Lettre ouverte à Mme Marlène Schiappa. Paris, le 17 mai 2018.
Madame la Secrétaire d'État,
Vous nous invitez ce jour pour nous expliquer votre projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes.
L'Association Internationale des Victimes de l'Inceste est née en 2000 pour militer sur trois objectifs précis :
- Abolir la prescription des crimes et délits sexuels sur mineurs ;
- Insérer l'inceste dans le code pénal comme un crime spécifique, distinct du viol ;
- Abolir la recherche de consentement de l’enfant en cas de viol ou d'agression sexuelle.
Nous sommes donc très au fait de ces sujets, étant à l'origine de la loi n°2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal ainsi que sa réintégration en mars 2016 après l’abrogation faisant suite à une QPC de 2011. À cette occasion, le législateur a créé l'article 222-22-1 précisant la contrainte morale. Ce faisant, il entérinait une jurisprudence existante, ne changeant rien sur le fond comme le précisait d'ailleurs le ministère de la justice dans sa circulaire pour l'application de cette loi.
Ainsi, nous avons déjà assisté aux contorsions du législateur, pourtant pétri de bonnes intentions envers les victimes, qui n'est pas parvenu à abolir la recherche du non-consentement de la victime mineure. Cet épisode est toutefois resté inaperçu pour l'opinion publique qui n'avait pas encore découvert le traitement des infractions sexuelles sur mineurs par notre législation.
En complétant l'article 222-22-1 en ces termes :
« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. »
Vous vous placez aujourd'hui dans la même situation que vos prédécesseurs, obligés de laisser aux juridictions de fond le soin d'évaluer le « discernement » de la victime, c’est à dire son consentement.
Concrètement, cette nouvelle loi ne changera rien pour les enfants qui devront toujours prouver leur absence de consentement.
Concernant l'atteinte sexuelle réprimée par l'article 227-25, en aggravant les sanctions encourues et en précisant que l'atteinte sexuelle peut être réalisée « avec pénétration », vous officialisez une pratique déjà largement répandue dans nos tribunaux, la correctionnalisation des viols sur mineurs, on peut même dire que vous l'encouragez.
Malgré nos courriers en septembre et octobre 2017, aucun des trois ministères concernés (Justice, Santé, Égalité femmes/hommes) n'a daigné nous répondre. Nous avons rencontré les députés de la Commission des lois et de la Délégation à l’égalité femmes-hommes, mais le législateur ne s'est pas vraiment intéressé à l'inceste qui représente pourtant 75% des violences sexuelles sur mineurs. Son seul objectif était de rentrer dans le cadre.
Si vous nous aviez consulté(e)s il y a 6 mois, nous aurions pourtant pu vous expliquer que vos promesses n'étaient pas tenables sauf à réviser en profondeur notre système répressif en matière d'infractions sexuelles sur mineurs. Car aujourd'hui, les mineurs victimes d’inceste et de viol sont traités comme des majeurs, c'est le résultat de la loi de 1980.
L’UNICEF, le Haut Conseil à l’Égalité, de nombreux experts et associations ont publiquement dénoncé le caractère insuffisant de cette loi.
Pour ces raisons, nous déclinons votre invitation, estimant avoir déjà des informations complètes et précises sur cette loi.
Nous restons toutefois ouverts au dialogue si vous souhaitez revenir sur votre projet de loi et le travailler sur le fond en visant une véritable protection des enfants.
Veuillez agréer, Madame la Secrétaire d'État, nos respectueuses salutations.
Isabelle Aubry, présidente
Association Internationale des Victimes de l’Inceste.