« Sanctionner comme il se doit les auteurs de violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes et des enfants, et de mettre fin à leur impunité. » C’était l’ambition affichée par le Gouvernement qui présentait le 21 mars dernier son projet de loi, qui sera examiné le 15 mai par l’Assemblée Nationale. Malheureusement, ce projet ne va pas améliorer la protection des enfants victimes d’inceste qui devront toujours prouver dès le plus jeune âge leur absence de consentement à un acte sexuel avec un membre de leur famille.
L’affaire de Pontoise, ou la correctionnalisation d’une affaire de viol qui conduit le gouvernement aujourd’hui à légiférer sur le consentement sexuel du mineur, n’est pas un cas isolé. Elle reflète le déni sociétal et institutionnel de l’inceste et de la pédocriminalité en France dont les enfants sont les premières victimes. Il se traduit par un grand nombre d’affaires classées sans suites et la correctionnalisation généralisée des viols d’enfants renforçant le sentiment d’impunité des agresseurs.
Aujourd’hui, notre loi prévoit que l’enfant comme un adulte, est supposé savoir, devoir et pouvoir dire NON en cas d’infraction sexuelle à son égard (sauf s’il est en très bas âge selon la cour de cassation) en prouvant la violence, menace, contrainte ou surprise que l’agresseur a exercée sur lui. Malgré les promesses du président Macron et de Marlène Schiappa, ce projet de loi ne change rien pour l’enfant que l’on continuera à questionner son consentement.
Comment supposer qu’un enfant puisse consentir à l’inceste avec son père, son frère, son grand-père ? Comment oser même le questionner là-dessus ! « J’ai baigné dans l’inceste depuis ma naissance, je ne savais pas comment ça se passe dans une famille normale où les enfants sont respectés. » Ce témoignage d’une survivante de l’inceste montre une des spécificités de l’inceste : le climat psychologique incestuel qui l’accompagne abolit les repères et les limites, brouille la perception des enfants et rend toute notion de « consentement » du mineur absurde. L’inceste est commis sous emprise psychologique, grâce à la manipulation. Un enfant élevé dans une famille incestueuse n’apprend pas à dire NON. Il n’a pas d’intimité, ne peut pas croire que ceux qui sont censés prendre soin de lui vont le détruire à jamais. Inceste rime avec manipulation, tromperie, ruse, emprise et perversion.
Un enfant a besoin de ses proches qu’il aime et dont il dépend. Il est incapable de s’opposer à un adulte qui représente l’autorité, qu’il aime et en qui il a confiance. Un enfant est incapable de s’opposer à un adulte qui le manipule en lui disant de se taire sous peine de « détruire la famille ». Si l’enfant réalise que ce qui lui arrive est anormal et qu’il parle, dans 84 % des cas, il ne sera pas protégé, on lui dira de se taire, pire il devra continuer à fréquenter son agresseur jusqu’à sa majorité.
Le critère de « violence, contrainte, menace ou surprise » n’est pas adapté pour qualifier la séduction perverse et l’emprise. L’inceste est souvent répété pendant plusieurs années (2 ans en moyenne) ce qui entraîne un traumatisme lourd aux conséquences multiples. La société et la loi doivent poser clairement l’interdit de l’inceste. Comment le faire si le mot « inceste » n’a pas une définition claire et autonome dans notre Code pénal ? Le Canada et la Suisse l’ont fait, pourquoi pas la France ?
4 millions de français se déclarent victimes d’inceste (sondage Harris Interactive pour Face à l'inceste 2015). 75 % des violences sexuelles sur mineur sont commises au sein de la famille (données du SNATED 2014). Pourtant, le mot « inceste » ne figure plus dans notre code pénal depuis la Révolution. Seul l’adjectif « incestueux » a été réintroduit en 2016 (suite à l'action de nombreuses associations dont la nôtre, et à la mobilisation de 50.000 signataires), en tant que surqualification symbolique du viol, de l’agression et de l’atteinte sexuelle sur mineur.
Pour reconnaître juridiquement la spécificité et la gravité de l’inceste, arrêter de questionner l’enfant sur son consentement, mettre fin à la correctionnalisation, éviter aussi que ce crime soit banalisé et minimisé en étant jugé comme un délit passible de 10 ans de prison au lieu de 20, nous proposons que l’inceste soit défini dans notre loi comme un crime spécifique, distinct du viol et de l’agression sexuelle. Voici notre proposition pour une définition légale du crime d’inceste :
« Constitue un inceste toute acte de nature sexuelle commis sur un mineur par :
1° Un ascendant ;
2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, un cousin, une cousine ;
3° Le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2°, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait. »
Nous demandons que tous nos députés et tous nos sénateurs, sans considérations partisanes, votent cette loi qui propose une meilleure protection des enfants victimes d’inceste mais qui aussi reflète la société que nous voulons au 21e siècle, une société où l’enfant doit être protégé au sein de sa propre famille. L’inceste est avant tout un crime de lien. Ce que perd l’enfant qui subit un viol incestueux, c’est avant tout sa famille. Ce que perd la société en ne le protégeant pas, c’est son humanité.