s'attend à ce que l'enfant accomplisse des tâches d'adulte).

Les enfants des familles pauvres et des familles monoparentales semblent plus susceptibles d'être victimes de plusieurs formes de violence et de subir les répercussions les plus marquées. Cependant, on peut se demander si ces familles ne seraient pas tout simplement sujettes à faire davantage l'objet d'études officielles et d'interventions des autorités.

Les beaux-pères sont au moins cinq fois plus susceptibles que les pères biologiques de se livrer à l'abus sexuel à l'égard des enfants. En cas de violence sexuelle, le soutien et la sympathie de la famille (en particulier la mère) sont essentiels à la cicatrisation des blessures psychologiques. Il faut mener des études supplémentaires concernant le rôle de la mère dans le soutien d'un enfant (en particulier une fille) qui a été victime d'abus sexuel. Par ailleurs, on doit soutenir la mère sur le plan social et financier pour éviter qu'elle-même et sa fille subissent de nouveaux actes de violence.

Problèmes cliniques et traitement

L'abus sexuel à l'endroit d'un enfant peut nuire gravement à son développement. Cet enfant acquiert une faible estime de lui-même et entre dans une crise d'identité psychosociale. En pareil cas, le trouble de comportement se manifeste le plus souvent par des actions d'ordre sexuel. Même si les troubles somatiques, les troubles alimentaires, les cas limites de trouble de la personnalité et l'automutilation délibérée frappent une très faible minorité de victimes d'abus sexuel, ces problèmes sont plus fréquents au sein de ce groupe que dans le reste de la population.

Programmes de prévention de l'abus sexuel

Jusqu'à présent, les programmes de prévention de l'abus sexuel mettaient l'accent sur la sensibilisation des enfants de 4 à 12 ans. Bien que cette approche présente certains avantages, elle entraîne plusieurs problèmes graves, notamment : l'abus sexuel est généralement associé aux étrangers, de sorte que les enfants ne sont pas sensibilisés à l'inceste; la diversité culturelle et les différences dans la compréhension cognitive ne sont pas prises en compte; aucune information n'est donnée en matière d'éducation sexuelle; l'accent est mis à tort sur le rôle des enfants dans la prévention de l'abus sexuel à leur endroit et non pas sur celui de leurs parents et des institutions sociales; la dynamique familiale (par exemple, l'impuissance de l'enfant contre les mauvais traitements que lui infligent ses parents et la tendance des pédophiles à tirer parti de relations d'amitié ou du mariage pour s'immiscer dans une famille) n'est pas reconnue; les programmes de prévention de l'abus sexuel à l'endroit des enfants ne font l'objet d'aucun essai préalable ni d'aucune évaluation; un sentiment de complaisance s'instaure : les enseignants et les parents croient en général que l'on peut éviter tout abus sexuel si les enfants participent à un bref programme de sensibilisation. Si l'on a recours à des programmes de prévention de l'abus sexuel à l'endroit des enfants, ces programmes doivent s'inscrire dans le cadre d'une approche multidisciplinaire de prévention au sein de la communauté.

Adolescents

Comme c'est à l'adolescence que de nombreux agresseurs du sexe masculin commencent à se livrer à des activités sexuelles déviantes, il s'agit d'un âge crucial pour la prévention, l'intervention et le traitement. Les agresseurs et les prostitués adolescents ont bien souvent fait eux-mêmes l'objet d'actes de violence. Les adolescentes sont particulièrement exposées à être victimes de viol dans leurs fréquentations ou de la part d'étrangers ou de membres de leur famille.

Modèles thérapeutiques

Les modèles thérapeutiques sont primordiaux dans le traitement des victimes et la réadaptation des agresseurs. Toutefois, ces mécanismes ne servent qu'à atténuer les maux attribuables à la famille et au système social. Une famille solide qui communique bien et apporte un grand soutien peut réduire et même prévenir l'abus.

Exemples à suivre

La deuxième partie du rapport présente des études de cas mettant en évidence des politiques, des programmes et des organisations qui ont réussi à juguler différents aspects de l'abus sexuel à l'endroit des enfants. Deux comités fédéraux. Au début des années 1980, deux comités fédéraux sous la présidence des docteurs Badgley et Fraser ont mis en branle un train d'initiatives de recherche et d'initiatives stratégiques concertées portant sur l'abus sexuel à l'endroit des enfants. Ces initiatives ont eu une incidence considérable sur le Code criminel du Canada. Il est à déplorer que les réductions budgétaires imposées par le gouvernement fédéral au milieu des années 1990 aient limité les activités de recherche; le bureau d'un commissaire fédéral a été démantelé et l'Institut pour la prévention de l'enfance maltraitée a dû fermer ses portes, faute de fonds.

Bande indienne d'Alkali Lake

La Bande indienne d'Alkali Lake, en Colombie-Britannique, fournit un modèle remarquable de régénération d'une communauté qui a résolu les problèmes d'alcoolisme et d'abus sexuel à l'égard des enfants. Cette bande indienne a concentré ses efforts sur cinq éléments fondamentaux de la régénération d'une communauté : l'autonomie financière, le retrait des organismes extérieurs, la reconnaissance du problème à l'échelle de la communauté, la participation de tous les membres de la communauté et le temps nécessaire à la mise en œuvre du changement.

Family Court Clinic

La Family Court Clinic de London, en Ontario, apaise les craintes des enfants appelés à témoigner contre leur agresseur. Grâce à cette clinique, qui offre des services de counseling, organise des visites guidées des salles d'audience et présente des simulations de procès, les enfants livrent des témoignages plus clairs et le taux de condamnation des agresseurs est en hausse.

Groupe de traitement des délinquants sexuels

À Kingston, en Ontario, un groupe qui traite les délinquants sexuels a permis de réduire d'environ 25 p. 100 le taux de récidive parmi les agresseurs pédophiles. Cent détenus ont été traités, au coût de 200 000 dollars chacun. Les études réalisées donnent à penser que ce programme s'est traduit par des économies de plus de quatre millions de dollars sur une période de deux ans au titre des frais liés à la récidive. Modèle du Québec. L'approche adoptée au Québec permet de déterminer si une plainte d'abus sexuel à l'endroit d'un enfant doit être transmise à la police et au tribunal. Les plaintes sont soumises à la Direction de la protection de la jeunesse, qui évalue la situation et dirige les personnes visées vers les intervenants habilités à leur venir en aide ou à les traiter. Cette façon de procéder peut réduire considérablement le traumatisme que subissent les enfants lorsqu'une enquête est menée dans le cadre d'un procès pour abus sexuel.

Programme de lutte contre les abus

Le programme de lutte contre les abus mis en œuvre dans la région de York, en Ontario, constitue un brillant exemple de concertation des services dans la communauté. Ce programme offre des traitements en groupe aux victimes des deux sexes de tous âges et aux agresseurs. Parmi les autres éléments innovateurs, mentionnons les séances d'information à l'intention des parents, le soutien offert dans l'enceinte du tribunal, les ateliers destinés aux enfants ainsi que les groupes d'initiative personnelle pour les victimes.

End the Silence

Deux organismes sans but lucratif de Calgary, en Alberta, ont mis sur pied un projet intitulé End the Silence dans le but de venir en aide aux femmes handicapées victimes d'abus sexuel. Leur collaboration a permis d'aborder le problème de l'abus sexuel avec des groupes de population éprouvant des besoins particuliers. Les responsables du projet ont en outre élaboré une excellente trousse documentaire.

Réduction de la prostitution chez les enfants et les adolescents

Plusieurs initiatives d'action communautaire ont été menées au cours des dix dernières années à Calgary, en Alberta, en vue de réduire la prostitution chez les enfants et les adolescents. Par suite de ces initiatives, Calgary a fait en 1994 la une d'un tabloïd américain qui la décrivait comme la «capitale canadienne de la prostitution enfantine». D'après les auteurs, il est important de préparer la communauté à l'éventualité que la création de services et de programmes ayant une grande visibilité soit mal interprétée.

Mesures préconisées

Les auteurs regroupent sous sept rubriques leurs conclusions et recommandations :

Recherche

Les centres de recherche devraient concerter leurs efforts sur les points faibles en matière théorique, les lacunes au chapitre des connaissances, l'évaluation de programmes et la diffusion du savoir. Il y a lieu d'appuyer la recherche multidisciplinaire axée sur la communauté, qui tient compte des sexes et des cultures et met l'accent sur des applications stratégiques.

La famille dans le contexte social

On doit en arriver à mieux comprendre le contexte familial dans lequel surviennent l'abus sexuel à l'endroit des enfants et les autres formes de violence physique et psychologique. Il est nécessaire de mettre sur pied des projets pilotes s'adressant aux adolescents agresseurs du sexe masculin, aux beaux-pères, aux pédophiles non incarcérés ainsi qu'aux mères d'enfants victimes d'abus sexuel.

Services de traitement et de prévention

Ce n'est pas aux enfants eux-mêmes que doit incomber la responsabilité de prévenir l'abus sexuel. Il faut transférer cette responsabilité aux adultes et aux institutions communautaires qui ont le véritable pouvoir d'y mettre un frein. On doit concerter toutes les activités de prévention et de traitement relatives aux différents types de mauvais traitements infligés aux enfants et intervenir le plus tôt possible auprès des enfants et des adolescents victimes à répétition d'abus sexuel et d'autres formes de violence. Il convient de soutenir les groupes d'initiative personnelle et d'entraide réunissant des victimes. Les programmes de formation des professionnels de différentes disciplines doivent englober un volet portant sur le dépistage et le traitement de l'abus sexuel à l'égard des enfants.

Aspects juridiques

Les intervenants sociaux, médicaux et juridiques doivent éviter d'interroger les victimes sans ménagements et de manière incisive. La police communautaire doit intervenir contre les clients des jeunes prostitués. Il est nécessaire d'améliorer l'organisation des programmes de traitement à l'intention des agresseurs et des victimes et d'y affecter des fonds supplémentaires.

Population éprouvant des besoins spéciaux

Il faut s'attaquer sans tarder aux problèmes des jeunes prostitués (dont la plupart ont fui une situation où ils étaient victimes d'abus). On doit conférer aux bandes indiennes le pouvoir de résoudre leurs problèmes en matière d'abus sexuel à l'endroit des enfants en adoptant des politiques qui mettent un terme au racisme, stimulent l'action communautaire et règlent de manière équitable les revendications territoriales. Par ailleurs, les personnes handicapées doivent avoir accès à des services qui accroîtront leur capacité de prévenir et de réduire la violence.

Financement

Il y a lieu d'affecter des fonds supplémentaires aux programmes communautaires de lutte contre l'abus sexuel à l'endroit des enfants. Dans la foulée de cette démarche, tous les ordres de pouvoirs publics doivent s'engager à soutenir le filet de sécurité sociale canadien.

Mise en évidence de la politique

Il est nécessaire de tenir une conférence d'envergure nationale ou internationale pour bien faire comprendre que la réduction et la prévention de l'abus sexuel à l'endroit des enfants constitue une grande priorité pour les communautés canadiennes.